Christophe a regagné ses paradis perdus
Saint-Raphaël, Saint-Tropez, Port-Grimaud, Antibes... le chanteur, qui s’est éteint hier à l’âge de 74 ans, avait fait ses débuts sur la Côte d’Azur où il séjournait encore régulièrement
La combinaison de chiffres tant redoutée a fini par tomber pour ce féru de numérologie... 16 04 2020. Ce jeudi, Christophe, fragilisé par un emphysème et hospitalisé depuis le 26 mars en réanimation, a rejoint ses paradis perdus à 74 ans. Un quelconque lien avec le coronavirus n’a pas été confirmé par la famille. Impossible ici de retracer une carrière qui débuta tout jeune, portée par le blues de Big Bill Broonzy et John Lee Hooker avant de décoller avec Elvis, Cochran ou Jerry Lee Lewis. Plus à-propos serait de la revisiter, passée au prisme d’une Méditerranée à laquelle le chanteur carburait plusieurs fois par an.
Nuits blanches
« Je ne marche qu'au soleil ! Je n'oublie pas non plus que j'ai fait mes débuts à Saint-Raphaël. En première partie de Vince Taylor. J'avais 14 ans », égrenait ce Parisien qui débuta sous le pseudo de Danny Baby & les Hooligans et écuma la Côte sixties. Que ce soit sur scène ou... dans les casinos !
Reste que chaque été, c’était à bord d’un voilier amarré à Port-Grimaud qu’on le retrouvait, accaparé par sa quête irrépressible de sons. « Je connais pas le mot “vacances”. J'suis comme Godard, y'a pas de coupure. Mais ces deux mois en voilier avec le studio à bord, je les attends chaque année… C'est ma récompense. La mer me manque terriblement… Je suis aussi beaucoup allé au cap d'Antibes par le passé », devisait Christophe, barricadé derrière ses synthés et son Mac, triturant une symphonie de poche qui rythmait de longs entretiens. Santiags qui affleuraient sous des revers de jeans westernisant, lunettes fumées teintées de mots bleu(e)s pour cacher les nuits blanches, longs cheveux blonds et moustache qui lui donnaient des airs de Buffalo Bill psyché, tatouage dissimulé sous la manche d’un tee-shirt noir, voix douce qui oscillait entre silences, poses, accélérations et suspensions...
Le chemin n’était jamais tracé lors d’une rencontre avec l’artiste qui, entre deux gorgées de thé vert assaisonné de miel au poivre d'Agadir et présentation de ses dernières trouvailles technologiques, faisait vagabonder son imaginaire au gré de références contrastées.
Oublié le Saint-Tropez de la période yé-yé, les parties de boules avec Eddie Barclay, les descentes en Cadillac rose sur le vieux port bondé. Et pourtant, Christophe, de son vrai nom Daniel Bevilacqua, reconnaissait avoir « tout un passé dans la presqu’île ». Plus précisément à l’hôtel Le Moulin de Gassin, qu’il habita longuement au milieu des 70’s. Une époque où après Aline et avant l’éclipse discographique de 1988 à 1996, Les Mots bleus sont sur toutes les lèvres. Y compris celles de Kirk Douglas, qui confiait jadis « adorer le Français qui chante Les Marionnettes »… Compliment inestimable pour ce fétichiste du 7e art qui passa aussi face caméra, notamment dans le remarqué Quand j’étais chanteur au côté de Depardieu. Ce parcours « monumental » inspira l’idée de le transformer en statue vivante qui prend l'eau pour les besoins d’une session photo organisée à l’été 2017. Et de retrouver le Beau bizarre impassible, plongé tout habillé dans une piscine mise à disposition par des voisins de PortGrimaud. Le meilleur pied de nez à ce statut rance auquel certains, par manque d'imagination, voulaient le cantonner…
Une biographie testament à venir ?
« J'aime pas le terme de “monument” parce que je connais ma valeur… Et je connais les monuments. C'est comme le mot “star”, c'est gênant… De l'ego… Même Bowie ne se prétendait pas star », s’empressait-il de rectifier avant de confier bosser sur une autobiographie. « Je suis dedans depuis 2012. Ça sortira quand ça sortira », éludait-il en se retranchant derrière une énième apnée sonore. Comme par peur du « livre-testament ».
« J'ai un rapport avec la mort très particulier. Tous les gens que j'ai accompagnés jusqu'à leur dernière demeure, mes parents, mon frère… C'est dans la joie. Et tous ces gars, (Alan) Vega, Alain (Bashung), Lou Reed…, ils sont encore présents pour moi », concluait-il en ne regrettant qu’une chose : « Ce que je n’ai pas fait ».