« Amazon a un rôle essentiel à jouer dans cette crise »
Ronan Bolé, directeur logistique d’Amazon France, revient sur le bras de faire social et judiciaire qui a conduit la firme de Jeff Bezos à fermer ses centres de distribution dans l’Hexagone
Le 14 avril dernier, le tribunal de Nanterre, saisi par des salariés d’Amazon, a enjoint le leader mondial du e-commerce à ne plus distribuer que des produits de première nécessité. Sous peine de se voir infliger une amende de 1 million d’euros par jour et par infraction. Du coup, la World Company du milliardaire Jeff Bezos a fermé ses centres de distribution en France. Amazon a également fait appel. Alors qu’une nouvelle audience est prévue ce matin, le responsable logistique d’Amazon France, Ronan Bolé, explique la position du groupe.
Vous avez fait appel du jugement rendu par le tribunal de Nanterre…
Nous avons, aujourd’hui, deux axes de travail pour nous permettre de revenir pleinement à l’ensemble de nos lignes de produits. Il y a cet appel du jugement qui doit effectivement être examiné demain [lire aujourd’hui, ndlr] .Etpuis,ilyalavoie ouverte par le jugement de Nanterre de cette évaluation des risques avec nos partenaires sociaux que nous sommes en train de réaliser et qui va, peut-être, se terminer de manière concomitante.
Concrètement ?
Il y a des évaluations des risques qui sont actuellement réalisées site par site en présence de nos partenaires sociaux afin d’identifier éventuellement un certain nombre d’actions à mettre en place.
Ce qui n’est pas systématiquement le cas, car cette évaluation des risques avait évidemment été entamée dès le lendemain de l’annonce du confinement par Emmanuel Macron. Nous avions parfois des partenaires sociaux présents lors de ces évaluations. Le tribunal nous a demandé de les adjoindre de manière plus active. C’est ce que nous faisons aujourd’hui. Sachant que nous leur avions tendu la main, dès le mars, en leur demandant de venir travailler avec nous afin d’identifier les mesures à prendre pour le respect de la distanciation sociale, la mise à disposition de gel hydroalcoolique ou la formation de nos salariés.
Comprenez-vous les inquiétudes formulées par les employés d’Amazon ?
Je suis comme vous. je suis français. Et je pense que nous faisons face à une crise sans précédent. Que nous avons donc raison d’être inquiet en France. Même si je crois que nous avons fait, ces derniers mois du côté d’Amazon, tout ce qu’il fallait pour mettre en sécurité nos salariés. Nous avons d’ailleurs reçu les visites des inspecteurs du travail sur nos sites, puis des contre-visites. Et je veux, d’ailleurs, citer Muriel Penicaud qui soulignait, il y a quelques jours sur LCI, que sur cinq sites, quatre avaient été contre-visités et étaient, maintenant, en parfaite conformité avec les recommandations gouvernementales. Des recommandations que nous avons essayé d’appliquer scrupuleusement dès le début, voire de dépasser…
Mais est-ce tout simplement possible ?
Oui, ça l’est ! Dès le lendemain de l’annonce du confinement, nous avons revu l’ensemble des postes de travail sur tous nos sites en France. Nous avons disposé du gel hydroalcoolique partout. Nous avons espacé les machines à café, les tables. Nous avons étagé l’arrivée des équipes et les départs en pause pour éviter des mouvements de masse. Et puis, on est allé plus loin sur la distanciation sociale qui est recommandée à mètre. Chez Amazon elle est de mètres minimum. Enfin, nous avons mis en place, il y a désormais une dizaine de jours, des safety angels. C’est-à-dire des personnels volontaires qui aident la bonne application de ces distances. Nous avons également mis en place la prise de température systématique, soit par caméra thermique, soit par des thermomètres sans contact. Et depuis le avril au matin, date à laquelle l’Académie de médecine a changé ses recommandations sur le port du masque, nous en avons recommandé le port sur l’ensemble de nos sites et nous sommes en train de discuter avec le CSE pour le rendre obligatoire.
Certains syndicalistes d’Amazon disent pourtant que cette distanciation n’est pas possible, notamment lorsqu’il faut manipuler à deux des colis lourds ?
Il faut savoir que chez Amazon nous étions déjà mieux-disant en la matière puisque, à partir de kg, les charges sont portées à deux dans nos centres. Désormais, ces colis de plus de kg sont mis de côté et manipulés par des engins. De même que les chargements et déchargements de camion qui avant se faisaient à plusieurs, sont réalisés par une seule personne même si cela met plus de temps.
Cela sera-t-il suffisant, selon vous pour rassurer vos partenaires sociaux ?
Nous avons globalement un bon dialogue social chez Amazon, mais cela dépend évidemment de chaque site. Surtout dans cette période de tension que nous vivons. L’important c’est que les partenaires sociaux soient invités et viennent, tous les matins, dans les réunions que nous organisons pour évoquer les mesures exceptionnelles liées au Covid- à mettre en place.
Si l’organisation que vous mettez en place venait à satisfaire tout le monde, quels seront les produits que vous pourrez distribuer demain ?
J’ai évoqué les deux axes sur lesquels nous travaillons, avec les partenaires sociaux, d’une part, et sur le plan juridique avec l’appel.
Je ne me hasarderai pas à prédire l’issue de l’un ou de l’autre mais si nous menons à bien le volet prévention des risques, nous pourrons reprendre les opérations comme précédemment en livrant l’ensemble de nos lignes de produits.
Ce qui voudrait dire qu’Amazon et, en général, l’e-commerce pourraient tout vendre alors que les magasins physiques, eux, doivent fermer ?
Je crois que le Président Macron exhortait, il y a encore quelques jours, les entreprises à travailler. On ne parlait d’ailleurs pas de produits essentiels et son discours s’adressait à l’ensemble des entreprises. Je crois que dans cette période sans précédent, plus que jamais, en livrant, à domicile, des clients qui ne peuvent plus se déplacer et d’autres plus vulnérables, Amazon a un rôle essentiel à jouer. Je crois que nous avons une mission à effectuer et je crois que nous avons mis tout en place pour la réaliser du mieux possible pour la sécurité de nos salariés, de nos livreurs et de nos clients.
Du coup, cette situation est-ce l’illustration d’une certaine fracture entre l’ancien monde, du commerce traditionnel et le nouveau monde que vous représentez de cet e-commerce qui prend de plus en plus d’ampleur ?
Il faut rester humble sur la place d’Amazon et du e-commerce en France. Parce que, aujourd’hui, Amazon c’est moins de % du commerce français. Et encore, un article sur deux est vendu par des entreprises indépendantes via la Marketplace d’Amazon, TPE et PME françaises. Ce sont d’ailleurs des gens qui nous exhortent, aujourd’hui, à continuer à livrer.
Et profiter de cette période de confinement pour faire des surprofits ? Parce que c’est un peu ce qu’on vous reproche indirectement…
Je peux vous assurer que ce n’est pas le cas pour Amazon. Même si je suis davantage concentré sur les audits de sécurité de nos sites que sur leurs mesures de productivité en ce moment, avant même cette décision du avril notre activité avait baissé en France. On livrait entre et % de colis en moins depuis trois semaines déjà. Mais, encore une fois, ce n’est pas là notre priorité. Ce qui importe, aujourd’hui, pour Amazon c’est de jouer notre rôle, tel que le gouvernement nous le demande, et de ne surtout pas casser la chaîne logistique française.