Après les masques et les tests, les médicaments ?
Les hôpitaux ont jusqu’à demain pour commander curares et hypnotiques. L’État aura ensuite le monopole des achats et de la distribution. En cause : des menaces de rupture de stock
La note est tombée lundi soir. Une note « confidentielle » émanant du ministère de la Santé et que nous avons pu nous procurer. L’entrée en matière est des plus inquiétantes : « Des tensions d’approvisionnement extrêmement fortes existent pour cinq molécules nécessaires à la prise en charge des patients atteints du Covid-19, notamment au sein des services de réanimation. Il s’agit des formes injectables de deux hypnotiques (midazolam, propofol) et de trois curares (atracurium, cisatracurium, rocuronium). » La suite est pour le moins directe : « À partir du 25 avril, les établissements de santé ne pourront plus passer commande de ces molécules auprès des laboratoires pharmaceutiques qui les fabriquent. » Il faudra passer par l’État. Et inutile de penser à faire des stocks : les commandes ordonnées jusqu’à demain ne pourront être honorées que « si elles correspondent au maximum à cinq jours de stock pour l’établissement et qu’elles respectent les mesures de contingentement mises en place. » En clair les établissements doivent apprendre à « compter » : « Il est impératif que chaque service mette en oeuvre dès à présent des mesures d’épargne de doses des médicaments concernés et ait recours à des alternatives thérapeutiques », prévient le ministère. Ce rationnement de produits d’anesthésie indispensables (et pas toujours substituables) vient « plomber » encore un peu plus le moral des soignants. « Il était entendu que nous devions reprendre progressivement une activité afin d’éviter une seconde vague de malades non-Covid. Et là, on découvre qu’on va devoir contingenter le nombre d’interventions chirurgicales et ne plus pouvoir, peut-être, demain opérer – ou devoir encore différer – des malades qui se sont aggravés. Alors que l’on voyait le bout du tunnel, nous voilà à l’aube d’une nouvelle catastrophe sanitaire », désespère le Dr Jérôme Barrière, président de la commission médicale du groupe Saint-Jean à Cagnes-sur-Mer. Car, il faut bien comprendre que les hypnotiques et curares concernés par ces tensions d’approvisionnement dans le contexte du Covid, sont aussi largement utilisés pour endormir les patients qui doivent subir une intervention chirurgicale. Le midazolam sert, lui, à « accompagner dignement des fins de vie. » Comment l’État français se retrouve-t-il aujourd’hui face au risque à court terme de rupture de stock de ces médicaments majeurs ? La réponse est complexe. Il y a, bien sûr, le taux d’occupation inédit des lits de réanimation. Il y a aussi la manifestation « aiguë » d’une problématique chronique : depuis des années, les ruptures de stock de médicaments se multiplient en France. Pour optimiser les rendements et les profits, l’industrie pharmaceutique minimise ses stocks. Et surtout, elle a délocalisé la fabrication des médicaments, notamment des matières premières, hors d’Europe, en Inde et en Asie essentiellement, où la main-d’oeuvre est abondante et bon marché. Et lorsque les stocks diminuent, la France, où les médicaments sont vendus 16 % moins cher que la moyenne mondiale, n’est pas le client que les laboratoires pharmaceutiques servent en priorité. « Deux mois plus tard, on nous rejoue le match des masques. N’aurait-on pas pu l’anticiper au lieu de nous mettre devant le fait accompli ? », regrette le Dr Barrière.