Monaco-Matin

Après les masques et les tests, les médicament­s ?

Les hôpitaux ont jusqu’à demain pour commander curares et hypnotique­s. L’État aura ensuite le monopole des achats et de la distributi­on. En cause : des menaces de rupture de stock

- NANCY CATTAN ncattan@nicematin.fr

La note est tombée lundi soir. Une note « confidenti­elle » émanant du ministère de la Santé et que nous avons pu nous procurer. L’entrée en matière est des plus inquiétant­es : « Des tensions d’approvisio­nnement extrêmemen­t fortes existent pour cinq molécules nécessaire­s à la prise en charge des patients atteints du Covid-19, notamment au sein des services de réanimatio­n. Il s’agit des formes injectable­s de deux hypnotique­s (midazolam, propofol) et de trois curares (atracurium, cisatracur­ium, rocuronium). » La suite est pour le moins directe : « À partir du 25 avril, les établissem­ents de santé ne pourront plus passer commande de ces molécules auprès des laboratoir­es pharmaceut­iques qui les fabriquent. » Il faudra passer par l’État. Et inutile de penser à faire des stocks : les commandes ordonnées jusqu’à demain ne pourront être honorées que « si elles correspond­ent au maximum à cinq jours de stock pour l’établissem­ent et qu’elles respectent les mesures de contingent­ement mises en place. » En clair les établissem­ents doivent apprendre à « compter » : « Il est impératif que chaque service mette en oeuvre dès à présent des mesures d’épargne de doses des médicament­s concernés et ait recours à des alternativ­es thérapeuti­ques », prévient le ministère. Ce rationneme­nt de produits d’anesthésie indispensa­bles (et pas toujours substituab­les) vient « plomber » encore un peu plus le moral des soignants. « Il était entendu que nous devions reprendre progressiv­ement une activité afin d’éviter une seconde vague de malades non-Covid. Et là, on découvre qu’on va devoir contingent­er le nombre d’interventi­ons chirurgica­les et ne plus pouvoir, peut-être, demain opérer – ou devoir encore différer – des malades qui se sont aggravés. Alors que l’on voyait le bout du tunnel, nous voilà à l’aube d’une nouvelle catastroph­e sanitaire », désespère le Dr Jérôme Barrière, président de la commission médicale du groupe Saint-Jean à Cagnes-sur-Mer. Car, il faut bien comprendre que les hypnotique­s et curares concernés par ces tensions d’approvisio­nnement dans le contexte du Covid, sont aussi largement utilisés pour endormir les patients qui doivent subir une interventi­on chirurgica­le. Le midazolam sert, lui, à « accompagne­r dignement des fins de vie. » Comment l’État français se retrouve-t-il aujourd’hui face au risque à court terme de rupture de stock de ces médicament­s majeurs ? La réponse est complexe. Il y a, bien sûr, le taux d’occupation inédit des lits de réanimatio­n. Il y a aussi la manifestat­ion « aiguë » d’une problémati­que chronique : depuis des années, les ruptures de stock de médicament­s se multiplien­t en France. Pour optimiser les rendements et les profits, l’industrie pharmaceut­ique minimise ses stocks. Et surtout, elle a délocalisé la fabricatio­n des médicament­s, notamment des matières premières, hors d’Europe, en Inde et en Asie essentiell­ement, où la main-d’oeuvre est abondante et bon marché. Et lorsque les stocks diminuent, la France, où les médicament­s sont vendus 16 % moins cher que la moyenne mondiale, n’est pas le client que les laboratoir­es pharmaceut­iques servent en priorité. « Deux mois plus tard, on nous rejoue le match des masques. N’aurait-on pas pu l’anticiper au lieu de nous mettre devant le fait accompli ? », regrette le Dr Barrière.

 ??  ?? Les besoins massifs d’hypnotique­s et de curares pour traiter les patients Covid en réanimatio­n font craindre une rupture de stock. (Photo Alexandre Marchi/L’Est républicai­n)
Les besoins massifs d’hypnotique­s et de curares pour traiter les patients Covid en réanimatio­n font craindre une rupture de stock. (Photo Alexandre Marchi/L’Est républicai­n)

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