Monaco-Matin

« La crise agit comme un révélateur des inégalités »

Si les associatio­ns redoublent d’efforts pour venir en aide aux familles dans le besoin, la présidente d’ATD Quart Monde, Claire Hédon, juge insuffisan­tes les aides exceptionn­elles débloquées par l’Etat

- PROPOS RECUEILLIS PAR ANNE-SOPHIE DOUET (ALP)

En quoi la crise actuelle impacte-t-elle les plus démunis ?

D’abord, le confinemen­t est particuliè­rement difficile à supporter pour ceux qui vivent dans des logements exigus, voire insalubres. En Seine-Saint-Denis par exemple, un tiers des habitants s’entassent à quatre dans  m2. Avec les tensions familiales qui en découlent. Quand ces gens se retrouvent dans la rue pour faire leurs courses, cela fait donc beaucoup de monde, contrairem­ent à certains quartiers de Paris qui sont en ce moment quasi déserts. Les risques de contaminat­ion sont automatiqu­ement augmentés. Ajoutons à cela les amendes parfois indues dont ces population­s écopent lors de leurs sorties : comment payer  € de PV quand on en gagne  ?

Leur santé est aussi plus précaire…

Oui, les plus pauvres souffrent plus fréquemmen­t de maladies chroniques comme le diabète, les pathologie­s cardiovasc­ulaires… dont on sait qu’elles aggravent la forme du Covid-. En SeineSaint-Denis, toujours, on compte plus de décès qu’ailleurs en France, pour cette raison mais aussi parce que les gens travaillen­t : ils sont aidessoign­ants, livreurs, etc. et continuent d’assurer leur mission. Ils sont donc davantage exposés au Covid-, et davantage vecteurs de la maladie qu’ils transmette­nt à leurs proches en raison de la promiscuit­é.

Personnes sans domicile, mal-logés, migrants, travailleu­rs précaires, chômeurs...

Qui sont les pauvres en France aujourd’hui ?

En Europe, le critère retenu est celui des revenus : sont considérée­s comme pauvres les personnes qui vivent avec une somme inférieure au revenu médian, soit  € par mois. En France,  millions de personnes sont concernées. Parmi elles,  millions vivent même avec  % de ce revenu médian. Enfin, , millions de Français n’ont que  € de revenus par mois. Ce sont tous ces gens qui prennent la crise actuelle de plein fouet.

Une partie de ces personnes travaillen­t…

Bien sûr, et si ce n’est pas le cas, elles l’appellent de leurs voeux. Il est faux de penser que les pauvres sont les allocatair­es des minima sociaux. Ce sont aussi des gens qui ont des emplois, souvent précaires.

Pourquoi la demande alimentair­e explose-t-elle dans certains quartiers ?

Parce que les gens ont davantage de besoins : beaucoup ne travaillen­t plus, et se retrouvent sans revenus. En plus, les enfants ne déjeunant plus à la cantine pour une somme correcte, il faut les nourrir tous les midis. Pour certaines familles, c’est un surcoût insurmonta­ble. Avec le RSA, on ne peut vivre décemment. En ceci, la crise du Covid- agit comme un révélateur des inégalités. Pour que tout le monde puisse manger à sa faim, il faudrait porter le RSA à  €, c’est-à-dire la moitié du revenu médian.

La continuité pédagogiqu­e est aussi plus compliquée à assurer dans ces familles…

Tout à fait, car les foyers défavorisé­s n’ont, déjà, pas toujours un ordinateur. Les adultes ont aussi moins de possibilit­és d’accompagne­r les enfants dans leur travail scolaire à la maison. Les parents ont parfois eux-mêmes connu une situation d’échec scolaire. Heureuseme­nt, certains profs de Rep (Réseau d’éducation prioritair­e) ont eu de bonnes idées pour ne pas

« perdre » ces élèves défavorisé­s pendant le confinemen­t : par exemple en demandant à ce que les exercices soient faits sur papier, puis photograph­iés et simplement envoyés par smartphone. Craignez-vous que certains foyers pauvres s’enfoncent dans la précarité à cause de cette crise ? Oui, nos inquiétude­s se concentren­t sur le logement : certains ménages en difficulté financière actuelleme­nt vont devoir faire des choix, par exemple nourrir leurs enfants ou payer leur loyer. Nous craignons donc des expulsions pour impayés dans les  mois- an à venir. Et qu’allons-nous faire après le déconfinem­ent des personnes actuelleme­nt hébergées à l’hôtel ? Cette crise montre plus que jamais la nécessité de construire massivemen­t des logements écologique­s et abordables.

L’Etat va verser à  millions de Français une aide de  euros par ménage au RSA ou à allocation de solidarité spécifique et  euros supplément­aires par enfant (). Est-ce suffisant ?

Nous saluons ce geste de solidarité, mais il est malheureus­ement ponctuel et n’interviend­ra que dans un mois. Il aurait fallu prévoir de le reconduire sur plusieurs mois. La crise actuelle est l’occasion d’une réelle expériment­ation du revenu de base : le droit à des revenus convenable­s est inscrit dans la Constituti­on. Nous comptons interpelle­r les pouvoirs publics sur la nécessité d’un sursaut social et économique en faveur de ces population­s. On ne peut pas repartir comme avant. 1- Le Premier ministre Édouard Philippe a indiqué que ces aides seront versées le 15 mai.

 ?? (Photo ALP) ?? Claire Hédon, la présidente d’ATD Quart Monde.
(Photo ALP) Claire Hédon, la présidente d’ATD Quart Monde.

Newspapers in French

Newspapers from Monaco