Monaco-Matin

Conte d’un palace endormi

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Il est  h  ce matin et j’arrive au Royal-Riviera. D’habitude, à cette heure, en cette saison, c’est la vie qu’on croise : brouhaha des clients qui s’agitent entre le petit-déjeuner et le comptoir du concierge où l’on vient préparer

sa journée, ses balades, ses découverte­s de notre paradis azuréen. Un palace, c’est comme un théâtre. Les acteurs changent chaque jour. La pièce qu’on y joue sans relâche doit être chaque fois meilleure. Mais ce vendredi, il est  h  et il n’y a rien de tout cela. Ni le bruit des mots qu’on échange le matin, celui des civilités, du café qu’on prend en terrasse, de la vaisselle ou des journaux qu’on feuillette. Ce chant quotidien nous rappelle que nous sommes là pour écrire, chaque jour, de nouvelles pages heureuses de la vie des hommes. Juste un étourdissa­nt silence. Je traverse le lobby baigné du premier soleil, laissé là comme avant ce virus dont je n’aime pas citer le nom, et qui mène vers les jardins gorgés de printemps au désespoir que nul ne puisse profiter de leur luxuriance. Mais derrière l’émotion, les sentiments et parfois la colère, il y a la réalité du quotidien. Les salariés d’abord, qu’il faut protéger comme on peut malgré la réalité économique qui s’annonce désastreus­e. Mon devoir

est de les sécuriser et de tenter d’assurer la pérennité de ce qui est encore aujourd’hui notre outil de travail : un palace endormi. Bien sûr, il y a cette vérité sociale, oppressant­e, qui nous préoccupe au point d’en dormir mal. Quelques collaborat­eurs sont encore présents pour faire en sorte que cette réalité-là soit la moins douloureus­e possible. Régulièrem­ent, j’envoie des SMS à chacun de mes employés pour leur dire mon attachemen­t, celui de nos propriétai­res, à leur engagement, à leur santé, dont le confinemen­t reste le meilleur garant. Par leur retour, je sens leur impatience.

Un palace, c’est comme

un théâtre. Les acteurs

changent chaque jour

Il y a donc l’après

Pour l’après, il y a notre résilience, la capacité de notre équipe à se tenir prête, fière de ce qui a été fait, imaginant déjà pouvoir « revivre une épopée joyeuse » pour citer le truculent

Jean Lassalle [député, candidat à l’élection présidenti­elle de ). L’après sera forcément différent. Les restrictio­ns de déplacemen­t, la crainte peut-être de croiser ce virus au détour d’un avion, d’un train. Il faudra s’adapter, proposer, répondre à une clientèle qui sera très probableme­nt française avant d’élargir à nouveau l’horizon vers l’Europe puis vers le monde entier. Cela prendra un peu de temps. Le temps de se réinventer, de réinventer l’offre, le temps de croire en la capacité des hommes, de la science, à régler ce problème pour que la vie redevienne normale.

Derrière l’après, au-delà du business, il y a la question philosophi­que : serons-nous devenus d’autres humains, au point d’imaginer autrement notre place sur la Terre et ce que nous en faisons ? Je suis hôtelier par passion des hommes, j’aime croire que c’est notre possible.

Il est  h  ce matin, le téléphone rompt le silence et Magali répond. C’est une réservatio­n pour le mois d’août. Un sourire aux lèvres, il est temps que je retourne travailler et préparer l’après dans mon bureau.

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