« Il faudra sortir de la crise avec plus d’humanité » Cannes,
Confiné en communauté sur l’île Saint-Honorat, au large de le père abbé de l’abbaye Notre-Dame de Lérins n’en coule pas pour autant des jours uniquement heureux
Jadis, le père Vladimir Gaudrat a d’abord enfilé la blouse de médecin avant la robe du moine. Alors en cette période de crise sanitaire, il garde un regard humain, spirituel mais aussi “terrestre” sur ce confinement qu’il vit sur une île aux allures paradisiaques, même si ce diable de coronavirus ne connaît pas de voies impénétrables. Parole d’un homme d’Église, qui essaie de voir le bien malgré le mal alentour.
Avec le coronavirus, le confinement insulaire s’ajoute à votre “confinement religieux” ?
Ça se passe plutôt bien car notre cadre de confinement est un peu idéal par rapport à la plupart des gens entassés dans des appartements. Mais en même temps, l’accueil fait aussi partie de notre vocation, et là, on ne reçoit plus personne alors que c’est Pâques. Nous ne sommes qu’entre nous, mais ce n’est pas non plus désagréable.
Votre île, c’est un peu le petit Eden cerné par l’enfer ?
Non, parce que pour nous, l’île n’est pas non plus le paradis !
Que faites-vous durant votre confinement, mis à part prier ?
On s’est remis à faire de la cuisine car notre cuisinier ne vient que quelques jours, à travailler sur nos arbres fruitiers. Pour les vignes, on garde trois employés, c’est indispensable pour l’avenir, et un ouvrier pour l’entretien, mais comme partout ailleurs, tout est plus compliqué.
Pas de frère malade ?
Non, nous n’avons aucun cas de Covid. Mais comme nous comptons des frères âgés parmi nous, l’inquiétude est là. L’un d’entre nous a dû être hospitalisé pour une alerte cardiaque, et nous n’avons pas pu lui rendre visite, nous non plus.
Vous vous protégez de ces visites extérieures ?
On veille à ne pas trop croiser les ouvriers, et entre nous, on respecte les distances de sécurité. On a aussi des masques, des gants, du gel que l’on avait en stock, car nous sommes prévoyants, et nous prenons toutes les précautions possibles. On a aussi modifié notre positionnement dans l’église et au réfectoire, on évite aussi certains gestes liturgiques.
Plus que jamais, en autarcie ?
Notre potager commence à donner blettes, fèves, artichauts, petits pois et on reçoit des livraisons alimentaires. Dommage que notre fournisseur habituel de fruits et légumes ait cessé son activité du jour au lendemain…
Et votre activité commerciale ?
Notre économie repose sur la vente de nos produits et le tourisme, donc elle est touchée car la Poste ne livre que trois fois par semaine pour de petites quantités. Et dans ce contexte, notre vin n’est pas considéré comme première nécessité, même si quelques fidèles en ont commandé un peu pour aider.
Certains disent que ce virus, c’est un châtiment divin ?
Alors là, excusez-moi d’être grossier, mais c’est une connerie ! C’est même exaspérant. Certains disent aussi que la Nature reprend ses droits, c’est exact, mais ce n’est pas en lien direct avec le coronavirus. On a vécu une grande période sans épidémie, et on a perdu l’habitude, on se trouve désemparé, mais ça n’a rien à voir avec un châtiment divin.
Ni une quelconque pénitence ?
Il n’y a pas de pénitence. Juste des mesures de distanciation et des gestes barrières qui peuvent être pénitentiels. En réalité, c’est une pensée magique : face à l’inexplicable, c’est rassurant de trouver une cause, on se dit qu’on va expier et que ça va s’arrêter. Mais l’histoire a prouvé que ça ne marche pas comme ça…
Habitués au confinement en communauté donc plus sereins ?
On est plus habitués au recueillement, et surtout, à avoir peu de sorties et distractions extérieures. Le Festival de Cannes ne va pas nous manquer à nous, même si je trouve ça triste pour l’économie locale. On reçoit beaucoup de mails de gens pour qu’on prie pour eux. La situation est aussi anxiogène pour nous, mais d’une certaine manière, on est mieux armés.
Pas de messe par Internet ?
Non, juste quelques vidéos pour commenter des temps liturgiques. Mais pas d’office, d’abord parce qu’il y en a déjà une multitude, et puis, il ne faut pas réduire la prière à un spectacle d’images, ce n’est pas de ça dont les gens ont vraiment besoin.
En revanche, nous avons des échanges par mail et téléphone, chacun a son cercle familial, et ce confinement est l’occasion rêvée pour se réconcilier avec des proches dont on s’est éloignés.
Et la nature sur Saint-Honorat ?
On sent qu’elle respire, on entend les oiseaux chanter, on voit plus de huppes. Le plus frappant, qu’on ne remarquait même plus, c’est qu’il n’y a plus le bruit des avions, ni les rumeurs de Cannes. Et ce silence, à l’heure de l’office matinale, ça fait du bien…
La religion est apaisante pour les gens en souffrance ?
Pffff… Vous savez… La religion n’est pas l’opium du peuple contrairement à ce que dit Marx. Elle peut donner du sens peutêtre, surtout à la sortie du confinement, mais il peut y avoir le meilleur et le pire, comme actuellement. Même s’il y a beaucoup de bien.
Et vous, cette crise vous rapproche encore de Dieu ?
Ah… C’est difficile. Je pense que chaque frère donnera une réponse différente mais personnellement, non. Je suis médecin de formation et cette histoire-là, je la vois aussi comme tel même si je n’exerce plus, je ressens tout ça avec mes tripes. Je ne crains pas que ça trouble ma relation à Dieu, mais ça me fait souffrir aussi de ne pas pouvoir empêcher ces gens de mourir. Dire qu’ils étaient âgés, ça ne veut rien dire, leurs vies ont autant de valeur. Ça ne me fait pas douter de ma foi, mais ça ne facilite pas mon rapport à Dieu.
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Dire que c’est un châtiment divin, c’est une connerie”
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Cette crise du coronavirus ne facilite pas mon rapport à Dieu”
Après ça, un monde meilleur ?
J’espère, mais ce n’est pas gagné. La crise économique me fait peur, souvent, il n’en sort pas de bonnes choses. Il faudra aussi applaudir les soignants d’origine immigrée après, mieux prendre en charge nos aînés, sortir de ça plus humain, car cette crise révèle un côté inhumain de notre société. Et plus que jamais, prendre soin des autres…