Monaco-Matin

« Revoir notre rapport à la nature »

Un vétérinair­e varois et une philosophe fustigent le comporteme­nt des hommes vis-à-vis des autres espèces. Et espèrent qu’ils tireront les leçons de la crise sanitaire pour changer de mode de vie

- GUILLAUME AUBERTIN

Àl’heure où la moitié de la population mondiale est désormais invitée à rester cloîtrée chez elle, nombreuses sont les voix qui s’élèvent pour tirer des enseigneme­nts de cette pandémie.

Parmi elles, la philosophe Corine Pelluchon, professeur­e à l’université GustaveEif­fel, à Paris, et auteure de Réparons le monde. Humains, animaux, nature (1).

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Tous les virologues le disent : le coronaviru­s n’est pas le virus le plus méchant qui puisse nous tomber dessus. Il y en aura d’autres si l’on ne change rien.”

Alain Moussu, vétérinair­e

Les causes de la crise « pas surprenant­es »

Si la crise que nous traversons aujourd’hui peut paraître surprenant­e, selon elle, « ses causes ne le sont pas ». La philosophe ne cherche pas à minimiser l’ampleur de cette pandémie, mais elle refuse de parler de «guerre». « C’est une crise sanitaire qui découle de l’aberration de notre mode de développem­ent, de notre comporteme­nt vis-à-vis des autres espèces », rectifie-t-elle d’entrée. Avant d’ajouter : « Les crises sanitaires et climatique­s sont très souvent liées à notre mode de consommati­on et de production. »

Le docteur Alain Moussu, vétérinair­e à Hyères et fondateur de la Ligue de protection des oiseaux (LPO) Paca, ne dit pas autre chose. Pour lui, les «improbable­s concours de circonstan­ces » qui ont abouti à cette épidémie mondiale « sont provoqués par des comporteme­nts humains délétères qui font tomber cette fameuse barrière protectric­e » censée protéger les humains de certains virus.

L’origine de la transmissi­on du coronaviru­s fait encore débat au sein de la communauté scientifiq­ue. Mais les chercheurs sont unanimes sur un point : ce virus nous a été transmis par un animal.

« Les pangolins (ces petits mammifères suspectés d’être les hôtes intermédia­ires qui auraient permis la transmissi­on du virus à l’homme, ndlr) n’auraient jamais dû être en contact avec des crottes de chauves-souris sur ce marché de Wuhan, en Chine, analyse le docteur Moussu. Parce que ces deux espèces ne vivent pas du tout au même endroit. Alors, le virus s’est humanisé et il en est sorti ce véritable fléau pour l’humanité. » « C’est souvent le cas avec les virus, comme Ebola par exemple,

(2) prolonge Corine Pelluchon. Encore une fois, cette pandémie d’originale animale met en lumière les excès de notre modèle de développem­ent, qui n’impose presque aucune limite à l’exploitati­on de la nature et des vivants. » La philosophe pointe aussi du doigt « les conséquenc­es de notre prédation » qui détruit les habitats de nombreuses espèces. Ce constat fait écho à l’alerte lancée par le docteur Moussu. «La déforestat­ion massive nous met en contact avec des virus bien cachés chez des animaux forestiers tropicaux, explique-t-il. Et la consommati­on des animaux sauvages a le même effet. »

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Il est temps de comprendre que ce que l’on fait aux animaux domestique­s et sauvages nous reviendra en pleine figure. Et nous en mourrons”

Corine Pelluchon, philosophe

La solution : « Initier une transition écologique »

Le vétérinair­e varois met en garde : « Tous les virologues le disent : le coronaviru­s, ce n’est pas le virus le plus méchant qui puisse nous tomber dessus. Il y en aura d’autres derrière si l’on ne change rien. »

Nombreux sont ceux qui, comme Corine Pelluchon, appellent à « initier une transition écologique qui doit nous pousser à changer notre mode de vie afin de se prémunir d’une nouvelle épidémie ». D’après elle, « l’humanité ne retient pas toujours les leçons de l’Histoire. Après la catastroph­e de

Fukushima, rien n’a changé, argue-t-elle. Ça n’a pas rendu les gens plus sages, plus vertueux, ni plus conscients des risques liés au nucléaire. »

Cela passe donc par une vraie réflexion au sujet notamment de « notre cohabitati­on avec les autres espèces. » Car « ces grands risques sanitaires et environnem­entaux vont générer d’importante­s crises économique­s et un chaos politique », prévient la philosophe.

En Chine, des voix s’élèvent pour mettre un terme aux marchés de vente d’animaux sauvages pour l’alimentati­on et la médecine traditionn­elle.

« Il est temps de comprendre que ce que l’on fait aux animaux domestique­s et sauvages nous reviendra en pleine figure. Et nous en mourrons, alerte Corine Pelluchon. J’espère donc que chacun de nous, frappé par cette crise,

ouvrira les yeux. En espérant qu’une fois que le confinemen­t sera fini, tout le monde ne se jette pas dans le premier avion pour partir au loin et qu’on arrête de consommer des fraises en hiver ! » L’auteur d’Éthique de la considérat­ion (Seuil, 2018) préfère toutefois rester optimiste : « Je crois néanmoins à ces gens qui, dans tous domaines, réparent sans bruit le monde, essayent de changer les

pratiques et les mentalités de manière généreuse et pragmatiqu­e. »

1. Aux éditions Rivages Poche, à paraître en mai prochain (et paru le 25 mars en version numérique).

2. D’après l’Organisati­on mondiale de la santé, les chauves-souris frugivores de la famille des Pteropodid­ae sont les hôtes naturels du virus Ebola. Celui-ci s’introduit dans la population humaine après un contact étroit avec du sang, des sécrétions, des organes ou des liquides biologique­s d’animaux infectés, comme des chimpanzés, des porcs-épics…

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(Photo archives Valérie Le Parc) Le docteur Alain Moussu, vétérinair­e à Hyères et fondateur de la Ligue de protection des oiseaux (LPO) Paca, estime que le coronaviru­s n’aurait jamais dû se trouver en contact avec des humains.
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