« Revoir notre rapport à la nature »
Un vétérinaire varois et une philosophe fustigent le comportement des hommes vis-à-vis des autres espèces. Et espèrent qu’ils tireront les leçons de la crise sanitaire pour changer de mode de vie
Àl’heure où la moitié de la population mondiale est désormais invitée à rester cloîtrée chez elle, nombreuses sont les voix qui s’élèvent pour tirer des enseignements de cette pandémie.
Parmi elles, la philosophe Corine Pelluchon, professeure à l’université GustaveEiffel, à Paris, et auteure de Réparons le monde. Humains, animaux, nature (1).
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Tous les virologues le disent : le coronavirus n’est pas le virus le plus méchant qui puisse nous tomber dessus. Il y en aura d’autres si l’on ne change rien.”
Alain Moussu, vétérinaire
Les causes de la crise « pas surprenantes »
Si la crise que nous traversons aujourd’hui peut paraître surprenante, selon elle, « ses causes ne le sont pas ». La philosophe ne cherche pas à minimiser l’ampleur de cette pandémie, mais elle refuse de parler de «guerre». « C’est une crise sanitaire qui découle de l’aberration de notre mode de développement, de notre comportement vis-à-vis des autres espèces », rectifie-t-elle d’entrée. Avant d’ajouter : « Les crises sanitaires et climatiques sont très souvent liées à notre mode de consommation et de production. »
Le docteur Alain Moussu, vétérinaire à Hyères et fondateur de la Ligue de protection des oiseaux (LPO) Paca, ne dit pas autre chose. Pour lui, les «improbables concours de circonstances » qui ont abouti à cette épidémie mondiale « sont provoqués par des comportements humains délétères qui font tomber cette fameuse barrière protectrice » censée protéger les humains de certains virus.
L’origine de la transmission du coronavirus fait encore débat au sein de la communauté scientifique. Mais les chercheurs sont unanimes sur un point : ce virus nous a été transmis par un animal.
« Les pangolins (ces petits mammifères suspectés d’être les hôtes intermédiaires qui auraient permis la transmission du virus à l’homme, ndlr) n’auraient jamais dû être en contact avec des crottes de chauves-souris sur ce marché de Wuhan, en Chine, analyse le docteur Moussu. Parce que ces deux espèces ne vivent pas du tout au même endroit. Alors, le virus s’est humanisé et il en est sorti ce véritable fléau pour l’humanité. » « C’est souvent le cas avec les virus, comme Ebola par exemple,
(2) prolonge Corine Pelluchon. Encore une fois, cette pandémie d’originale animale met en lumière les excès de notre modèle de développement, qui n’impose presque aucune limite à l’exploitation de la nature et des vivants. » La philosophe pointe aussi du doigt « les conséquences de notre prédation » qui détruit les habitats de nombreuses espèces. Ce constat fait écho à l’alerte lancée par le docteur Moussu. «La déforestation massive nous met en contact avec des virus bien cachés chez des animaux forestiers tropicaux, explique-t-il. Et la consommation des animaux sauvages a le même effet. »
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Il est temps de comprendre que ce que l’on fait aux animaux domestiques et sauvages nous reviendra en pleine figure. Et nous en mourrons”
Corine Pelluchon, philosophe
La solution : « Initier une transition écologique »
Le vétérinaire varois met en garde : « Tous les virologues le disent : le coronavirus, ce n’est pas le virus le plus méchant qui puisse nous tomber dessus. Il y en aura d’autres derrière si l’on ne change rien. »
Nombreux sont ceux qui, comme Corine Pelluchon, appellent à « initier une transition écologique qui doit nous pousser à changer notre mode de vie afin de se prémunir d’une nouvelle épidémie ». D’après elle, « l’humanité ne retient pas toujours les leçons de l’Histoire. Après la catastrophe de
Fukushima, rien n’a changé, argue-t-elle. Ça n’a pas rendu les gens plus sages, plus vertueux, ni plus conscients des risques liés au nucléaire. »
Cela passe donc par une vraie réflexion au sujet notamment de « notre cohabitation avec les autres espèces. » Car « ces grands risques sanitaires et environnementaux vont générer d’importantes crises économiques et un chaos politique », prévient la philosophe.
En Chine, des voix s’élèvent pour mettre un terme aux marchés de vente d’animaux sauvages pour l’alimentation et la médecine traditionnelle.
« Il est temps de comprendre que ce que l’on fait aux animaux domestiques et sauvages nous reviendra en pleine figure. Et nous en mourrons, alerte Corine Pelluchon. J’espère donc que chacun de nous, frappé par cette crise,
ouvrira les yeux. En espérant qu’une fois que le confinement sera fini, tout le monde ne se jette pas dans le premier avion pour partir au loin et qu’on arrête de consommer des fraises en hiver ! » L’auteur d’Éthique de la considération (Seuil, 2018) préfère toutefois rester optimiste : « Je crois néanmoins à ces gens qui, dans tous domaines, réparent sans bruit le monde, essayent de changer les
pratiques et les mentalités de manière généreuse et pragmatique. »
1. Aux éditions Rivages Poche, à paraître en mai prochain (et paru le 25 mars en version numérique).
2. D’après l’Organisation mondiale de la santé, les chauves-souris frugivores de la famille des Pteropodidae sont les hôtes naturels du virus Ebola. Celui-ci s’introduit dans la population humaine après un contact étroit avec du sang, des sécrétions, des organes ou des liquides biologiques d’animaux infectés, comme des chimpanzés, des porcs-épics…