Ventes illégales à Nice :la pharmacienne condamnée
Après quarante-deux ans d’activité sans nuage, elle a vendu, sous le manteau, des masques dans son officine de Saint-Sylvestre. La justice l’a sanctionnée et poussée vers la sortie
Tailleur bleu canard, chignon serré, lèvres pincées, Marie-Anne Raybaut, une pharmacienne de 71 ans, se retrouve devant le tribunal correctionnel de Nice. En pleine pandémie, alors que les professionnels de santé couraient les officines à la recherche de précieux masques, elle prétextait une rupture de stocks, refusait de fournir les Ehpad, de vendre aux infirmiers ou aux médecins. Dans le même temps, elle proposait au détail les masques 4,50 euros l’unité. Malgré les réquisitions de l’État. Elle fabriquait également, à la hâte, du gel hydroalcoolique non conforme à base de gel normalement destiné aux… échographies. Scandalisés par son comportement, ses propres salariés de la pharmacie SaintSylvestre, ont confirmé aux policiers ces détestables pratiques.
Six infractions reprochées
La septuagénaire bon chic bon genre a été placée en garde à vue le 23 mars. Elle risque désormais de perdre le fruit d’une vie de travail. « J’y suis du matin au soir, du lundi au samedi », tente de justifier cette célibataire sans enfant dont les revenus mensuels, outre sa retraite de 2000 euros, sont complétés par 4 000 euros de dividendes. Six infractions lui sont au total reprochées. Le Conseil national de l’Ordre, indigné par un comportement qui jette l’opprobre sur toute une profession, lui réclame des dommages et intérêts.
L’Agence régionale de santé est également partie civile. D’une voix douce, à peine audible, la pharmacienne exprime ses regrets : «Je voudrais vous dire combien je suis triste. J’ai commis une erreur avec cette histoire de masques. Quant au gel, je faisais des essais. Je vous demande de me pardonner. J’ai voulu préserver mon personnel. Je suis meurtrie alors que j’ai essayé de rendre service, de trouver des solutions »
« Béchamel »
La pharmacienne invoque maladroitement un défaut d’information, minimise l’ambiance délétère dans son officine, explique qu’il s’agissait de son propre stock de masques, pas de la dotation de l’État.
Ses neuf employés ne supportaient plus, semble-t-il, ses accès de colère. La vente illégale de gants, de masques et de gel douteux a été la goutte d’eau… Un témoin évoque, pour le gel, « une fabrication de béchamel avec un mélange en vrac ». Cinquante et un flacons de gel hydroalcoolique de fabrication artisanale, non conforme aux recommandations de l’Organisation mondiale de la santé, vendus à un prix prohibitif (5 euros les 100 ml), ont été saisis par les enquêteurs.
« Madame a oublié son serment »
Le procureur Yves Teyssier parle « d’un comportement inadmissible dénoncé par des citoyens qui ont le sens de la solidarité ». Le magistrat a failli s’étrangler quand, pour se défendre, Marie-Anne Raybaut a cité le proverbe : « Charité bien ordonnée commence par soi-même. » « Madame a oublié son serment, oublié sa déontologie au profit de son business », tance le procureur. Il requiert un an de prison avec sursis, 280 heures de travaux d’intérêt général « pour lui apprendre la solidarité » et 25 000 euros d’amendes, « parce qu’elle a péché par cupidité ». Le magistrat réclame également cinq ans d’interdiction d’exercer et de gérer. En défense, Me Laurent Terrazoni reste persuadé que « les erreurs » de sa cliente ne méritent pas l’opprobre d’une comparution immédiate. « Aujourd’hui, pour un profit estimé au maximum à 3 000 euros, elle se retrouve dans une tempête médiatique et risque de perdre sa société. Mérite-t-elle de telles réquisitions alors qu’elle n’a jamais connu la moindre difficulté en quarante-deux ans ? Qu’elle va devoir affronter le tribunal de commerce et le tribunal administratif. »
Outre le mépris de ses confrères, la pharmacienne de Saint-Sylvestre s’est attirée, hier soir, les foudres de la justice pénale qui a estimé qu’elle avait essayé de s’enrichir au pire moment de la crise sanitaire.
Un an avec sursis, un an d’interdiction de gérer et d’exercer, 10 000 euros d’amende et 1 800 euros au Conseil de l’Ordre des pharmaciens. Avec cette sanction, la septuagénaire est priée par la justice d’abandonner son métier… Elle dispose de dix jours pour faire appel.