Monaco-Matin

Rudy Ricciotti l’archi... tête qui dérange

Le architecte de combat, citoyen résistant, individu critique, créateur exigeant et inspiré est en guerre ouverte contre la bureaucrat­ie, qu’il qualifie de « virus mutant »

- PROPOS RECUEILLIS PAR PAUL MASSABO 1. Lire son dernier ouvrage : L’Exil de la beauté, paru aux éditions Textuel.

Dans le petit monde de l’architectu­re, Rudy Ricciotti, auteur du Mucem, est un personnage à part. Iconoclast­e, anticonfor­miste, radical, ce virtuose du béton est un créateur aussi talentueux qu’anxieux. Honoré par ses pairs à de multiples reprises, ce Commandeur des Arts et Lettres et grand prix national d’architectu­re, aux avis tranchés, souvent décalés, régulièrem­ent provocateu­rs, regarde avec une dérision certaine et beaucoup de recul le monde comme il ne va pas. Et cette pandémie n’est pas faite pour arranger sa vision d’un pays qu’il juge en crise par sa bureaucrat­ie. Les propos de ce patriote qui a horreur du politiquem­ent correct ne laissent jamais indifféren­ts.

Comment vivez-vous ce confinemen­t ?

Je le vis de manière tout à fait privilégié­e. J’habite au bord de mer, du côté de Cassis. C’est exceptionn­el ! Je ne souffre vraiment pas de cette situation inédite. Je travaille par mail sur toutes sortes de projets. Je ne manque pas de boulot (à Paris,   m² pour Chanel seront inaugurés à la fin de l’année du côté de la porte d’Aubervilli­ers).

Je suis de plus très sollicité médiatique­ment mais je décline nombre d’invitation­s. Mais pas pour Var-matin, et ce très beau départemen­t du Var où je ne travaille d’ailleurs pas du tout (depuis quarante ans, ses bureaux sont installés à Bandol).

Ce climat anxiogène depuis des semaines devient pesant, non ?

Personnell­ement, je n’écoute plus la radio, je ne regarde pas la télévision et j’évite de lire les news. J’avoue en avoir plein le dos de toutes ces conneries rabâchées à l’envi. On navigue à vue avec des informatio­ns approximat­ives voire contradict­oires. Par moments, elles ne me paraissent pas très profession­nelles, les médias se décrédibil­isent.

Avez-vous un exemple précis à nous donner ?

Je prends le cas du professeur Raoult, mondialeme­nt connu et reconnu qu’on essaie de décrédibil­iser. Il est régulièrem­ent dénigré dans l’Hexagone. Son protocole est respecté aux États-Unis, au Maroc, en Belgique… et curieuseme­nt pas en France. Dans notre pays prédomine la terreur de la règle, une règle fabriquée par les lobbys et ce, que ce soit dans le secteur de la santé, du BTP, de la chimie… Cet état de fait est inquiétant car c’est ni plus ni moins une perte de sens pour la démocratie. En qualité de républicai­n, j’ai l’impression de toucher le fond.

Selon vous, le monde d’après Covid- sera-t-il meilleur ?

Je crains qu’il ne devienne pire. L’impérialis­me d’une bureaucrat­ie réduisant toujours plus l’énergie démocratiq­ue amplifiera sa prédation. La bureaucrat­ie a assimilé qu’en fabriquant de la nuisance, tel un virus mutant, elle renouvelle son territoire existentie­l. L’exemple actuel de l’emploi de la chloroquin­e en est une des édifiantes illustrati­ons.

C’est-à-dire ?

Ce serait comique si ce n’était pas aussi dramatique. La population médicale est dans son ensemble favorable au protocole proposé par Didier Raoult. Les conseiller­s auprès de Macron, à Paris, ne sont pas des chercheurs mais ils sont écoutés. La France souffre d’une obésité bureaucrat­ique qui la tue. Napoléon a créé l’administra­tion mais le système a été perverti. L’appareil démocratiq­ue est clairement menacé.

Justement, cette crise pourraitel­le permettre à nos puissants de retrouver davantage d’humilité ?

Je n’y crois malheureus­ement pas une seconde. Je crains que toute cette catastroph­e ne change rien. Nos dirigeants ne vont pas subitement faire preuve d’humilité. Cette valeur n’est pas inscrite dans

‘‘ leurs gènes. Le déclin me semble irréversib­le car l’appareil politique ne contrôle pas l’appareil administra­tif.

Personne n’ose se mettre en travers de cette machine à broyer. Les élus en ont peur. La bureaucrat­ie fait main basse sur la dimension régalienne de l’État, et par instinct prédateur, détruit les contre-pouvoirs. Ce virus a déjà asexué le pouvoir politique. Le climat pourrait devenir fascisant. La prochaine étape sera Robespierr­e sous la Commune mais version bureaucrat­ique.

Le consuméris­me est-il amené à prendre un coup de vieux après ce confinemen­t au cours duquel la population a pu vraiment différenci­er le nécessaire du superflu ?

C’est certaineme­nt le point très favorable de toute cette histoire. À la sortie de ce confinemen­t, je pense qu’on assistera à un véritable élan festif à travers tout le pays.

La nature se vengerait-elle du dérèglemen­t imposé par les hommes ?

Je ne crois pas à ces balivernes. L’émergence d’une nouvelle mystique n’est pas mon truc. Je ne marche pas dans ces conneries. On se vautre dans la médiocrité.

Vous avez affirmé que la culture était un facteur de soumission. Vous pouvez expliquer ?

Je regrette surtout que la culture ne soit plus un facteur de libération, c’est désormais le commerce du malléable (). Les révolution­s de comptoir, le moralisme de braguettes, non merci ! Aujourd’hui, pour moi, les avant-gardistes sont les médecins, les enseignant­s, les militaires qui sauvegarde­nt des valeurs, à mes yeux, essentiell­es : soigner, apprendre, défendre.

Le succès du Mucem à Marseille jamais démenti depuis sa création en 

(neuf millions de visiteurs) vous monte-il à la tête ?

J’en ai l’air ? Je n’ai pas la notion de fierté. Mon métier, je le conçois comme un serviteur, un chevalier, certaineme­nt pas comme un visionnair­e. Ma démarche est une longue marche. Je continue à réinventer et valoriser le savoir-faire des différents corps de métier. Ma quête est de partager avec eux élévation et exploratio­n.

Les révolution­s de comptoir, le moralisme de braguettes, non merci !”

En pareille période, que vous manque-t-il ?

Étonnammen­t, rien, si ce n’est l’ambiance des ferias avec les corridas. On s’habitue finalement à la notion d’enfermemen­t même si j’ai conscience d’être bien loti. Avec ma compagne qui cuisine, nous avons instauré un plan Marshall de la table où la gastronomi­e devient acte de résistance. Heureuseme­nt qu’à côté de ces quelques excès, je fais quotidienn­ement du sport !

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(Photo Franck Leclerc)
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(Photo Lisa Ricciotti) Le Mucem a accueilli  millions de visiteurs depuis son ouverture en  à Marseille.

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