Rudy Ricciotti l’archi... tête qui dérange
Le architecte de combat, citoyen résistant, individu critique, créateur exigeant et inspiré est en guerre ouverte contre la bureaucratie, qu’il qualifie de « virus mutant »
Dans le petit monde de l’architecture, Rudy Ricciotti, auteur du Mucem, est un personnage à part. Iconoclaste, anticonformiste, radical, ce virtuose du béton est un créateur aussi talentueux qu’anxieux. Honoré par ses pairs à de multiples reprises, ce Commandeur des Arts et Lettres et grand prix national d’architecture, aux avis tranchés, souvent décalés, régulièrement provocateurs, regarde avec une dérision certaine et beaucoup de recul le monde comme il ne va pas. Et cette pandémie n’est pas faite pour arranger sa vision d’un pays qu’il juge en crise par sa bureaucratie. Les propos de ce patriote qui a horreur du politiquement correct ne laissent jamais indifférents.
Comment vivez-vous ce confinement ?
Je le vis de manière tout à fait privilégiée. J’habite au bord de mer, du côté de Cassis. C’est exceptionnel ! Je ne souffre vraiment pas de cette situation inédite. Je travaille par mail sur toutes sortes de projets. Je ne manque pas de boulot (à Paris, m² pour Chanel seront inaugurés à la fin de l’année du côté de la porte d’Aubervilliers).
Je suis de plus très sollicité médiatiquement mais je décline nombre d’invitations. Mais pas pour Var-matin, et ce très beau département du Var où je ne travaille d’ailleurs pas du tout (depuis quarante ans, ses bureaux sont installés à Bandol).
Ce climat anxiogène depuis des semaines devient pesant, non ?
Personnellement, je n’écoute plus la radio, je ne regarde pas la télévision et j’évite de lire les news. J’avoue en avoir plein le dos de toutes ces conneries rabâchées à l’envi. On navigue à vue avec des informations approximatives voire contradictoires. Par moments, elles ne me paraissent pas très professionnelles, les médias se décrédibilisent.
Avez-vous un exemple précis à nous donner ?
Je prends le cas du professeur Raoult, mondialement connu et reconnu qu’on essaie de décrédibiliser. Il est régulièrement dénigré dans l’Hexagone. Son protocole est respecté aux États-Unis, au Maroc, en Belgique… et curieusement pas en France. Dans notre pays prédomine la terreur de la règle, une règle fabriquée par les lobbys et ce, que ce soit dans le secteur de la santé, du BTP, de la chimie… Cet état de fait est inquiétant car c’est ni plus ni moins une perte de sens pour la démocratie. En qualité de républicain, j’ai l’impression de toucher le fond.
Selon vous, le monde d’après Covid- sera-t-il meilleur ?
Je crains qu’il ne devienne pire. L’impérialisme d’une bureaucratie réduisant toujours plus l’énergie démocratique amplifiera sa prédation. La bureaucratie a assimilé qu’en fabriquant de la nuisance, tel un virus mutant, elle renouvelle son territoire existentiel. L’exemple actuel de l’emploi de la chloroquine en est une des édifiantes illustrations.
C’est-à-dire ?
Ce serait comique si ce n’était pas aussi dramatique. La population médicale est dans son ensemble favorable au protocole proposé par Didier Raoult. Les conseillers auprès de Macron, à Paris, ne sont pas des chercheurs mais ils sont écoutés. La France souffre d’une obésité bureaucratique qui la tue. Napoléon a créé l’administration mais le système a été perverti. L’appareil démocratique est clairement menacé.
Justement, cette crise pourraitelle permettre à nos puissants de retrouver davantage d’humilité ?
Je n’y crois malheureusement pas une seconde. Je crains que toute cette catastrophe ne change rien. Nos dirigeants ne vont pas subitement faire preuve d’humilité. Cette valeur n’est pas inscrite dans
‘‘ leurs gènes. Le déclin me semble irréversible car l’appareil politique ne contrôle pas l’appareil administratif.
Personne n’ose se mettre en travers de cette machine à broyer. Les élus en ont peur. La bureaucratie fait main basse sur la dimension régalienne de l’État, et par instinct prédateur, détruit les contre-pouvoirs. Ce virus a déjà asexué le pouvoir politique. Le climat pourrait devenir fascisant. La prochaine étape sera Robespierre sous la Commune mais version bureaucratique.
Le consumérisme est-il amené à prendre un coup de vieux après ce confinement au cours duquel la population a pu vraiment différencier le nécessaire du superflu ?
C’est certainement le point très favorable de toute cette histoire. À la sortie de ce confinement, je pense qu’on assistera à un véritable élan festif à travers tout le pays.
La nature se vengerait-elle du dérèglement imposé par les hommes ?
Je ne crois pas à ces balivernes. L’émergence d’une nouvelle mystique n’est pas mon truc. Je ne marche pas dans ces conneries. On se vautre dans la médiocrité.
Vous avez affirmé que la culture était un facteur de soumission. Vous pouvez expliquer ?
Je regrette surtout que la culture ne soit plus un facteur de libération, c’est désormais le commerce du malléable (). Les révolutions de comptoir, le moralisme de braguettes, non merci ! Aujourd’hui, pour moi, les avant-gardistes sont les médecins, les enseignants, les militaires qui sauvegardent des valeurs, à mes yeux, essentielles : soigner, apprendre, défendre.
Le succès du Mucem à Marseille jamais démenti depuis sa création en
(neuf millions de visiteurs) vous monte-il à la tête ?
J’en ai l’air ? Je n’ai pas la notion de fierté. Mon métier, je le conçois comme un serviteur, un chevalier, certainement pas comme un visionnaire. Ma démarche est une longue marche. Je continue à réinventer et valoriser le savoir-faire des différents corps de métier. Ma quête est de partager avec eux élévation et exploration.
Les révolutions de comptoir, le moralisme de braguettes, non merci !”
En pareille période, que vous manque-t-il ?
Étonnamment, rien, si ce n’est l’ambiance des ferias avec les corridas. On s’habitue finalement à la notion d’enfermement même si j’ai conscience d’être bien loti. Avec ma compagne qui cuisine, nous avons instauré un plan Marshall de la table où la gastronomie devient acte de résistance. Heureusement qu’à côté de ces quelques excès, je fais quotidiennement du sport !