« Pour certains hommes, le confinement n’est pas viril »
Selon Christine Castelain Meunier, sociologue, la cohabitation crée de nouvelles contraintes : télétravail, repas à la maison, etc. Cette réorganisation de la répartition des rôles place les femmes en première ligne
Peut-on dire que le confinement met en lumière le rôle des hommes et des femmes dans notre société à la façon d’un laboratoire de la répartition des tâches ?
Bien sûr, et ce que l’on constate dans cette période où parents et enfants sont toute la journée sous le même toit, c’est que les femmes cumulent de nombreuses fonctions. D’abord, elles restent mères, sous l’angle affectif. Ensuite, elles travaillent ou télétravaillent, pour beaucoup d’entre elles. Mais, en plus, elles jouent le rôle d’institutrice, d’animatrice et de cuisinière pour la famille midi et soir. Celles qui avaient la chance
‘‘ d’être aidées quelques heures par semaine par une femme de ménage doivent, aussi, entretenir leur maison. Et c’est enfin souvent à elles qu’il revient de créer un bon état d’esprit dans la famille pour que cette parenthèse reste joyeuse ! Le confinement n’est pas viril. Résultat, en ce moment, les femmes sont fatiguées.
Avec ces multiples casquettes, difficile d’être à % dans le télétravail. La carrière des femmes pendant le confinement peut-elle en pâtir et les inégalités professionnelles se creuser davantage ?
C’est un peu tôt pour le dire. Mais ce qui est sûr, c’est que celles qui télétravaillent ont des journées à rallonge, n’hésitant pas à travailler tôt le matin ou tard le soir quand la maison est calme et que les tâches domestiques sont terminées. Les conditions pour gérer sa carrière ne sont pas évidentes.
Toutefois, certains hommes mettent volontiers la main à la pâte…
C’est vrai, même si cela concerne les plus jeunes. En règle générale, l’homme a l’habitude de circuler à l’extérieur. C’est un héritage culturel : quand il rentre à la maison, c’est plutôt pour se reposer.
Certains hommes supportent ainsi mal d’être obligés de rester à l’intérieur sans possibilité de prendre la tangente. Mais il faut le souligner : pour la jeune génération de pères, les / ans et moins, la hiérarchie de valeurs a changé.
Eux aspirent à combiner travail et famille et ne veulent pas sacrifier leur vie personnelle pour leur carrière. Cette génération a intégré une paternité impliquée : ils savent donner le biberon et changer une couche, et sont au courant des besoins de l’enfant âge par âge. Ils font les courses, cuisinent, etc. Pour ceux-là, le partage des tâches est naturel. Au point parfois que le confinement leur occasionne un choc : avec leur conjointe à la maison, ils n’ont plus la main !
Pensez-vous aussi que la fameuse « charge mentale » est démultipliée pour les mères de famille en cette période ?
Elle l’est car si certains hommes n’hésitent pas à prendre leur part pour faire tourner la maison, ce sont les femmes qui gèrent les emplois du temps, prennent des nouvelles de la famille, etc. Les hommes ne partagent pas cette charge mentale. En revanche, de plus en plus de pères de famille partagent la « charge morale » avec leurs conjointes : ils savent quels produits et quels aliments il est préférable d’acheter, leur qualité, leur provenance, s’intéressent à la santé de la famille… Autant de thèmes qui sont restés longtemps clivés.
Peut-il ressortir du positif de ce confinement : les hommes peuvent-ils changer leurs habitudes, s’impliquer davantage ?
Tout à fait. Certains hommes vont découvrir que la vie peut être riche de ces tâches du quotidien. Et que leur partage favorise l’harmonie du couple, l’amour et la tendresse. Que c’est aussi un partage de complicité.
Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes regrette qu’un « message des pouvoirs publics préconisant le partage des tâches à la maison n’ait pas trouvé place sur nos écrans ».
Qu’en pensez-vous ?
J’y serais tout à fait favorable. Communiquer sur le lavage des mains et les gestes barrière est indispensable. Mais en ces temps de confinement, on peut imaginer des messages qui rappellent l’importance de partager les tâches à la maison entre homme et femme. Attention, il ne s’agit en aucun cas de faire passer un message culpabilisant pour les hommes. Mais en employant l’humour, en attirant l’attention des hommes sur la nécessité d’épauler leurs femmes, en montrant que cuisiner ou occuper les enfants est non seulement source de plaisir, mais a aussi valeur d’exemplarité éducative, on peut atteindre cet objectif. Il faut dire aux hommes que ce n’est pas parce qu’on donne le biberon ou qu’on porte un tablier qu’on n’est pas sexy !
En ce moment les femmes sont fatiguées.”
Sociologue au CNRS et à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), Christine Castelain Meunier est l’auteur de deux ouvrages : L’Instinct paternel.
Plaidoyer en faveur des nouveaux pères, Larousse (2019) et Le Confinement : un révélateur des rôles sociaux des femmes et des hommes, paru le 14 avril. À lire sur : Haut-conseil-egalite.gouv.fr