Au conditionnel
On le savait, ou on le pressentait : le mai ne sera pas le jour d’après. Une de ces journées de soleil où le peuple en liesse prend la rue au son des flonflons pour célébrer la fin des combats.
Ce sera un jour de plus sur le long chemin du retour à la normale. Le premier d’une nouvelle étape : celle qui doit mener à l’éradication totale du Covid-, dans un délai que nul – ni politique, ni scientifique – ne peut aujourd’hui prévoir. Ces choses-là ne se décrètent pas. On s’en doutait, mais le discours du Premier ministre carré, pédagogique, sans pathos ni fleurs de rhétorique, aussi précis qu’on peut l’être dans ces temps incertains, a mis les points sur les « i ».
Le déconfinement sera étalé dans le temps.
Différentié, car tous les territoires ne sont pas frappés de la même façon. Et partiel. Bars et restaurants fermés – au mieux – jusqu’au début juin. Rassemblements sur la voie publique limités. Déplacements à plus de km du domicile seulement pour motif « impérieux », etc.
Une sortie de quarantaine par la porte étroite. Au surplus, et c’est le point le plus nouveau, le déconfinement reste à ce jour conditionnel. Il se fonde sur une hypothèse :
nouveaux cas par jour autour du
mai. « Si les indicateurs ne sont au rendezvous, avertit Édouard Philippe, nous ne déconfinerons pas le mai, ou nous le ferons plus strictement »
Plus strictement, ce pourrait être département par département, selon un classement en rouge ou vert, en fonction de la circulation du virus, des capacités hospitalières locales et de l’état du système de dépistage. On voit l’idée. Objet de toutes les craintes et d’attentes contradictoires, prématuré pour les uns, trop tardif pour les autres, trop risqué ou trop restrictif selon le point de vue où l’on se place
(c‘était caricatural, hier, à écouter les intervenants des groupes d’opposition à l’Assemblée, les représentants syndicaux, éditorialistes, etc. critiquer le plan Philippe avec un luxe d’arguments… parfaitement antinomiques) : le déconfinement est de ces opérations politiques où l’on n’a pas le droit à l’erreur, beaucoup de coups à prendre et peu de visibilité sur l’avenir.
« La déconfinement est à la fois un compromis et un pari. »
En France comme dans tous les pays confrontés à la même tragédie (et qui d’ailleurs déconfinent à peu près aux mêmes dates, selon des modalités en fin de compte très comparables), le déconfinement est à la fois un compromis et un pari.
Compromis entre les considérations sanitaires, qui pousseraient à retarder au maximum, et les urgences économiques : le « risque de l’écroulement » invoqué par le Premier ministre. Ce n’est pas un vain mot, quand on voit l’explosion du coût financier de
la crise et son cortège de drames sociaux. Pari que dans la balance, les bienfaits l’emporteront finalement sur les méfaits. Et concrètement, que les conditions requises pour la bonne marche de l’opération pourront être réunies d’ici au mai. On parle ici de masques, de tests, et de la capacité de remonter les chaînes de contamination grâce à l’intervention de brigades sanitaires et/ou à la fameuse appli « StopCovid », objet de grands débats juridiques et philosophiques – mais sur l’effectivité de laquelle le Premier ministre semble assez… dubitatif. On parle aussi du civisme des citoyens, de leur respect des consignes et des mesures sanitaires.
Il est des circonstances où gouverner, c’est parier. Face à l’inédit, on ne peut pas se reporter aux instructions du manuel : il n’existe pas. Tout juste peut-on espérer maximiser les chances et réduire les risques : c’est à quoi répond le « si le mai… » du Premier ministre. Cela fait bien des conditionnels, dira-t-on, dans une période qui rêve de certitudes.
Il faut s’y faire. Et sans doute nous habituer pour un temps, si inconfortable que ce soit, à penser ainsi : au conditionnel.