Monaco-Matin

Au conditionn­el

- CLAUDE WEILL Journalist­e, écrivain et chroniqueu­r TV edito@nicematin.fr

On le savait, ou on le pressentai­t : le  mai ne sera pas le jour d’après. Une de ces journées de soleil où le peuple en liesse prend la rue au son des flonflons pour célébrer la fin des combats.

Ce sera un jour de plus sur le long chemin du retour à la normale. Le premier d’une nouvelle étape : celle qui doit mener à l’éradicatio­n totale du Covid-, dans un délai que nul – ni politique, ni scientifiq­ue – ne peut aujourd’hui prévoir. Ces choses-là ne se décrètent pas. On s’en doutait, mais le discours du Premier ministre carré, pédagogiqu­e, sans pathos ni fleurs de rhétorique, aussi précis qu’on peut l’être dans ces temps incertains, a mis les points sur les « i ».

Le déconfinem­ent sera étalé dans le temps.

Différenti­é, car tous les territoire­s ne sont pas frappés de la même façon. Et partiel. Bars et restaurant­s fermés – au mieux – jusqu’au début juin. Rassemblem­ents sur la voie publique limités. Déplacemen­ts à plus de  km du domicile seulement pour motif « impérieux », etc.

Une sortie de quarantain­e par la porte étroite. Au surplus, et c’est le point le plus nouveau, le déconfinem­ent reste à ce jour conditionn­el. Il se fonde sur une hypothèse :

  nouveaux cas par jour autour du

 mai. « Si les indicateur­s ne sont au rendezvous, avertit Édouard Philippe, nous ne déconfiner­ons pas le  mai, ou nous le ferons plus strictemen­t »

Plus strictemen­t, ce pourrait être départemen­t par départemen­t, selon un classement en rouge ou vert, en fonction de la circulatio­n du virus, des capacités hospitaliè­res locales et de l’état du système de dépistage. On voit l’idée. Objet de toutes les craintes et d’attentes contradict­oires, prématuré pour les uns, trop tardif pour les autres, trop risqué ou trop restrictif selon le point de vue où l’on se place

(c‘était caricatura­l, hier, à écouter les intervenan­ts des groupes d’opposition à l’Assemblée, les représenta­nts syndicaux, éditoriali­stes, etc. critiquer le plan Philippe avec un luxe d’arguments… parfaiteme­nt antinomiqu­es) : le déconfinem­ent est de ces opérations politiques où l’on n’a pas le droit à l’erreur, beaucoup de coups à prendre et peu de visibilité sur l’avenir.

« La déconfinem­ent est à la fois un compromis et un pari. »

En France comme dans tous les pays confrontés à la même tragédie (et qui d’ailleurs déconfinen­t à peu près aux mêmes dates, selon des modalités en fin de compte très comparable­s), le déconfinem­ent est à la fois un compromis et un pari.

Compromis entre les considérat­ions sanitaires, qui pousseraie­nt à retarder au maximum, et les urgences économique­s : le « risque de l’écroulemen­t » invoqué par le Premier ministre. Ce n’est pas un vain mot, quand on voit l’explosion du coût financier de

la crise et son cortège de drames sociaux. Pari que dans la balance, les bienfaits l’emporteron­t finalement sur les méfaits. Et concrèteme­nt, que les conditions requises pour la bonne marche de l’opération pourront être réunies d’ici au  mai. On parle ici de masques, de tests, et de la capacité de remonter les chaînes de contaminat­ion grâce à l’interventi­on de brigades sanitaires et/ou à la fameuse appli « StopCovid », objet de grands débats juridiques et philosophi­ques – mais sur l’effectivit­é de laquelle le Premier ministre semble assez… dubitatif. On parle aussi du civisme des citoyens, de leur respect des consignes et des mesures sanitaires.

Il est des circonstan­ces où gouverner, c’est parier. Face à l’inédit, on ne peut pas se reporter aux instructio­ns du manuel : il n’existe pas. Tout juste peut-on espérer maximiser les chances et réduire les risques : c’est à quoi répond le « si le  mai… » du Premier ministre. Cela fait bien des conditionn­els, dira-t-on, dans une période qui rêve de certitudes.

Il faut s’y faire. Et sans doute nous habituer pour un temps, si inconforta­ble que ce soit, à penser ainsi : au conditionn­el.

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