« Faut-il publier des articles scientifiques pour être un expert du Covid- ? »
À Patrick Navard, directeur de recherche émérite au CNRS
Le chercheur Patrick Navard travaille avec le Centre de mise en forme des matériaux (Mines Paris Tech associé au CNRS), à Sophia Antipolis. Il enseigne, dans plusieurs écoles doctorales du département, l’éthique de la communication scientifique. Et anime « Science pour tous ». Il précise : « A bien y réfléchir, ce moment un peu bizarre est peutêtre l’occasion de faire un peu de vulgarisation dépassionnée sur comment la science fonctionne…»
Comment juger des résultats des recherches scientifiques sur le Covid- ?
Une publication scientifique cosignée par le professeur Raoult de Marseille faisant la promotion d’un traitement à base d’hydroxychloroquine, fait beaucoup parler d’elle. De nombreuses personnes, citoyens, chanteurs, sportifs, maires de grande ville, voire chefs d’État ont soutenu ce travail. Des pétitions demandant que la chloroquine soit administrée massivement ont réuni des centaines de milliers de signatures. Dans ce contexte, il me semble utile de décrire ce qu’est une publication scientifique. Pourquoi et comment les chercheurs publient-ils des articles scientifiques et quel crédit peuton leur apporter ?
La course à la publication : publier ou périr…
Un chercheur scientifique a pour mission première d’effectuer des travaux novateurs, qui ont vocation à être publiés dans les meilleures revues scientifiques. C’est l’un des critères principaux qui va forger sa réputation et permettre de juger de son travail, de sa productivité et donc conditionner sa carrière. Comment publie-t-on ?
Un article scientifique s’appuie sur ce qui a déjà été publié précédemment. Il doit décrire comment le travail a été conduit. C’est le point fondamental car ceci doit permettre à d’autres équipes de reproduire ce même travail et donc de valider la démarche et les résultats. Sans cette validation, un article scientifique n’a qu’une valeur très limitée, voire aucune si les auteurs se sont trompés. L’article est soumis à une revue qui l’enverra à des experts, qui sont d’autres scientifiques dont les auteurs ne connaissent pas les noms. Ceux-ci critiqueront l’article et jugeront s’il est publiable ou non.
C’est la validation par les pairs, permettant de limiter la publication d’articles comprenant des erreurs de méthodes ou de raisonnements. Après parfois plusieurs allers-retours et corrections, l’article sera peut-être publié. Les meilleures revues rejettent % des articles soumis.
La recherche : un travail d’équipe ?
La science étant souvent un travail d’équipe, se pose la question de qui va être coauteur de l’article. La règle de base est qu’il faut y avoir apporté une contribution significative. Dans les organismes de recherche français, un chercheur est productif s’il publie à articles par an en moyenne, selon les domaines scientifiques. Certains chercheurs, à la tête d’équipes bien structurées ou impliqués dans des collaborations efficaces, sont impliqués dans parfois dixquinze articles. C’est le cas des prix Nobel qui publient jusqu’à six cents articles dans leur carrière. Au-delà, et en particulier lorsque le nombre d’articles atteint plusieurs milliers, le nom du chercheur a très probablement été ajouté sans qu’il n’ait apporté aucune contribution, ce qui n’est pas éthiquement admissible.
Comment juger des résultats des recherches scientifiques sur le Covid- ?
Un article scientifique n’a que peu, ou pas, de valeur si d’autres chercheurs ne reproduisent et confirment les résultats. Aucune étude publiée à ce jour ne permet d’affirmer que l’hydroxychloroquine soit efficace pour soigner l’infection au Covid. Considérer une étude isolée publiée dans un article scientifique comme l’expression d’une vérité incontestable ne relève que de la foi. Vu l’incroyable impact médical et économique de cette pandémie, de nombreuses études sont en cours dans le monde entier pour trouver un traitement efficace contre le Covid-. Malheureusement, aucune ne semble aujourd’hui montrer un semblant d’efficacité. Ce sera le défi majeur pour assurer un déconfinement sans retour fort de la contamination.
Il n’est donc pas possible de signer une quelconque pétition pour ou contre un médicament traitant du Covid-, de faire suivre des avis péremptoires sur les réseaux sociaux ou d’affirmer quoique ce soit en l’absence d’une vaste validation scientifique indispensable et indiscutable.