« J’espère que le monde ne sera pas trop abîmé »
Depuis chez elle, à Contes, la romancière s’insurge contre la romantisation du confinement et s’interroge pour l’après, en essayant de rester optimiste
La romancière, qui vit depuis une trentaine d’années à La Pointe de Contes, dans le moyens pays niçois, a l’habitude de l’isolement. Pour écrire la quarantaine de romans qu’elle a publiée depuis les années 1980, dont Anchise qui lui valut le prix Femina en 1999 et Machin, sorti il y a tout juste un an, dans lequel elle revenait sur la vie d’un réalisateur niçois au temps du cinéma muet, Maryline Desbiolles se coupe souvent du monde. Dans son bureau, à l’écart de sa maison. Pour autant, dit-elle, «çan’arienàvoir» . « Affectée par l’état du monde », elle ne cherche pas à masquer son inquiétude, mais veut rester optimiste.
Vous avez publié deux tribunes dans Le Monde, fin mars et mi-avril, dans lesquelles vous évoquiez votre anxiété, votre sentiment de solitude. Après un mois, cela a-t-il changé ?
Pas vraiment, disons que je m’insurge un peu contre l’idée que le confinement pourrait être vu comme un bien. Je ne le vois pas du tout comme ça. Je ne cherche surtout pas à donner une leçon, mais je demande comment on peut se réjouir de retrouver je ne sais quelle essentialité alors que le monde va mal. Alors que des gens ne mangent pas à leur faim, alors que ceux qui travaillent ne sont pas bien protégés, alors que d’autres se battent dans les hôpitaux pour nous. J’ai du mal et je suis un peu choquée par la posture de certains intellectuels.
La romantisation du confinement, notamment par certains de vos collègues écrivains, a été vivement critiquée…
Et il y a de quoi ! Moi, j’ai un peu honte. Je trouve que ce confinement marque encore plus les fractures sociales. Ces réactions sont des postures de grands bourgeois. Il en va aussi de la responsabilité des journaux qui publient, c’est quasi insultant. Ce qui me désole aussi, c’est le fait de dire “je cours toujours, finalement là, je peux me remettre à lire, à faire ce que je ne fais pas d’habitude”… C’est dramatique s’il faut une pandémie pour retrouver le goût des choses.
Vous, dont les livres sont le métier, vous n’arrivez pas à lire…
Non. La lecture, c’est comparable à l’écriture finalement, c’est s’engager dans quelque chose. Il faut avoir l’esprit disponible et je n’y arrive pas. Je l’ai vraiment mesuré avec ce confinement. Après, on se rend compte qu’on a des ressources… Mon angoisse n’a pas disparu, mais je crois que je suis pourvue d’un optimisme un peu irrationnel. Quelque chose de l’ordre de “on est en vie”.
Comment espérez-vous l’après ?
Est-ce que tout va changer ? Va-ton prendre conscience de choses ? J’espère. J’espère que les questions écologiques, par exemple, qui sont liées aussi à tout ça, seront encore à l’ordre du jour. Est-ce que le monde littéraire va changer, tiens ? Puisqu’on dit toujours que les rentrées littéraires, les prix, ça ne va pas… J’en doute, mais j’espère. J’espère que le monde ne sera pas trop abîmé, en même temps ce serait dommage de revenir à ce qu’il était exactement. Dans les hôpitaux par exemple, ça ne peut pas être comme avant ! Le fait qu’on ait laissé tomber un rouage aussi essentiel de nos sociétés pour des notions de profit, là, c’est flagrant, ça doit changer. Et cette réflexion fera peut-être tache d’huile dans d’autres domaines ? Notamment chez les jeunes, je crois, qui sont plus angoissés encore par l’état du monde que par le virus.
La situation vous inspire-t-elle quelque chose dans votre travail d’écrivain ?
Inspire non, en revanche elle aura des conséquences sur ce que je fais. Avant le confinement, j’avais l’idée d’écrire sur la marche oubliée de l’année : la Marche pour l’égalité et contre le racisme. Une marche partie d’une quinzaine de personnes, d’abord des Minguettes [quartier de Vénissieux près de Lyon, ndlr] via Marseille, jusqu’à Paris où, là, il y avait personnes.
J’avais envie d’écrire une épopée sur un évènement politique, je me suis documentée et je voulais rencontrer les gens qui y ont participé. Avec le confinement, ce projet est tombé à l’eau… mais finalement, il m’est devenu encore plus précieux. Cette marche, dérisoire au départ, qui a fait naître un espoir incroyable. Au lieu de rencontrer les gens en question, je leur ai proposé de se parler par WhatsApp ou autre. J’ai essayé de faire quelque chose avec cette angoisse. Et mon projet ne sera pas le même que celui que j’imaginais. Plusieurs choses me tiennent à coeur : c’est une marche, ça traverse la France et ça part de quartiers, aujourd’hui aussi ce sont les gens des quartiers qui sont en premières lignes, les aides-soignantes, les livreurs, les caissières, qui vivent dans des petits appartements. Vraiment, ce confinement met en avant les injustices. Ça se voit comme le nez au milieu de la figure ! Il met encore plus les gens dans des bulles.
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Ce confinement marque encore plus les fractures sociales”
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C’est dramatique s’il faut une pandémie pour retrouver le goût des choses”
Il faudra faire des efforts pour en ressortir ?
Oui, je crois. J’ai peur de la peur, de l’entre-soi. On a beaucoup dit, par exemple, que les gens ne respectaient pas le confinement dans les banlieues, il y a précisément une stigmatisation. Le fait, tout simplement, que l’on reparle de frontières aussi, qu’elles soient fermées, c’est quelque chose ! Comment va-t-on se relever de ça ? On est sur la corde raide. Va-t-on être plus vertueux ou se replier complètement ? Ça fait peur et, en même temps, il y a de vrais enjeux. Quant à savoir si cette injonction du “quoiqu’il en coûte” sera mise en oeuvre, l’avenir nous le dira… mais c’est tout de même une parole qui a des conséquences !