La ville comme vous ne
Il est le designer sonore du tramway de Nice. Pour Michel Redolfi, le confinement suscite une expérience urbaine inédite. Du Vieux-Nice à la Prom’, il décrypte ce nouveau monde acoustique
Qu’elle semble calme, l’avenue Jean-Médecin, avec ses commerces clos. Dans l’air, flotte un silence inhabituel. Et soudain, ce grattement. Ce faible son surgi du vide qui intrigue Michel Redolfi alors qu’il tourne une vidéo avec son smartphone. Il songe d’abord à un petit animal. Il réalise qu’il s’agit de… la tranche d’une feuille morte qui gratte le bitume. Cette expérience insolite, Michel Redolfi l’a vécue au coeur de Nice confinée. Une ville qui, comme tant d’autres, révèle un visage insoupçonné. Elle offre un terrain d’exploration inédit à ce Niçois, qui a signé le design sonore des trois lignes de son tramway.
La ville a changé ? Le choc visuel est évident. Des milliers de photographies l’ont d’ores et déjà immortalisé. Mais l’écho de la crise sanitaire est aussi spectaculaire. « Exceptionnel ! », s’exclame le compositeur niçois.
Beauté maléfique
Entendons-nous bien : la situation n’a vraiment rien de plaisante. «Je ne veux pas faire l’esthète qui se réjouit du silence », insiste Michel Redolfi. Il n’oublie pas que ces non-dits urbains cachent bien des drames humains.
Mais pour cet « archéologue du son », avide de sons rares ou disparus, cette période historique mérite d’être décryptée. Et enregistrée. « C’est beau à entendre comme c’est beau à voir. Mais c’est une beauté maléfique, imposée par les circonstances. Une ville comme Nice sans ses marchés, cela perd son charme », observe Michel Redolfi.
La criée s’est tue
Ses marchés, ses criées, il connaît. En l’an 2000 déjà, il enregistrait le microcosme du marché Saleya, pour le restituer dans les sonals qui résonnent à chaque station de tramway. Ses créations rythment les trajets quotidiens de 200 000 voyageurs. « D’habitude, je les accompagne. Là, c’est inversé : je ne suis pas porteur de sons mais cueilleur de sons. » Sa récolte du printemps 2020 viendra, il le sait déjà, enrichir les futurs sonals.
Alors Michel Redolfi part à l’écoute de la ville. Visage masqué quand il le faut mais « attentif jusqu’aux oreilles ». Sa mission : capter les sons insolites, les bruits oubliés, les silences aussi. Des échantillons glanés en « stéréo binaurale, restituant avec le plus grand réalisme un son à 360 degrés ».
Il remarque que les piétons ont délaissé casques et oreillettes. « Quand on sort, on va à l’essentiel. On redevient un Indien dans la ville, avec une écoute très affûtée. »
Nouveau paysage
Constat d’un « audionaute » averti : « Il y a une épure du paysage. Des sons discrets sont remontés à la surface. Dans le Vieux-Nice, on perçoit des bruits de pas, de cannes, des réverbérations dans l’acoustique de la ville… Ce silence n’est pas une absence. On entend plus loin, plus précis. On vit une scène où l’on reste muet, tels les figurants d’un film. C’est plus poétique… Et plus anxiogène. » Pour mettre des mots sur les sons, Michel Redolfi convoque l’univers urbain de Fritz Lang, la mélancolie des villes muettes peintes par Edward Hopper. Il décrit un « nouveau paysage sonore. Un univers où ce qui est important, c’est la volonté des gens de se relier. On ne recherche pas la belle image ou le bon son, mais la relation avec les gens. » Et c’est sans doute là ce qu’il y a de plus rassurant.