Monaco-Matin

L’expérience d’un marin confiné en mer

Le navigateur Lionel Péan, ancré dans le golfe de défend ce qu’il nomme « l’esprit d’équipe » pour surmonter ce voyage en eaux intranquil­les avant de revoir les jours meilleurs

- PROPOS RECUEILLIS PAR B. Q.

Lionel Péan est, comme tout le monde, confiné. Mais son expérience de navigateur au long cours était intéressan­te à partager. Lancé dans le projet de Seafloatec­h (un système de mouillage flottant collectif respectueu­x des fonds marins), Péan a plein de projets à concrétise­r dès que le confinemen­t cessera. Son palmarès (avec, entre autres, des victoires à la Solitaire du Figaro, la Volvo Ocean Race Legends regatta, la Maxi Transatlan­tique Race Ténérife SaintMarti­n, le titre de champion du monde de  JI et le record de la traversée de l’Atlantique Nord en équipage) témoigne de sa capacité à gérer les impondérab­les, comme on en rencontre souvent en mer.

« Que ce soit lors de traversées en croisière, en course en solitaire, en course en double ou en équipage, je me suis toujours senti libre et en harmonie avec la mer, le ciel, les étoiles, confie-t-il. Il me semble probable que Neptune et Éole se soient penchés sur mon berceau et m’aient insufflé ou injecté dans les veines cette flamme de passion qui ne s’éteint jamais. Avec plus de   milles nautiques sur tous les océans, soit plus ou moins  million de kilomètres – quand j’y pense c’est pas mal quand même –, je n’ai jamais vécu ma vie de marin plaisancie­r ou régatier sur un bateau comme un confinemen­t. »

Quelles sont les contrainte­s de la promiscuit­é vécues sur un bateau ?

Bien sûr, la promiscuit­é propre aux espaces clos a une contrainte : il faut s’organiser. Tout d’abord, il faut trouver le meilleur rythme, son meilleur rythme, qui n’est jamais celui de terrien ou celui du voisin, que ce soit pour les repas, le sommeil, le travail

incessant du bord, les loisirs. Ensuite, il faut adapter sa consommati­on quotidienn­e à ce que le bateau et ses soutes peuvent vous offrir que ce soit pour l’eau, la nourriture, les réparation­s, les livres, la musique.

C’est encore différent en solitaire ?

En solitaire, je l’ai toujours vécu plus facilement et bien préparé : j’ai retrouvé aisément mes biorythmes bestiaux qui, une fois bien ancrés dans mon organisati­on diurne et nocturne, m’ont permis d’assurer la vie quotidienn­e. De profiter de la beauté et des bons moments que vous offre l’océan, sa faune et sa flore et la contemplat­ion de l’univers. Dans la tempête, j’ai su faire le dos rond pour toujours finir mon voyage avec mon bateau.

Plus compliqué en équipage ?

En équipage, il faut partager un espace souvent très très restreint entre équipiers et c’est probableme­nt le challenge le plus compliqué. Sous la houlette du chef de bord, il faut harmoniser au plus vite toute la gestuelle des manoeuvres et de la vie en communauté : partager son lit, contribuer aux taches mêmes les plus viles. Accepter les obligation­s des quarts, mettre son petit mouchoir sous ses fesses quand on vous a laissé la cuisine ou les manoeuvres en vrac et éviter la remarque blessante si difficile à retenir mais propre à déclarer une guerre. Penser à laisser tout bien propre et rangé à celui qui va vous succéder dans  ou  heures, même si c’est celui-là même que vous aviez envie de… Accepter les discussion­s aux points de vue opposés, apprendre des autres, profiter des petits et grands moments de bonheur partagés. Cela nécessite une attention permanente mais si vous réussissez, et on appelle ça L’Esprit d’Équipe [nom du bateau avec lequel il a gagné la Volvo Ocean Race], alors votre voyage est réussi, ne vous laisse que des bons souvenirs, de solides amitiés et vous repartirez pour d’autres destinatio­ns. Avec les mêmes ou avec d’autres, l’océan est si vaste.

Quel message donner à la population qui vit ces instants inédits ?

Je vous dis à tous, dans cette aventure planétaire dramatique que vit notre génération : ‘‘Saluons ceux qui veillent sur nous, qui nous soignent, qui travaillen­t d’arrache-pied pour trouver la bonne solution pour nous protéger. De votre côté, restez chez vous et profitez de cette pause pour lire, écouter et jouer de la musique, voir des films, écrire, cuisiner, partager, jouer et aussi militer pour protéger notre planète, comme, par exemple, nous aider à faire que  % des océans soient sanctuaris­és, car il en va de l’avenir des génération­s futures.

 ??  ?? Lionel Péan livre ses impression­s de marin confiné à bord. Des pistes de réflexion pour mieux vivre son confinemen­t actuel. (Photos B. Q.)
Lionel Péan livre ses impression­s de marin confiné à bord. Des pistes de réflexion pour mieux vivre son confinemen­t actuel. (Photos B. Q.)
 ??  ?? Le navigateur, lors de dernières régates à la barre de SFS.
Le navigateur, lors de dernières régates à la barre de SFS.

Newspapers in French

Newspapers from Monaco