Michel Siffre : souvenirs d’un confiné volontaire
Ce spéléologue niçois est connu pour s’être enfermé pendant des mois sous terre, à plusieurs reprises, pour étudier les rythmes de son corps. Entretien avec un pionnier du confinement
Marre du confinement ? Michel Siffre devrait vous faire relativiser. En 1962, ce spéléologue niçois, aujourd’hui âgé de 81 ans, a décidé de se cloîtrer à 100 mètres de profondeur, au fond du gouffre de Scarasson dans le Marguareis (Mercantour), sans repères temporels.
Il y a vécu pendant deux mois, par environ 3 °C, avec un taux d’humidité de 98 % et bien sûr, aucune lumière naturelle. Son but : vivre hors du temps pour voir quels sont les rythmes du corps humain. Une expérience qu’il a renouvelée à plusieurs reprises par la suite dont une fois en 1972 avec un financement de la Nasa.
Comment encaisser le coup ? Comment revenir à la vie normale ? Entretien avec le pionnier du confinement.
Peut-on dire que vous êtes le boss du confinement ?
Le terme, non, mais il est vrai que je suis l’un de ceux qui connaît le mieux le confinement. Le confinement volontaire, en tout cas, parce que mon expérience avait un aspect scientifique.
Pouvez-vous rappeler en quoi consistaient vos expériences ?
En , dans le gouffre de Scarasson dans le Marguareis, on avait découvert un glacier sous terre, nous voulions l’étudier. Mais il m’est venu l’idée de ne pas emporter de montre…
Et puis on a mis en place un protocole simple, avec une équipe en surface : j’appelais quand j’avais faim, quand j’allais aux toilettes, quand je me couchais et me levais. Rester deux mois sous terre, c’est tout de même la première fois au monde que quelqu’un le faisait. J’ai quand même isolé le rythme veille/sommeil de l’être humain. On a découvert qu’il était de h , et pas de heures Quand vous vivez seul en milieu constant, sans lumière naturelle, avec la même température et le même taux d’humidité, c’est votre corps qui vous rythme, pas les conventions sociales. L’idée c’était de vivre hors du temps.
Comment vivez-vous les choses aujourd’hui ?
C’est aussi ce qui m’arrive aujourd’hui dans mon appartement. Évidemment, je peux regarder ma montre, mais elle ne m’indique pas les jours, je n’ai plus trop de repères dans la semaine.
Notre conception du temps est chamboulée. Vous-même aviez complètement perdu vos repères en …
Pour vous donner une idée, je suis descendu du juillet au septembre. Au moment de remonter, je pensais qu’on était le août. J’avais perdu presque un mois. Pourtant, je m’ennuyais, ça me semblait très long, mais le temps a été très court, au final. C’est ça le paradoxe du temps humain. Cela passe plus vite lorsque vous êtes avec une belle femme que lorsque vous devez attendre votre train à la gare !
Comment avez-vous tué le temps ?
Je lisais beaucoup, au début surtout des livres scientifiques : j’étudiais la géologie. En , quand je suis resté sous terre pendant six mois au Texas, j’ai lu livres. Je vivais mes lectures. Quand je lisais Balzac, je voyais les personnages devant moi. Le temps passait vite.
Qu’est ce qui a été le plus difficile ?
Physiquement, c’était la première expérience en : j’avais les pieds gelés, ma température montait à °C. Mais mentalement, c’était le Texas. J’ai craqué au bout de deux mois. Jusque-là, c’était très facile et puis j’ai lu un livre sur les spéléologues du gouffre de la Pierre-Saint-Martin. L’auteur disait : « J’arrive à ans, le temps d’aimer est terminé pour moi ». Et ça, ça m’a cramé complet. Je me suis dit :
« Michel, tu as trente ans, et tu es en train de foutre ta vie en l’air ». Je me suis désintéressé de l’expérience pendant une dizaine de cycles (on ne parlait pas de jours). J’étais désemparé, j’ai failli renoncer. Et puis, je me suis repris.
Comment garder le moral en confinement ?
Il faut se projeter en avant. Ne pas penser au présent qu’on subit ou au passé. Il faut se demander ce qu’on va faire après, se donner des objectifs : que va-t-on faire de cette expérience ?
Là, on se rend compte de la futilité de certains moments de l’existence et on se dit qu’on est à la merci d’un petit microbe, qui pourrait mettre le monde à l’arrêt.
Vous dites avoir craqué au bout de deux mois. C’est la durée actuelle du confinement. Comment tenir, si ça avait été prolongé ?
Il faut serrer les dents, vous consacrer à votre passion. J’ai des amis sculpteurs, ils passent leur journée à ça. C’est sûr que si vous n’avez pas de passion, c’est plus difficile.
Vous disiez être désorienté en vivant sous terre. Comment s’adapter au retour à la normale ?
Ça se fait tout seul. Le poids sociétal est tel que vous reprenez automatiquement vos habitudes, au bout de deux ou trois jours. La société va reprendre comme avant, au moins sur le plan biologique. Psychologiquement, c’est autre chose. Les gens sont confinés depuis deux mois, ce n’est pas rien, ils vont exploser. J’habite Nice et j’ai peur que les gens se jettent en ville, sur la Prom’ ou à la plage à tout corps, malgré les recommandations de l’État. Le problème, c’est que si le déconfinement n’est pas bien fait, cela provoquera une reprise de l’épidémie. Si les restaurants ouvrent, ils iront, mais il ne faut pas. Il faut rester en autoconfinement, faire très attention. Ce ne sera pas facile !