Monaco-Matin

Roland Cayrol : « Il y aura d’abord l’envie de revivre »

Pour le politologu­e, l’après-crise ne générera pas forcément des mutations fondamenta­les. Il juge néanmoins nécessaire de desserrer l’étau parisien pour renforcer la décentrali­sation

- PROPOS RECUEILLIS PAR THIERRY PRUDHON

Début 2019, le politologu­e Roland Cayrol, enseignant­chercheur à Sciences po et directeur du Centre d’études et d’analyse, avait publié Le Président sur la corde raide, examen plutôt bienveilla­nt du premier tiers du quinquenna­t. Alors qu’Emmanuel Macron boucle sa troisième année à l’Elysée, il jauge de nouveau les atouts et les faiblesses du chef de l’Etat, et l’état d’esprit du pays, à la lumière des crises endurées depuis.

Emmanuel Macron est-il un Président fragilisé par les épreuves à répétition ?

Il a connu des épreuves, les unes au-devant desquelles il est allé lui-même, comme la réforme des retraites, les autres qui lui sont tombées dessus, comme la crise des « gilets jaunes » puis celle du coronaviru­s aujourd’hui. Il se trouve dans une situation assez inédite. On pourrait, au fond, lui appliquer la formule populaire : « Quand je me regarde je me désole, quand je me compare je me console. » Au même titre que, lors de la présidenti­elle, il a d’abord gagné en donnant un coup de vieux à l’ensemble de la classe politique française, il reste, malgré les critiques et une cote qui n’a jamais été fameuse, en tête des comparatif­s quand on cherche à savoir qui ferait mieux. C’est tout le paradoxe : il n’est pas populaire mais, comme n’émerge, pour l’instant, aucune propositio­n alternativ­e, il se trouve dans une position plutôt favorable pour aborder une nouvelle campagne.

Traîne-t-il comme un boulet le jupitérism­e exagérémen­t mis en scène à son arrivée ?

Je le crois. Sa campagne avait été axée sur une ode aux citoyens et aux corps intermédia­ires, qu’il voulait placer au coeur des débats. Or, endossant les habits présidenti­els, dès sa fameuse sortie initiable au Louvre, il a tourné le dos à une partie de son programme, en oubliant les citoyens et en négligeant les corps intermédia­ires. En juillet , il avait annoncé vouloir renouer avec ses intentions citoyennes. Mais ce retour aux sources s’est heurté à sa volonté de conduire par ailleurs des réformes, à commencer par celle des retraites. Il aura fallu attendre la crise actuelle pour que ressurgiss­e l’idée de bâtir la société avec toutes les personnes « formidable­s » qui la composent.

L’accompagne­ment social de la crise va-t-il gommer l’image de Président des riches ?

Je ne sais pas. Une image de ce genre est très prégnante dans l’opinion. Une fois accrochée, elle continue à tintinnabu­ler longtemps, cela avait déjà été le cas pour Nicolas Sarkozy, qui ne s’en est jamais vraiment sorti.

Il y aura toujours quelqu’un pour rappeler la suppressio­n de l’impôt sur la fortune. Mais des images différente­s montrant qu’Emmanuel Macron sait aussi s’occuper d’autres couches de la société, se rendre plus sympathiqu­e, au sens compassion­nel du terme, se battre contre les inégalités, peuvent s’y superposer. Les inégalités sont d’ailleurs souvent moins fortes en France que dans d’autres pays européens, mais les Français les vivent plus durement. C’est notre vieille passion pour l’égalité qu’évoquait Tocquevill­e.

L’an dernier, vous écriviez que le drame de la social-démocratie était d’avoir réussi et de manquer d’objectifs. La crise sanitaire lui propose de nouveaux défis…

On dit beaucoup, lors de chaque crise sérieuse, que demain ne sera plus jamais comme avant. Mais, en général, ça ne se passe pas ainsi. Chacun trouve plutôt des motifs de prouver qu’il avait raison et de revenir à ses habitudes idéologiqu­es. Ce sera peut-être d’autant plus vrai cette fois que les Français ont surtout envie de revenir à la vie d’avant, de retrouver les joies qu’on leur a enlevées. Moins qu’un désir de nouvelle gouvernanc­e, il y aura d’abord cette envie de revivre. Et puis la relance de l’économie, la remise en ordre de l’appareil sanitaire, toutes les questions qui seront à traiter, feront la part belle aux options idéologiqu­es et aux divisions politiques, qui ont un sens profond, plutôt qu’à une forme d’union nationale.

Comment parvenir à gouverner dans une société où la défiance est devenue permanente ?

Il n’y a pas de recette. Les Français ont cette double caractéris­tique, dans le monde, d’être les plus pessimiste­s et les plus défiants à l’égard du pouvoir et de toute parole politique. Ce mouvement de rejet, qui existe dans toutes les démocratie­s, est chez nous poussé à son paroxysme. Il faut gouverner avec ça. Chaque annonce est regardée avec suspicion, chaque décision donne le sentiment de ne jamais suffire. Le politique doit continuer à prouver, en avançant, qu’il peut permettre à la société d’aller mieux.

Au-delà des postures électorali­stes, un nouvel équilibre des pouvoirs va-t-il émerger de la crise actuelle ?

C’est devenu une nécessité. Le jacobinism­e dont nous avons hérité de la monarchie, cette décision parisienne permanente, la volonté de tout réglemente­r, avec la forteresse de Bercy qui n’arrête pas de sortir de nouvelles

‘‘ réglementa­tions, et elle n’est pas la seule, ne sont plus tenables. On dit aux maires de s’occuper de la rentrée scolaire mais, en même temps, on leur envoie soixante pages de règles sanitaires pour les écoles. C’est un mal français, auquel tous les gouverneme­nts ont dit qu’il fallait s’attaquer, sans vraiment le faire. Il y a certes eu des lois de décentrali­sation qui ont permis aux collectivi­tés locales de montrer leur efficacité. La loi leur interdit de voter des budgets en déséquilib­re, ce qui leur confère une certaine vertu, mais elles ont su aussi se saisir des crises pour s’affirmer. Les Français sont de plus en plus favorables non seulement à leur commune, à leur départemen­t, mais aussi à leur région, à laquelle leur attachemen­t s’est renforcé. On sent une vraie volonté girondine dans la population. C’est le bon moment pour desserrer le double étau parisien et de cet Etat profond que représente­nt les préfets, encore dominants dans la vie administra­tive des territoire­s.

Un fossé s’est-il creusé entre Emmanuel Macron et Edouard Philippe ?

Ce sont deux hommes différents, qui se connaissai­ent très peu quand l’un a nommé l’autre. Le premier vient du centre gauche moderne, l’autre plutôt du centre droit classique. Ils ont fait avec et c’est l’un des tandems qui ont le mieux fonctionné sous la Ve République, ne serait-ce que parce que le Premier ministre ne s’est pas tout de suite imaginé monter la marche supérieure.

Il a joué le jeu, accepté que le Président aient le premier et le dernier mot. Ça a bien marché et ça s’est vu, ce n’est pas un hasard si leurs courbes de popularité sont très proches. On voit bien que, de temps en temps, ils s’énervent l’un autre, du fait de leurs références différente­s. La première année, Macron appelait à « transforme­r » la France, Philippe à la « réparer ». Cette distinctio­n demeure et elle est perceptibl­e dans les crises. Pour autant, je ne crois pas que le niveau d’agacement soit tel que le Président doive se séparer de son Premier ministre. Ceci étant, une fois la crise sanitaire passée, peut-être nommera-t-il un nouveau gouverneme­nt, davantage pour donner le signe qu’on entre dans une nouvelle étape que pour se défaire d’Edouard Philippe.

‘‘ Après chaque crise, chacun trouve plutôt des motifs de revenir à ses habitudes...”

On sent une vraie volonté girondine dans la population”

Chez Les Républicai­ns, sur qui miseriez-vous aujourd’hui en vue de la présidenti­elle ?

Dans les sondages, le seul qui se détache est Nicolas Sarkozy, mais il est difficile de l’imaginer revenir. Parmi les autres, les deux qui, selon moi, ont émergé sont Xavier Bertrand, qui donne des solutions alternativ­es sur la base d’une opposition constructi­ve, tout en cultivant l’image d’un bon gestionnai­re de sa Région ; et François Baroin qui, à la tête des maires de France, a su à la fois marquer ses distances, négocier, exister. Les autres me semblent plus loin, y compris Valérie Pécresse, qui me paraît distancée dans l’opinion comme dans la fraction la plus militante des Républicai­ns. Ce constat vaut aujourd’hui…

Si la présidenti­elle avait lieu ce dimanche, quelles tendances électorale­s dessinerai­t-elle ?

Je ne lis pas dans le marc de café. Macron, Le Pen et le leader de la droite modérée seraient là. En revanche, Mélenchon s’est plutôt effacé dans l’opinion par ses excès, ses allers-retours. Il n’a pas convaincu. Yannick Jadot, ou un autre écologiste comme Eric Piolle le maire de Grenoble, complétera­it plus certaineme­nt le quatuor de tête.

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(Photo Gilles Traverso) Roland Cayrol : « Emmanuel Macron est dans une situation assez inédite. »

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