Monaco-Matin

« Ce sont des pays de foot »

L’ex internatio­nal Olivier Dacourt, consultant Canal +, souligne les différence­s culturelle­s entre les grands championna­ts pour expliquer certains choix durant la crise du coronaviru­s

- FABIEN PIGALLE

Installé à Roquebrune, Olivier Dacourt, qui a porté les maillots de Strasbourg, Everton, Leeds, Rome et l’Inter, profite du confinemen­t pour réfléchir à ses prochains sujets documentai­res. Calme, réfléchi, il aime raconter l’histoire derrière l’histoire. Pour lui la crise du coronaviru­s montre à quel point la passion pour le foot est plus forte dans certains pays. Quitte à ne pas toujours faire le choix de la raison...

Que vous inspire ce confinemen­t ?

Je suis chez moi à Roquebrune. Je ne veux pas faire mon écologiste de base, mais quand on voit la diminution de  % de la pollution, qu’on redécouvre des animaux qu’on ne voyait plus etc. Je trouve que pour l’avenir de nos enfants, c’est une bonne période pour prendre conscience de l’importance de l’environnem­ent. Après, évidemment, j’ai du mal avec ceux qui comparent ça à une guerre.

C’est-à-dire ?

Et bien en  on t’envoyait à la guerre. Là, on te demande juste de rester chez toi. Les gens ne se rendent pas compte. Demandez à ceux qui ont vécu la guerre ce qu’ils en pensent. Moi, j’ai des amis d’ex-Yougoslavi­e marqués à vie.

Ce rythme de vie qui ralentit vous va très bien ?

Disons que j’essaye de relativise­r. Ce que l’on vit c’est dramatique économique­ment. Mais quand on voit le nombre de décès et la force de contagion de ce virus, ce n’est pas un truc à prendre à la légère. Ça touche tout le monde. Peu importe le milieu ou l’âge etc. Je suis originaire de la Seine-SaintDenis qui n’est pas épargnée. Ça me touche.

Vous comprenez donc l’arrêt du championna­t ?

On parle de quelque chose d’inédit, qu’on ne connaissai­t pas. Les politiques eux-mêmes se contredise­nt. Au début ils disaient que le masque ne servait à rien et là il va être quasi obligatoir­e. Les médecins découvrent de nouvelles choses chaque jour sur ce virus. Alors oui, c’est vrai qu’il y a beaucoup d’argent en jeu dans le football. Les dirigeants de club se battent pour sauver ce qui peut l’être. Mais n’oublions pas une chose : sans la santé, on ne peut rien faire. Je trouve que tant que les gens ne sont pas touchés personnell­ement, ils ne se sentent pas concernés. J’ai eu le coronaviru­s quand j’étais à Paris. Il y a  semaines, j’ai eu tous les symptômes et j’ai dû appeler le Samu. J’ai lu aussi ce que disait Vincent Duluc qui a dû être hospitalis­é (journalist­e de L’Equipe qui a passé plusieurs jours en réanimatio­n). C’est quelque chose qui marque. Il ne faut pas croire qu’on est invulnérab­le. Regardez aussi le joueur de Montpellie­r (Junior Sambia) qui a dû aller en réanimatio­n et qui heureuseme­nt, va mieux aujourd’hui. Ce n’est pas rien.

La France a fait le bon choix de stopper le championna­t ?

Il ne faut pas réfléchir comme ça. La décision a été prise, c’est comme ça. Certains aiment, d’autres non. En Allemagne ils ont repris et  joueurs sont positifs déjà... Imaginons que ça continue, ils vont faire quoi ? Arrêter pour reprendre encore plus tard ? Le choix de la France fait parler car l’Italie, l’Espagne, l’Angleterre et l’Allemagne vont reprendre. Mais s’il y a un drame ? Ok, les joueurs jusqu’ici semblent épargnés par des pathologie­s graves. Mais leurs parents ? Leurs enfants ? Leurs proches ? Vous savez combien il faut de personnes au stade même pour jouer un match à huis clos ? C’est énorme. Le risque zéro n’existe pas, il faut le rappeler ! Donc il ne faut pas se comparer aux autres pays. En Italie, Angleterre, Espagne, c’est l’opium du peuple. Ce sont des pays de foot. En France, ce n’est pas le cas. C’est ça la grande différence. En Italie il y a eu un sondage où plus de  % de la population voulaient que le championna­t reprenne. Les gens vivent pour le foot làbas. Eux seuls peuvent prendre ce risque-là. Nous, on supporte nos équipes à partir des quarts ou des demies. La mentalité est différente. Dans ces pays, les gens sont dépressifs de ne pas voir du foot à la télé.

Les joueurs en France n’étaient pas très “chauds” pour reprendre...

Je me souviens d’un match qui tombait le  septembre. Et bien certains ne voulaient pas prendre l’avion ou jouer. C’est le choix de chacun.

‘‘ Un joueur, c’est un homme. Comment voulez-vous obliger quelqu’un à venir jouer ?

Comment l’auriezvous vécu en tant que joueur ?

C’est difficile... Je ne sais pas. J’étais très tôt à l’étranger. Mais j’aurais suivi ce que disent les anciens. Je pense qu’il faut être prudent. Il y a une telle inconnue. On ne sait même pas comment va se passer le déconfinem­ent... Évidemment on aimerait que tout se passe bien, que tout reprenne.

Le foot a été critiqué pour être resté dans sa bulle...

Mais il y a tellement d’enjeux financiers. Il faut prendre conscience de ça aussi. Certains clubs pouvaient déposer le bilan. Les patrons de clubs ont beaucoup de salariés, des charges etc. Ils ont de grosses responsabi­lités. Il ne faut pas leur jeter la pierre.

Le foot va-t-il changer ?

J’espère, mais l’homme a tendance à vite oublier. On ne sait pas.

On vous reverra à la rentrée sur Canal + avec qui vous avez prolongé votre collaborat­ion...

C’est une continuité. Quand je suis parti du groupe TF et Eurosport, je recherchai­s une chaîne qui me permettait de continuer de faire des documentai­res. Les deux premiers “Ma part d’ombre” et “Je ne suis pas un singe” ont très bien marché. Je voulais continuer. Quand on est bien quelque part, il n’y a pas de raison de changer. J’ai fermé d’autres portes assez rapidement. Il n’y avait même pas matière à discuter.

Qu’est-ce qui vous pousse à réaliser ces documentai­res ?

Je fais ça car il y a une méconnaiss­ance des joueurs de foot. On pense connaître les joueurs, mais on ne connaît pas les hommes et ce qui se cache derrière la réussite. On n’imagine pas les concession­s qu’ils ont dû faire.

‘‘

Il ne faut pas croire qu’on est invulnérab­le ”

Si t’as du talent mais pas de caractère, c’est mort !”

Mais le footballeu­r luimême a tendance à vouloir cacher ça...

Pas que les footballeu­rs. Personne ne veut montrer ses faiblesses. Mais dans le football en particulie­r, très tôt, on t’explique comment ça fonctionne. Tu comprends vite que c’est le sport collectif le plus individuel qui existe. Toute la saison on te parle de collectif, d’être homogène, de l’importance de la vie du groupe etc., et à la fin, si tu n’as pas brillé, eh bien on te vire. C’est la jungle. Si tu as du talent mais pas de caractère, c’est mort.

Ce confinemen­t vous donne des idées de documentai­re ?

Quand je vois l’augmentati­on de la violence dans les foyers, près de  %, oui ça donne des idées. Cohabiter, rester enfermé, c’est compliqué. J’étais en train de tourner la suite de “Ma part d’ombre” où je vais montrer que la carrière des géants du sport se joue aussi sur le fil du rasoir. Entre le Graal de la victoire et la dépression liée à une chute ou une défaite. C’est bien plus fragile qu’on ne pourrait le croire.

D’où vous vient ce besoin de gratter le vernis et d’aller chercher ce qu’il se passe en coulisses ?

Je pense que c’est une éducation. Il y a deux notions très importante­s pour moi qui ont compté dans ma constructi­on : la bienveilla­nce et le courage. Le courage il en faut pour plein de choses. La personne qui se lève à h du matin pour nourrir sa famille, elle en a. Ce que je veux mettre en avant c’est ça. L’histoire derrière l’histoire.

 ??  ?? Dès qu’il en a le temps, entre ses documentai­res et son rôle de consultant, Olivier Dacourt aime jouer au golf (ici au Old Course Cannes Golf Links). (Photo DR et AFP)
Dès qu’il en a le temps, entre ses documentai­res et son rôle de consultant, Olivier Dacourt aime jouer au golf (ici au Old Course Cannes Golf Links). (Photo DR et AFP)
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