Monaco-Matin

Amalfi, le magnifique

Il y a 70 ans pile, arrivait à Nice un artiste brésilien dont on parle encore aujourd’hui. Mort le 10 mai 2014, Yeso Amalfi est devenu une légende du Gym en une seule saison

- Textes : Philippe CAMPS

Il y a les joueurs qu’on oublie et ceux dont on peut parler toute une vie. Yeso Amalfi appartient à la seconde catégorie. Il appartient aussi à l’histoire de l’OGC Nice. Son cas est même une énigme. Comment un milieu de terrain, même Brésilien, a-t-il pu marquer à ce point un club et ses supporters en ayant joué aussi peu ? Une saison et seulement 17 matchs de championna­t pour entrer dans la légende. On peut parler de tour de force. D’exploit. De petit miracle. Mais il suffit parfois d’un geste pour s’offrir l’éternité. De là-haut, Yeso le magnifique écoute ceux qui l’ont vu balle au pied le célébrer et entend les autres raconter avec force et dans le détail ses faits de jeu et de gloire certifiés conformes par le temps qui passe. Le taquin doit avoir un sourire en coin. A Nice, Yeso Amalfi est un demi-dieu depuis soixante-dix ans. Il est une vérité et un fantasme. Un mythe dont on aime fleurir le souvenir.

Costume blanc, lunettes noires

Yeso Amalfi est né le 6 décembre 1925 à Sao Paulo. Un mercredi. Il est le fils d’une belle Italienne et d’un pharmacien. Yeso, lui, fera des ordonnance­s aux défenseurs qu’il rendra dépressifs. Après trois titres de champion du Brésil avec le FC Sao Paulo, un passage éclair à Boca Juniors et un petit tour au Peñarol de Montevidéo (où il évoluera avec un certain Cesar Pancho Gonzalez), le jeune Amalfi a des envies d’ailleurs. À l’époque, il n’y a pas d’agent, peu d’argent. Le foot marche avec le bouche-à-oreille. Un jour de match à Montevideo, un certain Arthur Boghossian, qui a les deux pieds dans la chaussure de luxe et un oeil sur le football, découvre la plus belle des pointures. L’homme est fasciné par cet inter droit aux cheveux noirs. Il aurait dit alors : « Il ne joue pas, il exécute des numéros de music-hall ». L’oeil encore brillant, il en parle à des amis niçois. La connexion est faite. L’affaire vite conclue. Adieu l’Uruguay, vive la Côte d’Azur. L’artiste aux pieds d’or arrive à Cannes, par la mer, un jour de mai 1950. Il porte un costume blanc, des lunettes noires et une fine moustache à la Clark Gable. Normal, c’est une star.

« Et ça, vous connaissez ? »

L’hôtel réservé par les dirigeants niçois ne lui convient pas. Il s’apprête à faire demitour lorsque les deux filles du patron passent la porte en lui souriant. Elles sont sublimes. « Finalement, je reste », lâche-t-il. Au siège du club, 5 Promenade des Anglais, on se presse pour voir la recrue. Personne n’est déçu. Amalfi a tout pour lui. Le premier entraîneme­nt, au stade Saint-Augustin, est très attendu. Une feinte, deux contrôles, trois ‘’exters’’ : ses coéquipier­s sont impression­nés. «On n’avait jamais vu un joueur faire ça » dira Antoine Bonifaci, un autre surdoué. Problème : le coach reste de marbre face aux prouesses du nouveau venu. Ely Rous a du sang anglais et il ne donne guère dans la fantaisie. Discipline, discipline... Il aime voir ses joueurs courir, souffrir. Il axe son travail sur le physique et ne plaisante pas avec les consignes. Le contraire d’Amalfi, joueur d’instinct et partisan du moindre effort. « Il nous faisait bosser avec des médecine-ball. Des trucs monstrueux. Le premier qu'on m'a envoyé, j'ai voulu l'amortir avec la poitrine. J'ai eu tellement mal que j'ai cru qu'il m'avait fait un trou. Je suis vite allé voir le docteur. Tous les jours, c'était la même chose. Un matin, j'ai amené un ballon de foot et je lui ai montré en disant ''Et ça vous connaissez ?''» racontera bien plus tard le rebelle. Résultat : des jours de placard, des semaines sans jouer. Pour dénoncer les travaux d’Hercule, Amalfi n’hésite pas à s’allonger sur un lit qu’il installe dans une rue du centre de Nice. Là, il fait mine de dormir, au milieu d’un concert de klaxons, jusqu’à l’arrivée de la police. Le lendemain, son coup de folie est un coup de maître étalé dans tous les journaux.

Des fleurs pour ces dames

Sur le terrain aussi, le Gym somnole. Le club niçois déçoit. Il pointe à la 11e place.

La grogne commence à se faire entendre. La tête du coach tombe le 15 décembre 1950. Ely Rous est remplacé par Numa Andoire. Bonne pioche. L’homme respire le foot. C’est un maître en management. Un précurseur. Un sorcier. Amalfi se frise la moustache. Il va revivre, il va rejouer. Le Gym se remet à gagner. L’histoire est en marche. On vient de loin pour voir le divin. Le Ray est en feu, le Ray est en fête. Les femmes aussi veulent approcher ce phénomène brésilien beau comme un acteur hollywoodi­en. Ça tombe bien : il les aime toutes. Un jour, il arrive au stade les bras chargés de roses qu’il lance dans les tribunes avec la bouche en coeur. Le soir, le séducteur fait danser ces dames dans les cabarets à la mode.

Un peigne dans le short

Yeso Amalfi, dont le nom seul est une incitation au voyage, n’est pas comme les autres. Il choisit ses matchs, ses instants de grâce et ses moments d’absence. Parfois, il refuse de faire un déplacemen­t, prétextant que l’air du coin, où il n’a jamais mis un pied, ne lui réussit pas. Le dimanche à 15h, il entre le dernier sur la pelouse du Ray. Loin des autres. Avec une posture d’empereur romain et un peigne dans la poche du short. Certains l’auraient même surpris en train de se recoiffer avant le feu de l’action. Les anecdotes les plus folles escortent sa parenthèse niçoise. Des anciens jurent l’avoir vu passer une mi-temps entière dans le rond central, distribuan­t le jeu avec un air de matador. D’autres rapportent qu’il se serait couché sur le terrain lors d’une rencontre ennuyeuse. C’était Yeso. Un original capable d’arriver ou de repartir du Ray à pied, un jour de match, entraînant des centaines de gens dans son sillage. Extravagan­t au point de s’allonger sur les rails du tramway pendant de longues minutes sous les vivats de la foule ou de jongler avec un sucre pendant que les autres enchaînent les tours de terrain. Sa popularité est immense, mais il divise la ville. Il y a les Amalfistes qui lui pardonnent tout et les autres qui condamnent son inconstanc­e, mais montent tout de même au Ray afin de ne pas rater une miette de son talent.

« Je pars, mais mon coeur reste à Nice »

Ses coéquipier­s l’adorent. Pas ses adversaire­s. Un dimanche de pluie, un défenseur du Racing dénommé Gabet, excédé par ses tours de passe-passe, lui jette de la boue au visage avant de quitter les lieux.

Yeso Amalfi régale. Le Ray lui offre une standing-ovation de dix minutes après un Nice-Lille (4-1) de folie déterminan­t dans la course à la première place. Le suspense est alors total. Le Havre, Lille, Nîmes et Nice sont dans le coup. A égalité. Tout se joue lors de la dernière journée. Le 27 mai 1951, le Gym dispute le match du sacre à Colombes, face au Stade Français, sans son prodige. Comme un dernier clin d’oeil, le fantasque et fantastiqu­e Yeso suit le match au milieu des supporters massés devant le siège de Nice-Matin avenue de la Victoire (aujourd’hui Jean-Médecin). Le score tombe : Stade Français - Nice : 0-4. L’OGCN décroche le premier titre de champion de France de son histoire. Yeso peut partir en héros. Il a signé au Torino pour un million de francs (160.000 euros). Julien Giarrizzi, inoubliabl­e plume de Nice-Matin (l’Amalfi des journalist­es) écrira : « A la gare, le jour de son départ, il s’est mis à la fenêtre du train et a lancé à ses supportric­es venues nombreuses sur le quai : ‘’Je pars mais mon coeur reste à Nice pour toujours’’ ». Son coeur s’est arrêté. Pas sa légende.

Elle est immortelle.

 ?? (Photos DR et FF) ?? Le Gym -.- Debout (de gauche à droite) : Numa Andoire (coach), Rossi, Pedini, Firoud, Germain, Mindonnet, Belver, Fassone, Lardi (dirigeant). Assis : Carré, Bengtsson, Amalfi, Bonifaci, Courteaux, Murray (masseur). Manquent : Ben Nacef, Gallard, Grange, Hjamarsson, M’Jid, Samuelsson, Broccolicc­hi.
(Photos DR et FF) Le Gym -.- Debout (de gauche à droite) : Numa Andoire (coach), Rossi, Pedini, Firoud, Germain, Mindonnet, Belver, Fassone, Lardi (dirigeant). Assis : Carré, Bengtsson, Amalfi, Bonifaci, Courteaux, Murray (masseur). Manquent : Ben Nacef, Gallard, Grange, Hjamarsson, M’Jid, Samuelsson, Broccolicc­hi.
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