Monaco-Matin

Rétro ASM : le paradoxe Jardim

Entraîneur porté au sommet après un titre de champion de France 2017, Jardim a été licencié deux fois. Un drôle de paradoxe

- FABIEN PIGALLE

En 2014, dans un restaurant de Lisbonne, Dmitry Rybolovlev a convaincu Leonardo Jardim de le rejoindre. A l’époque, tout le monde était encore sous le choc du départ de Claudio Ranieri. Jusqu’ici, l’entraîneur portugais (45 ans) avait sagement gravi tous les échelons. Il fait ses preuves à Camacha puis quitte Madère où il a grandi et où ses parents tiennent un restaurant. Chaves, Beira-Mar, Braga, Olympiakos et le Sporting Portugal sont toujours des passages réussis. Cet homme pragmatiqu­e pour qui le football est une science qu’il faut avoir étudiée pour comprendre, évolue dans l’ombre de José Mourinho et André Villas-Boas.

Terre à terre avec le bon sens paysan, les paillettes de la Principaut­é ne risquent pas de lui faire tourner la tête. A son départ de l’Olympiakos, il négocie de garder la voiture de fonction qu’il ramènera sur son île. Ce père de famille préfère partir en vacances chez des amis à La Colmiane ou en Corse, et quand il faut acheter un nouveau téléphone à son fils Bernardo, celui-ci en paye toujours une partie en effectuant des petits boulots. C’est comme ça que ça marche chez les Jardim. Quitte à être pointé du doigt par ses amis comme le dernier à se lever pour payer l’addition. Le garçon part de rien et il n’a pas oublié d’où il vient.

A Monaco, il débarque donc par la petite porte et fait de très grandes choses (quart de finaliste et demi-finaliste de la Ligue des champions, titre en L1 en 2017, et 4 fois sur le podium). Mais 6 ans plus tard, c’est par cette même petite porte qu’il quitte le club. Deux fois. Un comble. Été 2014, Jardim arrive avec ses hommes à La Turbie, une garde rapprochée de fidèles adjoints. « Comme ça, tu es sûr de ne pas être poignardé dans le dos », aimait-il dire. Les poignards tomberont pourtant bien, mais plus tard. D’en haut. Surtout, Jardim vient avec sa méthode d’entraîneme­nt dite “écologique”. En résumé, les séances ne sont plus compartime­ntées. Le physique est travaillé en même temps que la tactique et la technique dans différents exercices en variant l’intensité. Le principe et de s’entraîner dans les conditions d’un match. Comme tous les coachs, Jardim cherche le beau jeu, la possession, le pressing haut dès la perte du ballon etc. Mais les débuts sont compliqués et l’entraîneur né au Venezuela, qui a rapidement su se faire comprendre en français, change son fusil d’épaule. L’heure est à l’optimisati­on. Objectif : gagner, peu importe la manière. L’ascension est fulgurante. Mais le titre 2017 marque un arrêt. La machine s’est même grippée un peu avant, quand la nomination de Claude Makelele (diretceur technique) est venue bouleverse­r l’organigram­me et l’équilibre du club. Luis Campos ne peut supporter cette arrivée et claque la porte à l’été 2016. L’attention de Leonardo Jardim se porte alors un peu plus en coulisses. Dans le même temps, la méthode écologique, qui a fait ses preuves, a du mal à prendre avec des joueurs de plus en plus jeunes. Dans la douleur, Monaco termine deuxième en 2018. Une saison éprouvante. Le début du déclin pour le club et pour Leonardo Jardim qui voit partir la même année, Moutinho, Fabinho et Lemar. Ses derniers hommes clés, garants des succès passés. En stage en Allemagne au mois de juillet, Jardim apprend le départ de Moutinho. Le coup de grâce. Le soir même, il ne mange pas avec l’équipe où Emenalo, le directeur sportif à la baguette, est présent. La rancoeur débute ce jour-là et s’accentue un peu plus quand lors d’une réunion d’intersaiso­n, Jardim explique à Vasilyev que les joueurs recrutés n’ont pas le niveau et que l’équipe en l’état ne peut pas prétendre au podium. A la table, Emenalo ricane. Pour le Nigerian, l’équipe est bonne. Jardim en vient même à convoquer certains cadres comme Falcao et Glik afin qu’il fasse remonter ses inquiétude­s. Le Portugais l’a toujours dit : « Pour avoir une grande équipe, il faut des bons joueurs ».

Dans nos colonnes, avant le trophée des champions en Chine en 2018, Jardim décide de hausser le ton : « Je fais l’omelette avec les oeufs que j’ai ».

Après 9 journées balbutiant­es, Vadim Vasilyev remercie son entraîneur. A ce moment-là, la cote de Jardim est encore élevée auprès des supporters malgré le message passé par la direction : « Jardim était lassé », « la méthode d’entraîneme­nt n’était pas bonne ».

Dans la foulée, le passage de Thierry Henry est un échec et l’interview le 22 janvier dans L’Equipe du coach portugais où il laisse entrevoir un retour sème le trouble. La théorie du complot commence à prendre de l’ampleur en interne et chez les supporters. Jardim a-t-il savonné la planche à Henry pour revenir ? Les deux clans s’opposent. « Monaco venait de faire un nul contre l’OM (13 janvier) alors j’ai dit OK pour l’interview », explique le coach. Mais l’entretien réalisé le 18 ne sera publié qu’après la déroute contre Strasbourg (1-5) le 19.

Dans la foulée, Jardim reçoit un SMS d’Olga Dementeva, la directrice technique. « Elle me dit que le président veut me voir demain, mais je suis en vacances à Madère », rembobine-t-il. L’avion est pris le lendemain et Rybolovlev reçoit l’entraîneur chez lui à Monaco. Le président russe a conscience de l’urgence de la situation. Jardim a carte blanche pour sauver le club. « Pas possible d’acheter des joueurs, seulement des prêts », lui explique-t-on. Jardim fait venir Adrien Silva, Gelson Martins, Vinicius, Nkoudou etc. « Je voulais Valère Germain mais ça n’a pas été possible », précise le coach. Emenalo est mis au placard, Vasilyev remercié peu de temps après. «Tut’es fait avoir », lâche Jardim au dirigeant russe sur le départ.

La greffe avec Oleg Petrov ne prend pas. Après un bon début, le club se sauve in extremis et sans gloire. L’heure est venue de construire une équipe pour la saison suivante. Mais sans directeur sportif à ses côtés, le premier exercice de Petrov tout juste débarqué dans le monde du football est laborieux. « Notre façon de travailler sur le mercato était claire, et se faisait en collaborat­ion avec Leonardo et la cellule de recrutemen­t, assure aujourd’hui Petrov. Pour chaque joueur que nous avons fait venir, Leonardo était d’accord ». D’accord, oui, mais par défaut, voire dépit. Les désirs du coach ne sont pas toujours écoutés et le point d’orgue réside dans le transfert avorté d’André Silva, 24 ans. Le 23 juillet, l’attaquant portugais de l’AC Milan s’entraîne avec le groupe à La Turbie le jour de sa signature et doit décoller avec l’équipe pour une tournée amicale au Portugal. Mais au moment de partir, Silva n’est pas là.

« Nous n’avons malheureus­ement pas pu finaliser ce transfert mais je peux vous assurer que nous avons tout essayé pour y parvenir », plaide Petrov qui signera Ben Yedder le 14 août. En réalité, au dernier moment, la direction a souhaité revoir l’accord à la baisse avec l’agent Jorge Mendes après n’avoir pas totalement été satisfait par la visite médicale. Mendes claque la porte. Et toujours pas d’attaquant... Osimhen qui file à Lille n’emballait pas spécialeme­nt Jardim qui espérait Leao. Le Brésilien est finalement transféré à Milan. Une valse à contre-temps lourde de conséquenc­e. L’équipe constituée tardivemen­t a du mal à prendre son envol et Petrov plaide volontiers coupable dans ce retard à l’allumage. Les supporters réclament la démission du coach. L’histoire retiendra que Jardim a été remercié une deuxième fois après Noël, après l’avoir emporté 5-1 contre Lille, et après être revenu à 8 points du podium. Pour Petrov : « Jardim faisait le travail mais à ce moment-là, je ne le sentais pas complèteme­nt engagé. De mon point de vue, il ne donnait pas sa pleine mesure. Peut-être n’avait-il plus la flamme et en fin d’année, il m’a semblé nécessaire de faire ce changement. Dmitry apprécie Leonardo. Il a accepté ma demande mais ce n’était pas sa décision. » « On gagne 5-1 contre une équipe qui se bat pour la ligue des champions et on me dit que ça ne marchait pas ? », sourit Jardim dépité.

Fin de l’histoire.

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Peut-être n’avait-il plus la flamme ”

Oleg Petrov

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