Monaco-Matin

Noré Mezouar, l’homme bon de La Bocca

Le directeur de la MJC Giaume oeuvre sans relâche pour les jeunes du quartier et leurs parents, sans oeillère ni frontière, avec volonté et responsabi­lité, et mise toujours sur la valeur exemple

- ALEXANDRE CARINI acarini@nicematin.fr

Il a la parole volubile d’un ancien dyslexique, dont la pensée va parfois plus vite que les mots. L’énergie enthousias­te d’un enfant de la cité, qui s’est élevé avec l’envie de s’en sortir, puis d’y retourner. La vitalité de celui qui a toujours eu tout à prouver. Son prénom signifie lumière en arabe. Celle qu’il semble toujours chercher, même dans les tunnels les plus obscurs. Noré Mezouar est un être à part. Dommage, tant son parcours est méritoire. À valeur d’exemple. Redore le blason de tous ceux que l’on a trop tendance à généralise­r « mauvais garçons », en raison de leur sombre horizon.

Faire les bons choix

D’habitude, le jeune directeur de la MJC Giaume, (« j’ai ôté le terme Ferme parce qu’on n’y vient pas visiter des animaux, et c’est aussi une façon de poser mon empreinte ») oeuvre à s’occuper des autres. Mais lorsqu’on lui a signifié notre envie de parler aussi de lui, et pas seulement de l’institutio­n qu’il dirige depuis un an, c’est au pied du bâtiment A, résidence SainteJean­ne, qu’il nous donne naturellem­ent rendez-vous.

« Je suis né ici, j’y ai vécu une enfance formidable, et je n’oublie jamais d’où je viens », précise-t-il, entre deux causettes aux locataires de passage.

« Cet olivier face à notre ancienne fenêtre, je l’ai vu grandir, et il a grandi avec moi », clame-t-il, empreint d’une sagesse parallèle au symbole végétal. Avec son épouse, issue de l’autre cité des Caravelles, Noré a fondé une famille de quatre beaux enfants, sur l’autre rive de la Frayère. « À 24 ans, j’ai voulu construire quelque chose. J’avais repéré ma future femme, jolie, discrète, gentille, et un beau jour, je suis allé voir son père pour lui demander sa main… ».

Une anecdote qui raconte bien Nore, dont l’existence « est parsemée de belles rencontres », comme il dit. Mais ce Boccassien pur jus, « même si certains insistent à dessein sur mes origines maghrébine­s », a toujours témoigné d’une volonté ordonnée de saisir chaque opportunit­é, afin de réfuter tout fatalisme. « La France est une chance. Si tu as de l’ambition, si tu fais les bons choix, tu peux toujours t’en tirer, souligne-t-il. Ce n’est pas parce que tu es un arabe dans un quartier défavorisé qu’il n’y a pas d’issue ». Pour lui, pas question de se poser en

‘‘ victime. Ni d’en appeler sans cesse à l’aide. Et pourtant, rien ne lui a été donné avec facilité.

Le voilà qui pose devant ces bâtiments que son père grutier est venu jadis construire. Après avoir traversé la Méditerran­ée depuis son Algérie natale. Avant de quitter aussi le foyer conjugal avec la moitié de la fratrie, en direction de Marseille. Une autre fracture.

« Avec ma soeur et mon frère aîné, on a été élevé par ma mère, femme de ménage. Elle a dû jouer tous les rôles, nous inculquer des valeurs, et inspirer le respect, même de la part des plus gros dealers ».

Ses racines sont à SainteJean­ne, mais pour Noré, pas de mauvaise herbe, même si le cannabis y a proliféré sous ses fenêtres.

« Tu es un des rares jeunes d’ici à ne pas être devenu un loubard. Aujourd’hui, tu es à la place où tu devais être, car tu as foi en toi », témoigne joliment Richard, son voisin, poète caché en son jardin secret (et fleuri) du rez-dechaussée. « Je me suis responsabi­lisé très tôt, en voyant nos aînés qui finissaien­t en prison ou toxicos. Chez nous, il y a un dicton : mauvais départ, mauvaise arrivée… ».

À l’école, Nore n’est pas un génie. Après un BTP d’électromén­ager, « qui ne me sert qu’à réparer ma machine à laver », lui serait plutôt du genre électro-méninger. Il passe très tôt son permis (et le finance grâce à sa bourse au lycée Lutinel) « pour travailler et participer au loyer ». Ancien rappeur au sein du groupe Couleur unique, le voilà qui débute une carrière d’animateur par la musique, avant de retourner à ses études et de gravir tous les échelons administra­tifs, jusqu’au poste de directeur. «À plus de 30 ans, j’ai dû rouvrir des livres, réapprendr­e à lire… » Depuis un an, à la tête de son équipe (voir encadré), il tente d’insuffler un renouveau à la vieille bâtisse rénovée. Avec tous ces gamins du quartier, dont il veut contribuer à faire des hommes bien. Lui leur inspire confiance.

Et à travers leurs yeux rieurs, Noré revoit un peu de sa propre enfance…

La France est un pays d’accueil, où chacun a sa chance.”

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(Photo Patrice Lapoirie) Noré Mezouar, souriant devant l’immeuble de son enfance à Sainte-Jeanne.

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