Monaco-Matin

Jean Franco Sky is (not) the limit

Plutôt reconnu comme auteur jusqu’ici, le Villeneuvo­is a décroché le Molière du comédien dans un second rôle pour sa performanc­e tonitruant­e et polymorphe dans Plus haut que le ciel

- JIMMY BOURSICOT jboursicot@nicematin.fr

Une grande joie savourée en catimini, avec un métro de la RATP en guise de limousine pour le ramener chez lui. Jean Franco, 42 ans, a remporté le Molière du comédien dans un second rôle grâce à sa prestation dans Plus haut que le ciel. Manque de bol, il a été primé il y a tout juste une semaine, pile l’année où la cérémonie phare du théâtre français s’est déroulée en version light, encore plus froide que de coutume pour respecter les exigences sanitaires.

« J’ai fait un hit »

Cela n’a pas l’air de gâter l’humeur du bonhomme. Il assure ne jamais avoir fait la course à ce type d’honneur. Ni même aux rôles, d’ailleurs. « Je n’ai aucune ambition de comédien. J’aime bien jouer avec mes camarades, l’esprit de troupe et les répétition­s. Mais ça m’est arrivé de ne pas jouer pendant un an. J’avais assez de pièces en tant qu’auteur pour gagner ma vie. J’étais très heureux comme ça », nous glisse-t-il depuis Paris, en visio sur Zoom. À son actif, notamment, le succès de Panique au ministère ,une pièce écrite en tandem avec Guillaume Mélanie, portée sur les planches par Natacha Amal et Amanda Lear. Ce vaudeville, créé en 2009, est désormais abondammen­t repris par les compagnies amateurs.

« J’ai fait un hit, comme tous ces chanteurs des années 1980 », ironise Jean Franco. « C’est un problème de riche, mais il y a un côté aliénant d’être toujours ramené à ça, quand même. Pour moi, ce n’était pas la meilleure de mes trente pièces, mais c’est celle que le public a préférée. »

Evita et Escoffier

Jean-Laurent Silvi, le Mentonnais qui le dirige dans Plus haut que le ciel (lire en page suivante) s’est également joint à notre échange vidéo. Retiré du côté de SaintMarti­n-Vésubie, il revient un peu en arrière dans la discussion. « C’est étonnant que Jean dise n’avoir aucune ambition d’acteur. Parce qu’il n’y a aucune nonchalanc­e dans sa manière de travailler, tout au contraire. Il est l’un des plus profession­nels de l’équipe. Toujours partant pour répéter, suivre les indication­s, proposer une direction particuliè­re : un vrai bonheur. »

Une chose est sûre, le gamin de Villeneuve-Loubet a toujours voulu graviter autour de la scène. Evita, sa grandmère, lui a « inoculé le virus ». « Elle avait été comédienne dans les années 1970. Elle faisait du théâtre engagé, elle jouait dans les usines. Moi, je prenais des cours au conservato­ire d’Antibes. Pour elle, c’était l’Antéchrist, le truc bourgeois, capitalist­e. L’idée même de gagner de l’argent en jouant était une idée impossible pour elle. C’était un personnage absolument génial. » Comme il nous le racontait dans un précédent article, en 2016, il a donné ses premières « représenta­tions » au musée Escoffier. Vers huit ans, le môme se glissait parmi les visiteurs et lançait des anecdotes à propos du célèbre cuisinier, en impro.

Installé dans la capitale depuis deux décennies, le Sudiste est toujours un peu flippé quand il se produit dans son village. « J’ai la chance de ne pas avoir trop le trac. Mais c’est vrai que quand je monte sur scène à Villeneuve, c’est horrible. Sur cinq cents personnes, je connais presque tout le monde. Ma première nounou, ma première institutri­ce, etc. Ces moments sont chargés d’une émotion dingue. »

Lumière et has been

Jean Franco en a pourtant vu d’autres en deux décennies de carrière. « J’ai eu de très gros succès, de très gros bides aussi. Combien de fois je me suis retrouvé à ne plus saquer ce métier, à trouver tout cet investisse­ment trop compliqué… Maintenant, j’essaie d’accueillir les hauts et les bas avec la même sérénité. »

Pas question, non plus, de se laisser aveugler par les sunlights. « Être dans la lumière est un plaisir, pas un besoin. J’ai commencé ma carrière avec des gens qui étaient has been. J’ai vu comment ce rapport à la célébrité pouvait devenir horrible. »

Zouzou et cabotinage contrôlé

Jean-Laurent Silvi, de son côté, a vu en Jean Franco un acteur brillant, capable de relever le gant dans Plus haut que le ciel. « Quand je suis arrivé à Paris, je suis allé voir le travail des quelques noms que j’avais pu entendre quand j’étais au conservato­ire. Lui et moi, on a eu Lucien Rosso comme professeur, à quelques années d’intervalle [lire également en page suivante]. Quand je suis arrivé à Paris, il était dans une pièce où il avait un rôle de compositio­n, j’avais adoré. Je m’étais promis de le solliciter un jour. C’est arrivé quinze après », sourit le metteur en scène de 36 ans. Au fil des répétition­s, Franco rentre pleinement dans la peau de ses personnage­s. Au pluriel, puisqu’il en incarne quatre. « Physiqueme­nt et dans l’esprit, tous sont très différents. Et comme la pièce est très rythmée, il avait très peu de temps pour se changer », note Jean-Laurent Silvi.

Durant la brève période où il a eu le micro au cours de la cérémonie des Molières, Jean Franco a réussi à remercier Zouzou, son habilleuse. « Elle fait partie de la réussite du truc, elle m’a enlevé mes angoisses. J’avais peur d’arriver à moitié habillé, avec le postiche qui se décolle... Bon, ça s’est passé deux fois, deux grands moments de solitude ! »

Il a également pu compter sur son pote mentonnais pour viser juste et éviter la sortie de route. « Les personnage­s que je joue sont dans l’outrance. C’est évidemment très tentant de cabotiner dans ces cas-là. Jean-Laurent était pour me dire quand pousser les potards ou me calmer un peu. Je lui ai fait une confiance absolue. J’adore être dirigé. Le dosage était parfait. » Pendant l’entretien, les deux hommes, détendus, n’ont cessé de s’envoyer des petites vannes par caméras interposée­s. Il fallait que ça termine comme ça. Jean Franco nous parlait de ses « nouveaux amis » apparus ces derniers jours. « Sûrement des gens qui, par timidité, n’osaient pas me parler avant », sifflait le comédien.

« Maintenant que tu as un Molière, ils vont bien donner ton nom à un rond-point à Villeneuve, non ? », l’allumait ensuite Jean-Laurent Silvi. « Ouais, ou alors une impasse », concluait l’intéressé.

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Je n’ai aucune ambition de comédien”

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Être dans la lumière est un plaisir, pas un besoin”

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