Si le confinement était conté
Le photographe Jean-Pierre Rey consacre un livre à la période inédite que vient de vivre la cité des citrons. Du désert dans les rues habituellement animées à l’effervescence de l’hôpital mobilisé
C’est une courte histoire. Mais l’Histoire ne devrait pas l’oublier. Durant 55 jours, les villes et villages français ont vécu au ralenti, transformés en déserts pour contrer la menace sanitaire. Photojournaliste mentonnais, Jean-Pierre Rey a rapidement compris qu’il fallait garder une trace de ce confinement. Et que sa place n’était pas à son domicile sospellois mais bien dans la rue – comme sa profession l’y a toujours conduit. Tout le long de cette période sans précédent, son appareil et lui ont ainsi capté cette réalité, croisant le regard des confinés et déconfinés.
« J’avais conscience que si Menton était vide, l’ambiance serait particulière, au moins sur le plan graphique. Et certains jours, le temps en rajoutait à la dramaturgie », expliquet-il après coup. Soulignant avoir d’abord été perturbé par le silence de plomb qui régnait, avant de prendre le virus du vide. « J’ai découvert une poésie que je n’avais jamais rencontrée à Menton… »
Signature-vente demain
Des quelque mille clichés issus de ce travail de terrain vient de sortir un livre : Menton confinement, 55 jours pour l’histoire. Un témoignage en images qui sera présenté demain par son auteur chez « Sini »*, dès 17 h 30. Juste à côté du marché, autour duquel Jean-Pierre Rey a beaucoup gravité pour ses photos. Conscient que les rares moments de vie se concentraient là. Aux Mentonnais qui viendront le rencontrer à cette occasion, le photographe pourra raconter combien son ressenti était ambivalent, entre sentiment de liberté et peur du virus. « J’étais toujours à me demander ce que je pouvais toucher. Je nettoyais mes boîtiers toutes les 5 minutes. Au point que je me suis fait de l’eczéma entre les doigts », plaisante-t-il aujourd’hui. Précisant que ce comportement était en partie lié au côté craintif des gens quand ils ont commencé à remettre le nez dehors. Et la pression des autres, Jean-Pierre Rey raconte l’avoir vécue. « J’ai caché à une partie de ma famille que je descendais – d’abord un jour sur deux, puis tous les jours à partir de la troisième semaine. Mais la situation était surréaliste et j’ai estimé que rien ne me retenait. » Il s’est ainsi baladé dans toute la ville, vallées comprises. Mais les photos prises dans les quartiers périphériques ne disaient pas l’absence de vie. « Là où les ambiances m’ont le plus marqué, c’était vraiment le centre-ville, le marché et le bord de mer.
On passait alors d’endroits bons vivants à quelque chose d’apocalyptique », assure-t-il. La photo où figure Cocteau – devenue couverture du livre – illustre en partie ce chaos. Pas tant dans le résultat, mais dans le contexte où Jean-Pierre Rey l’a prise. « J’ai fait une première série où personne ne passe. Je marchais au milieu du rond-point et en voyant l’immeuble détruit, les mouettes, je ne pouvais pas m’empêcher de penser que j’allais me prendre une bastos. Ça m’a rappelé Sarajevo. » Quelqu’un n’ayant vécu ni le conflit dans les Balkans, ni les conséquences de cette guerre sanitaire trouvera peutêtre cela exagéré. Mais pour en avoir discuté avec des anciens, Jean-Pierre Rey peut assurer qu’il n’est pas le seul à avoir ressenti de telles choses. « Ils n’avaient pas vu une telle ambiance depuis la Seconde Guerre mondiale. Tout cela a réveillé des souvenirs chez eux. Les gens ont été bousculés psychologiquement par cette période. »
C’est, ensuite, sur un autre front que le photographe a souhaité se rendre : l’hôpital. Aussi a-t-il appelé la direction de La Palmosa pour lui parler du projet – à la finalité encore incertaine. Après une réunion avec tous les chefs de service, le Mentonnais a été autorisé à passer cinq jours et une nuit aux urgences et dans l’unité Covid. « Les infirmiers et les médecins étaient adorables, très professionnels. J’ai pu constater qu’ils s’occupent des gens avec patience et dévouement. L’hommage qui leur a été fait n’est pas galvaudé.
Je n’accepterai plus aucune critique à l’égard du personnel hospitalier », commente-t-il. Indiquant avoir voulu, dans cette série, faire ressortir à la fois le poids des restrictions sanitaires et la relation avec les patients. Le désespoir et la compassion simultanés.
« Il y a des moments où je n’ai pas fait de photos parce que j’étais trop dans l’émotion. Dans ces cas-là, j’ai attendu le ‘juste après’. Je ne voulais pas que ce soit violent. »
Texte d’un chirurgien
Tout le long des 55 jours, Jean-Pierre Rey s’est attaché à prendre des notes. De sorte que le texte qui accompagne ses photos lui est venu en une seule nuit. Ou presque. « J’avais aussi envie d’écrire quelque chose sur l’hôpital. Mais j’ai pris conscience que ce n’était pas à moi de le faire. Je voulais que cela vienne de quelqu’un qui y travaillait. » En la personne du chirurgien Khaled Youssef, à qui le photographe a donné carte blanche, à condition qu’il n’écrive pas le mot Covid. « Il est passionné de photos et écrit très bien. Il a tout de suite accepté. Le résultat c’est que son texte est super, très touchant. » Pour finir sur une note positive, Jean-Pierre Rey a changé les deux dernières images du livre pour y mettre une photo des Sablettes prise le 11 mai. Date de la libération. « C’est le symbole de la vie qui reprend. Quand la guerre s’en va, la poésie revient...»
*Rencontre dédicace avec Jean-Pierre Rey : samedi 4 juillet à partir de 17 h 30, au restaurant « Sini » 7, rue des Marins, Menton.