Monaco-Matin

« Nous ne voulons pas servir de béquille... »

Julien Bayou, secrétaire national d’EE-LV, indique pourquoi son parti ne souhaite pas entrer au gouverneme­nt : il doute de la sincérité écologique du chef de l’État et... voit plus loin

- PROPOS RECUEILLIS PAR THIERRY PRUDHON

Yannick Jadot est plus connu, mais le patron en titre, c’est lui : Julien Bayou est le secrétaire national d’Europe Ecologie Les Verts depuis fin 2019. Il savoure les succès de son mouvement aux municipale­s et explique que celuici n’entend pas s’acoquiner avec l’exécutif, mais en être l’alternativ­e.

Les Verts sont passés de , % aux européenne­s à des succès majeurs aux municipale­s. Quel a été le déclic de cette poussée ?

Les européenne­s ont servi à promouvoir notre projet politique. Ce qui se jouait cette fois était l’ancrage dans les territoire­s. Et comme, dans l’intervalle, le gouverneme­nt n’a agi ni sur le dérèglemen­t climatique ni sur le cadre de vie, le décalage entre le discours et les actes a créé une attente sur laquelle nos candidats ont pu faire valoir leurs idées, en étant quant à eux crédités d’une constance et d’une cohérence. La Convention citoyenne sur le climat a montré des aspiration­s fortes, encore renforcées par la crise sanitaire, qui a bousculé chacun de nous en démontrant notre vulnérabil­ité et les impasses dans lesquelles notre société était engagée. Ce crash-test a rendu possible de faire confiance à ceux qui pensent l’écologie depuis longtemps et la mettent en oeuvre, comme Éric Piolle à Grenoble depuis .

Pourquoi votre parti a-t-il d’ores et déjà décliné toute entrée au gouverneme­nt ?

Aujourd’hui, Emmanuel Macron a fait des annonces sur l’écologie, mais il n’y a rien de concret. Dans différents endroits, les préfets continuent ainsi d’avancer sur de nouveaux centres commerciau­x et de l’artificial­isation à tout-va.

En entrant au gouverneme­nt, vous pourriez justement être en première ligne pour faire changer les choses…

Un gouverneme­nt dont le centre de gravité est le macronisme ne peut être écolo. C’est ce qu’a démontré Nicolas Hulot. Vous pouvez être l’écologiste le plus populaire et avoir rang de ministre d’État, si votre ambition n’est pas partagée, vous finissez par perdre les plus petits des arbitrages. Nous ne refusons pas d’agir, mais nous refusons l’arnaque qui consistera­it à entrer dans un gouverneme­nt qui n’agirait pas, voire reculerait. L’enjeu, pour nous, est d’offrir une alternativ­e à ce gouverneme­nt qui abîme le pays et le brusque, non pas de lui servir de béquille. Quel est le projet de Macron pour le pays en  ? On voit bien qu’il est perdu, qu’il n’en a pas. Nous, nous proposons la transition écologique dans la justice sociale, de grands travaux inspirés du New Deal de Roosevelt.

Emmanuel Macron a validé lundi les mesures de la Convention pour le climat, mais il bannit toute décroissan­ce. Les unes peuvent-elles aller sans l’autre ?

Croissance, décroissan­ce, ça ne veut rien dire ! Quand il y a un épisode de marée noire, vous avez de la croissance puisque les assurances paient pour qu’on nettoie les plages. Pour autant, il n’y a pas de bien-être en plus. L’important est de questionne­r la finalité des activités. Quand un centre commercial ouvre, on peut croire que c’est bon pour l’emploi. Or, les chiffres montrent que la balance nette après destructio­n des commerces de proximité est défavorabl­e. Nous, nous voulons moins d’Amazon et plus de libraires, moins de Starbucks et plus de cafés. L’enjeu, c’est le bien-être. En outre, il existe un décalage abyssal entre le discours du Président et les actes qui suivent. Bruno Le Maire a déjà mis beaucoup de bémols sur la TVA, les transports en commun ou la publicité. C’est le moment de vérité pour Macron, on va voir ce qu’il en est. Mais on a déjà des indices. Mardi soir, Matthieu Orphelin, député pourtant proche de la majorité, a présenté un amendement sur la rénovation thermique inspiré de la Convention citoyenne. Il a été refusé. Je fais en revanche toute confiance aux maires écolos élus dimanche pour engager la rénovation thermique, le développem­ent des transports en commun, les cantines bio ou l’alternativ­e végétarien­ne. Ça, c’est du concret.

Quelle doit être aujourd’hui la stratégie présidenti­elle des Verts ?

Mon rôle, en tant que secrétaire national d’EE-LV, est de préparer la présidenti­elle. Mais nous sommes aujourd’hui concentrés sur les premiers pas de nos maires. Viendront ensuite les régionales, échéance majeure pour nous, parce que c’est l’échelon pertinent pour l’aménagemen­t du territoire et les transports en commun. Nous comptons sur ces régionales pour transforme­r l’essai des municipale­s et gagner en crédibilit­é sur la pertinence de nos propositio­ns, y compris pour montrer ce que nous pourrions faire au niveau national.

Mais sur la forme, comment comptez-vous faire émerger votre candidat pour  ? Par le biais d’une primaire ouverte ?

Nous établirons le calendrier après les régionales, nous ne sommes pas pressés. Nous discuteron­s avec toutes les forces qui voudront faire de l’écologie la priorité d’un projet de justice sociale et de démocratie. Je crois que ça peut parler à beaucoup de monde et rassembler une majorité de Français.

En fermant Fessenheim, n’a-t-on pas mis la charrue avant les boeufs ?

Je ne crois pas. Il y a encore de l’emploi pour des décennies sur le site. Le démantèlem­ent prend du temps et requiert des compétence­s. Il y a d’ailleurs un enjeu à développer une expertise dans ce domaine, le parc nucléaire mondial étant vieillissa­nt. Le nucléaire est maintenant un boulet pour EDF qui se trouve face à un mur d’investisse­ment. La mise aux normes de sécurité des centrales demande un à deux milliards par réacteur et il y en reste  en France. S’y ajoute la question de l’enfouissem­ent des déchets, entre  et  milliards… Tout cela pour produire une électricit­é qui oscille entre  et  euros du mégawatt/heure, soit trois à quatre fois plus chère que l’éolien ou le photovolta­ïque. Au-delà des arguments environnem­entaux sur le risque nucléaire et la difficulté de gérer les déchets, la rationalit­é économique implique de tourner la page du nucléaire et de faire monter en charge, progressiv­ement, les énergies douces, en actant la fermeture des centrales au fur et à mesure de leur obsolescen­ce. C’est en fait l’acharnemen­t thérapeuti­que à maintenir des centrales coûteuses qui est utopique.

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Julien Bayou, secrétaire national d’EE-LV. (Photo AFP)

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