Fluker, le rorqual amputé, s’est reposé à Hyères
Totalement amputé de sa nageoire caudale, son organe de déplacement, ce rorqual commun bien connu des observateurs du Sanctuaire Pelagos, est dans un état d’amaigrissement avancé
Fluker, ou Codamozza en Italie, est un rorqual commun femelle bien connu des observateurs de cétacés en Méditerranée, particulièrement dans le Sanctuaire Pélagos, cette aire de protection marine de 87 500 km2 qui s’étend entre la Sardaigne, la France et l’Italie. Victime en 1996 d’une amputation partielle du lobe gauche de sa queue après une collision avec un navire ou un enchevêtrement dans des filets, Fluker est facilement identifiable et tient le rôle de mascotte. Suivre ses migrations est aisé du fait de son infirmité. Depuis août ou septembre 2019, c’est l’ensemble de son pédoncule caudal, principal organe de déplacement, qui est arraché, sans doute par cisaillement d’un filet maillant dérivant. « Contre toute attente, Fluker survit à cette deuxième amputation, remarque Frank Dhermain, vétérinaire, coordinateur régional du Groupe d’étude des cétacés de Méditerranée (GECEM). Elle a été photographiée le 16 octobre à l’île du Levant, puis les 26 et 27 octobre près de la frontière espagnole, soit un déplacement minimum de 225 km en moins de 13 jours, Cette vitesse (environ 17 km/jour) est bien supérieure à celle du courant Nord (5-10 km/j). Cela indique Fluker se propulse à la seule force de l’ondulation du bas de son dos ».
« Elle plonge difficilement »
« Il est difficile de prédire l’avenir de Fluker avec une telle plaie, reprend ce spécialiste. Elle plonge difficilement, peu de temps, et reste longuement en surface. Mais une baleine peut survivre longtemps avant de mourir de faim. On a du mal à imaginer comment un rorqual commun pourrait trouver sa nourriture sans pouvoir plonger profondément, mais qui sait... » Mercredi, Fluker a fait une halte entre le littoral hyérois et les îles d’Or. Un avis urgent aux navigateurs (Avurnav) a été émis par la préfecture sur le canal 7 de la VHF. Objectif : ne pas approcher l’animal à moins de 300 m pour lui laisser du répit. Des plongeurs ont bien tenté de se mettre à l’eau, mais des navires des Affaires maritimes et du Parc national de Port-Cros veillaient au grain.
« Fluker est restée statique tout au long de la journée (mercredi), puis elle a repris de la vigueur avant de se déplacer vers le sud-ouest en passant le grand Roubaud, explique Frank Dhermain. Des images par drone ont été tournées par des cinéastes scientifiques : il semblerait qu’elle ait encore maigri. » Un rorqual commun mesure entre 18 et 20 m, son poids est estimé autour des 50 tonnes. La nageoire dorsale de Fluker est elle aussi gravement endommagée. « On peut être émerveillé par la résilience de cet animal. Malgré son amputation, Fluker a parcouru une centaine de kilomètres la semaine dernière pour remonter la Sicile. » Sa présence près des côtes est un indice de son état de santé déclinant car un rorqual plonge habituellement entre 200 m et 300 m pour se nourrir de plancton.
Sans précédent à l’échelle mondiale
« Fluker a déjoué tellement de pronostics, elle a une capacité de cicatrisation extraordinaire... Je pense qu’il faut la laisser tranquille. De quel droit peut-on décider de l’euthanasier ? », reprend Frank Dhermain. « Il n’y a pas de précédent à l’échelle mondiale d’un rorqual totalement amputé de sa nageoire caudale. Il faut rester très prudent. » Le rorqual est la baleine la plus commune en Méditerranée. Plusieurs recensements évaluent leur nombre entre 3 000 et 4 000 individus en Méditerranée occidentale.
◗ Les échouages de cétacés et mammifères marins font l’objet d’un suivi continu par le réseau national d’échouage depuis 1972. Signalez-les à l’Observatoire Pélagis (05.46.44.99.10) ou au GECEM, coordinateur régional (04.91.26.72.25).