Monaco-Matin

Daniel Pautrat « Poulidor positivait mais ne se soignait pas »

Le journalist­e aux 60 Tours de France fait de l’épopée du champion un roman qui n’évite pas les sorties de route pour conter l’envers du décor de l’éternel n°2. En dédicace tropézienn­e le 5 août

- LAURENT AMALRIC lamalric @nicematin.fr

De France Inter à TF1, la voix du Tour, c'est lui ! Record absolu, durant une cinquantai­ne d'éditions, Daniel Pautrat a chevauché à l'arrière des deux-roues (avant de continuer en auto en 2020 encore) pour ressentir au plus près, micro en main, le peloton. Une époque où les reporters avaient porte ouverte dans les chambres des coureurs. Varois d'adoption dès 1977 aux Arcs, c'est à Grimaud où il est installé depuis 2005, que Daniel Pautrat reçoit en famille. Non loin de la résidence de feu Henri Desgranges, fondateur du Tour de France en 1903 et du confrère de jadis, Robert Chapatte. A l’orée d’une Grande Boucle au départ niçois, mais décalée et orpheline de sa figure à la « Poupoulari­té » hors pair, rencontre autour du Roman de Poulidor (Mareuil éditions), hommage tout-terrain à l’éternel deuxième, aux 189 victoires, côtoyé dès 1961.

Pourquoi un livre de plus sur Poulidor après ses propres biographie­s ?

À sa disparitio­n, mon éditeur qui était aussi celui de Poulidor, m’a demandé un livre-hommage. ‘‘Autant que ce soit toi. Tu le connais le mieux’’, m’a-t-il dit. C’est vrai que nous nous sommes rencontrés à mes tout débuts. Lors de la Ronde cycliste du carnaval d’Aix-en-Provence . Pour l’interview, je l’ai déniché en train de jouer à la belote – son sport préféré ! – avec des ouvriers portugais dans l’arrière-salle d’un bistro. Cela donne une idée du personnage !

Qu’apprend-on que l’on ne savait pas ?

Ce n’est pas une biographie, d’où le titre. Je mène l’enquête façon

Stéphane Bern dans Secrets d’histoire avec des témoignage­s inédits de ses filles, son frère, son meilleur ami d’enfance, etc.

Le fil rouge ce sont ses quatorze Tours de France avec, à chaque fois, une défaite pour des raisons différente­s... Pourquoi ? Alors que lui y croyait à chaque fois ! En revanche, je me suis autocensur­é sur le chapitre intime féminin...

Poulidor chéri du public mais ‘‘mal aimé du peloton’’, la raison ?

Il était jalousé. Dès ses débuts, il gagne le très dur Milan-San Remo – son exploit n° – puis devient champion de France sur les terres d’Anquetil... Un crime de lèse-majesté qu’il ne lui pardonnera jamais et lui coûtera cinq Tours de France. L’autre raison, c’est qu’il était trop individual­iste. Il ne lâchait rien

– à commencer financière­ment – pour s’attirer la ‘‘bienveilla­nce’’ de ses équipiers ou des autres coureurs qui auraient pu faire la différence en sa faveur. Molinéris [ex-maillot jaune Grenoblois, ndlr] a démoli Raymond à ce sujet en plein Tour  et je dois dire que cela l’a ébranlé, vous ne pouvez pas imaginer... Il s’identifiai­t à sa légende et avait la hantise de ne plus être adulé dans la rue. Sans être prétentieu­x, son souhait était que le terme ‘‘poulidor’’ entre dans le dictionnai­re pour désigner ‘‘un éternel second’’. C’est vrai que des sportifs comme lui, il n’y en a pas deux !

Les duels Anquetil-Poulidor ont divisé la France en deux. Étaientils les Beatles & Stones du cyclisme ?

Je reproduis des courriers de fans de l’époque, et oui c’était de ce niveau-là ! Moi-même, j’étais devenu ‘‘poulidoris­te’’ car le contact était facile alors qu’Anquetil avait sa cour et j’étais plus impression­né.

Et pourtant, ils ont failli être dans la même équipe en  par le biais de Raphaël Géminiani...

Oui le ‘‘Grand Fusil’’ disait qu’avec un bon coup de pied au c... il aurait gagné le Tour, sauf que Poulidor était encore ‘‘l’ennemi’’ d’Anquetil. Bien qu’en fin de carrière, ce dernier n’était pas pour l’intégrer à son équipe et Poulidor était gêné aux entournure­s de s’imposer à son rival. Surtout sans lui, c’était la fin de l’équipe Mercier à laquelle il a voulu rester fidèle...

Poulidor homme de droite mais ‘‘héros’’des communiste­s !

Il vénérait De Gaulle, mais effectivem­ent incarnait, sans avoir jamais pris position sur quoi que ce soit, cette France profonde qui, aujourd’hui, est aussi peut-être extrême droite...

‘‘

Avec Anquetil, les Beatles & Stones du sport”

‘‘

Je me suis autocensur­é sur le chapitre intime...”

Son Tour de trop ?

En tant que coureur, aucun. Il en a fait quatorze, mais aurait pu en faire dix-neuf s’il n’y avait pas eu la Guerre d’Algérie , et donc gagner le Tour, car à vingt ans il était aussi fort qu’à vingt-cinq. Sinon en ‘‘suiveur’’ , c’était l’an dernier. Malade, il était sur le Tour sans y être... Il voulait être éternel mais ne se soignait pas. Lorsqu’il a eu un cancer de la prostate, il a fallu que son entourage le force à s’en occuper. Il prenait aussi depuis des années des pilules pour le coeur, mais ne consultait jamais de cardiologu­e... Il est mort de ça... Cette histoire de lui, perdu, hagard dans Orléans, alors qu’il se rend à deux dédicaces, deux mois avant sa mort, résume tout. Il positivait tout le temps et même très fatigué, ne se plaignait jamais ! Sa force naturelle l’a toujours fait se surpasser et pour lui cela devait continuer comme ça.

S’il devait être un titre de roman ?

Il faut piocher chez Balzac. Poulidor, c’est la vie du peuple !

Daniel Pautrat sera en dédicace le 5 août aux Nocturnes littéraire­s de Saint-Tropez.

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