Monaco-Matin

« On se connaît depuis  »

Hervé Renard et Laurent Bonadei ont joué ensemble à Vallauris. Depuis un an, ils sont à la tête de la sélection nationale d’Arabie Saoudite, dont l’objectif est la qualificat­ion à la Coupe du monde 2022

- VINCENT MENICHINI

Courant mars, ils ont quitté l’Arabie saoudite, juste avant que le pays ne ferme ses frontières pour une durée indétermin­ée. Depuis, Hervé Renard et Laurent Bonadei ont pris leurs quartiers dans le moyen pays, où ils enchaînent les footings et les sorties à vélo pour garder la forme. En attendant de retrouver le Golfe Persique, les deux entraîneur­s se sont retrouvés, à Valbonne, pour nous parler ballon. Un grand plaisir...

Pourquoi avoir choisi Laurent comme premier adjoint ?

Hervé Renard : cela faisait un moment que je souhaitais bosser avec lui. L’opportunit­é s’est présentée. On se connaît depuis  et notre expérience commune à Vallauris. On jouait ensemble au milieu de terrain.

C’est à cette époque qu’est née votre amitié ?

Laurent Bonadei : oui, Hervé m’a accueilli à mon arrivée au club. H.R. : tu te souviens du premier entraîneme­nt à la Valmasque ? On s’était mis tous les deux. J’aimais bien le caractère de Laurent, quelqu’un de simple, bien humainemen­t. J’étais le capitaine de Vallauris.

L.B. : ça a « matché » de suite entre nous (sourires).

Vous aviez failli monter en D ?

H.R. : quand j’ai signé, le club était encore en D sur le papier. Mais Ajaccio avait finalement gagné un match sur tapis vert. Du coup, ce sont eux qui sont montés. Vallauris avait fait un gros recrutemen­t. J’ai joué sept saisons là-bas.

Le contact n’a jamais été rompu entre vous ?

L.B. : oui, j’ai toujours suivi ses résultats de partout où il est passé, même lorsqu’il était adjoint de Claude Le Roy. C’est ça l’amitié. Nos parcours sont complèteme­nt différents, mais cela nous permet d’avoir une vraie complément­arité.

H.R. : oui, on s’est toujours suivi. Laurent est venu valider son diplôme d’entraîneur avec la sélection du Maroc, par exemple.

Quelle est la première qualité de Laurent ?

H.R. : la loyauté, sur le plan humain. C’est essentiel à mes yeux. Ensuite, profession­nellement, c’est un perfection­niste. Comme j’ai pu l’avoir pour Claude Le Roy, quand j’étais son adjoint, je sens un profond respect de la part de Laurent envers moi. C’est une affaire d’hommes les aventures que je peux vivre. C’est bien différent de ce qu’on peut connaître en France. Sur le plan familial, ça peut être éprouvant, avec beaucoup de déplacemen­ts. Je ne me plains pas, mais il faut avoir le courage de le faire.

C’était une opportunit­é unique ?

L.B. : oui, en aucun cas un sacrifice. C’est sûr que lorsque j’ai parlé à la famille à l’Arabie saoudite, il y a eu beaucoup de questionne­ments. Mes proches m’ont rejoint à plusieurs reprises. Dès la fin de l’été, ils s’installero­nt à mes côtés.

H.R. : on habite à côté l’un de l’autre. Il y a une vraie solidarité. Je peux aider ceux qui n’ont pas trop l’habitude d’être expatriés de par mon expérience à l’étranger. Je conseille. Après, chacun mène sa vie comme il entend (sourires). Ça fait  ans que je voyage. J’ai démarré par la Chine, l’inconnue totale.

C’est rassurant de partir à l’étranger avec Hervé Renard ?

L.B. : bien sûr... Je ne serais pas parti avec n’importe qui. C’est un meneur d’hommes, un gros bosseur, un rassembleu­r. Il a vécu dans plusieurs pays, plusieurs continents. Il a une vraie richesse. H.R. : l’homme que j’étais, en janvier , avant mon premier départ à l’étranger, n’est plus du tout le même. J’étais allé en Guadeloupe en vacances avant ça. J’ai changé en tant qu’entraîneur, mais c’est surtout l’homme qui a changé. Je suis devenu plus tolérant au contact de toutes les cultures croisées. Parfois, je suis critique envers les Français qui n’ont jamais bougé et font la leçon. C’est faire preuve de petit esprit. Mais quand on ne voit pas grand-chose... En Afrique, pour caricature­r, on ne marche pas tous pieds nus.

Un adjoint doit-il tout dire à son numéro un ?

L.B. : on est amis, ce qui ne doit pas nous empêcher de se dire les choses, se mettre en garde, se féliciter. C’est la base. On n’est pas là pour se caresser dans le sens du poil. S’il n’y avait pas cette transparen­ce, je n’aurais pas pu être adjoint.

Avez-vous les mêmes principes de jeu ?

H.R. : on peut avoir des idées différente­s. C’est logique compte tenu de nos parcours respectifs. Laurent est resté longtemps à la formation. Il m’apporte beaucoup dans ce domaine. L’Arabie saoudite était une équipe vieillissa­nte qu’il a fallu rajeunir. L.B. : il y a un vrai potentiel dans ce pays. En France, on a tendance à presser les jeunes comme des citrons pour en tirer le maximum. Là-bas, il y a encore du jus à sortir.

L’objectif prioritair­e est la qualificat­ion pour la Coupe du monde  ?

H.R. : oui, c’est réalisable. Il y a une énorme attente. La pression va monter petit à petit. Là, on est au début des éliminatoi­res. J’ai connu ça au Maroc, qui attendait de se qualifier pour une Coupe du monde depuis  ans (sourires).

Le joueur saoudien a-t-il des particular­ités ?

H.R. : techniquem­ent, le niveau est très bon. Je ne m’y attendais pas. C’est une très bonne surprise, ça demande confirmati­on.

Avez-vous le sentiment de ne pas être reconnu à votre juste valeur en France et que vos deux victoires à la Coupe d’Afrique des nations pèsent peu ?

(L’entretien est interrompu par deux supporters marseillai­s qui lui demandent quand il signera en tant que coach de l’OM, ndlr).

H.R. : je ne les ai pas payés (rires). Je n’ai pas eu beaucoup de temps en Ligue . C’était mon seul objectif d’atteindre l’élite quand j’ai débuté à Draguignan, en . Je l’ai atteint en , à Sochaux. On a fini e sur la phase retour. On a raté le maintien lors de la dernière journée mais c’était une belle aventure. A Lille, on m’a laissé trois mois... Laurent m’avait conseillé de prendre Moussa Dembélé. Lille n’a pas voulu. Il m’avait également dit de prendre Maignan, une très bonne idée, il me semble (sourires).

Le LOSC l’a payé un million d’euros, il en vaut . Il y a un goût d’inachevé mais c’est comme ça. Je me suis précipité. La Ligue  reviendra, ou pas...

Vous voyez-vous longtemps ensemble ?

H.R. : ça dépendra de ce que Laurent a envie de faire. Je pourrais comprendre qu’il ait des envies de devenir un jour numéro un. Le plus important, c’est la transparen­ce. Quand Mikel Arteta part à Arsenal, Pep Guardiola doit être content quelque part. Si Laurent a une opportunit­é, je lui dirai de foncer. Il a plein de choses à vivre et les qualités pour réussir.

L.B. : je suis toujours resté trois, quatre ans dans un club. J’espère qu’un jour j’aurais l’opportunit­é de vivre ça. Mais si on fait trois Coupes du monde successive­s avec Hervé, tout ira bien. Je suis très épanoui dans mon rôle, j’espère que ça va durer. Chaque matin, je suis heureux d’aller bosser. Je suis comme un jeune.

Remporter un trophée comme la CAN, ça marque une vie ?

H.R. : il n’y a rien d’aussi bon que la gagne. Remporter un trophée, c’est le bonheur absolu. On fait ce métier pour vivre de telles émotions. C’est magique. Je souhaite à Laurent de vivre une Coupe du monde. Le Maroc Portugal, avec   Marocains en Russie, c’est gravé à vie. On n’était que deux entraîneur­s français avec Didier Deschamps (sourire en coin).

Quelle est l’équipe qui vous anime en ce moment ?

H.R. : le Liverpool de Kloop. J’aime ce que cette équipe dégage, la personnali­té de cet entraîneur. Il aime ses joueurs, les prend dans ses bras. Il y a du management, bien sûr. Bon, quand tu gagnes, c’est toujours plus simple (sourires). Il n’a pas les meilleurs joueurs du monde, mais le collectif est exceptionn­el. L.B. : à Liverpool, il y a des compétence­s techniques et tactiques, mais il y a surtout une âme.

H.R. : quand il y a ça, tu peux réussir de grandes choses. Le foot d’aujourd’hui, c’est un sacrifice collectif. Ceux qui ne l’ont pas compris auront du mal à obtenir des résultats. Le talent, c’est bien, mais il ne faut pas que ça.

S’il suffisait d’empiler les bons joueurs pour gagner des matchs, ce serait simple.

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(Photo V.M.) Hervé Renard et Laurent Bonadei (ex-OGC Nice) dans les ruelles de Valbonne.

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