Monaco-Matin

Un chauffeur de bus écarté pour raisons politiques ?

Le CDD d’Alessio Chetry n’a pas été renouvelé par son employeur à la suite d’un « incident grave ». Son tort ? Avoir fourni des clichés à l’opposition de La Turbie montrant des stationnem­ents abusifs

- THIBAUT PARAT tparat@nicematin.fr L’installati­on du conseil municipal n’a eu lieu que le (1) 25 mai.

C’est un arrêt de bus qui fait couler beaucoup d’encre. Placé pile poil devant la police municipale de La Turbie, avenue des Anciens combattant­s d’Afrique du Nord, et niché en bas de la mairie. Un panneau explicite interdit le stationnem­ent abusif sur les zébras jaunes, sous peine de mise en fourrière. Sur le papier, tout semble réuni pour éviter les abus. Dans les faits, c’est tout le contraire. Il n’est pas rare de voir des camions de livraison ou des usagers de la route se garer sur cet emplacemen­t réservé.

Conflit avec une élue

Ce 14 mai, au sortir du confinemen­t, c’est le véhicule personnel d’une future adjointe au maire qui pose problème (1), alors qu’Alessio Chetry prend son service de 17 h 10. Si le chauffeur de bus de la ligne N5 – un circuit intra-muros propre à La Turbie – arrive à se garer sur l’emplacemen­t derrière le véhicule gênant, ce n’est pas le cas du bus N11, desservant Monaco. « Étant donné la grandeur de la navette, elle s’arrête au beau milieu de la route pour faire descendre les passagers en les mettant en danger », raconte Alessio Chetry. Rebelote lors du deuxième passage. L’adjointe concernée vient à leur rencontre. Alessio Chetry a maille à partir avec elle. « J’ai essayé de lui faire entendre raison, que c’était impossible pour elle de se garer ici, qu’il y avait d’autres places de parking à La Turbie. Elle m’a menacé que si je continuais, je perdrai mon travail », poursuit-il.

Le soir même, le conducteur de bus fait remonter l’incident par mail, photos à l’appui, à sa direction d’Hâpy Transport, sous-traitant de

Keolis chargé par la Communauté d’agglomérat­ion de la Riviera française (Carf) de gérer le réseau de transports Zest. L’affaire semble burlesque et aurait pu s’en arrêter là. Mais pour Alessio Chetry, elle vire au cauchemar.

« Une crise politique »

Les abus perdurent dans le temps. Alessio Chetry décide alors de passer par un autre biais et de se référer à Jean-Philippe Gispalou, conseiller municipal d’opposition à La Turbie, dont le directeur de la communicat­ion est son frère. C’est là que l’affaire semble prendre un tournant politique.

Le 25 mai à 7 h 45, Jean-Philippe Gispalou adresse un mail au maire, Jean-Jacques Raffaele et à sa directrice générale des services, pour faire remonter l’informatio­n. Sans citer aucun nom, ni celui du chauffeur mécontent, ni des propriétai­res des voitures. Le retour de bâton ne se fait guère attendre pour Alessio Chetry. « Le soir même, avant de reprendre mon service de 17 h 40, je reçois un appel de mon directeur disant que je ne roulerai pas, que je dois rester jusqu’à nouvel ordre à mon domicile et que je serai remplacer par un autre conducteur. Il me dit que l’envoi des photos à M. Gispalou constitue une faute grave. »

Le chauffeur est convoqué le 2 juin. Ce jour-là, il fait face à Bernard Doyen, patron d’Hâpy Transport et à Jean-Louis Dunyach, délégué du personnel. Cinquante minutes d’entretien durant lequel – preuves à l’appui – on lui concède que l’élue est bien «entort» mais on lui reproche d’avoir déclenché une « crise politique ». Il est même question d’un « ultimatum » donné par les décideurs pour ne « plus voir ce monsieur [Alessio Chetry, N.D.L.R.] sur les circuits » de bus.

« Pas de pression »

Le 11 juin, quelques jours après cet entretien, durant lequel il refuse de signer une rupture anticipée, Alessio Chetry reçoit un courrier signé de Bernard Doyen. Lui indiquant que son CDD, s’achevant le 30 juin, ne sera pas renouvelé. « Suite à un incident grave vous concernant, notre donneur d’ordre nous a expresséme­nt demandé de ne plus vous affecter sur le site de la navette n°5 de La Turbie (...) Vous quitterez donc l’entreprise au 30 juin », peuton y lire.

Y a-t-il eu pressions politiques pour se débarrasse­r d’un chauffeur, dont le frère a des accointanc­es avec l’opposition turbiasque ? Sollicité, Bernard Doyen d’Hâpy Transport n’a pas souhaité commenter l’affaire concernant son ancien employé. « Je ne m’occupe pas de politique », a-t-il lâché. Le maire de La Turbie, Jean-Jacques Raffaele, confirme qu’il a sollicité la Carf après le mail de Jean-François Gispalou. « Je ne savais pas, alors, que le chauffeur était M. Chetry, je ne l’ai su qu’après. Mais oui, j’ai alerté la Carf en leur disant que je trouvais inadmissib­le qu’un chauffeur de Zest transmette des photos à l’opposition plutôt qu’au maire. Je pense que c’est une faute grave. C’est au maire de prendre les mesures nécessaire­s et d’alerter la police municipale que des véhicules stationnen­t sur un arrêt de bus, quand bien même c’est le mien ou celui d’un autre. Après, que mon appel ait été interprété comme un geste politique, cela concerne les instances pour déterminer si cela en est un. Je n’ai pas fait de pression. » À quel moment, donc, le nom d’Alessio Chetry est arrivé sur la table ? Le service des transports de la Carf et Keolis assurent ne pas avoir exercé de pression (lire cidessous). Mystère, donc. Toujours est-il qu’Alessio Chetry, désormais sans emploi, compte porter l’affaire devant les prud’hommes. Jean-François Gispalou, au titre de conseiller municipal, va porter plainte à la gendarmeri­e nationale.

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Ce  mai dernier, la voiture d’une élue municipale bloque l’accès au bus. En faisant remonter des photos à l’opposition, le conducteur de bus a déclenché, selon son employeur, « une crise politique ». (DR)

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