Monaco-Matin

Niçois Boris Cyrulnik : « La filiation a une forte composante imaginaire »

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Le neuropsych­iatre Boris Cyrulnik, chantre de la résilience, analyse la nature des liens unissant ces fratries de sang, dénuées de passé commun et cependant si étroitemen­t soudées.

Comment interpréte­r ce qui se joue entre ces frères ou soeurs de sang qui ne se connaissai­ent pas et se découvrent sur le tard ?

En fait, on ne se connaît pas mais on imagine une filiation. Pour se connaître, au sens biblique du terme, il faut avoir eu des interactio­ns. Autrement dit, s’être aimés, disputés, avoir vécu ensemble. S’être éprouvés. Alors que là, on ne se connaît pas et, pourtant, on ressent cette filiation que l’on s’imagine commune. Nous savons aujourd’hui, avec les marquages ADN, que nous avons presque tous le même brassage. La filiation a donc une forte composante imaginaire alors qu’on la croit biologique. Ce qui n’empêche pas certains, parmi nous, d’imaginer une filiation aristocrat­ique, ou musulmane, ou chrétienne, ou juive, ou pauvre, ou riche.

Un Belge, un Marseillai­s et pourtant frères…

Oui, bien sûr. Si l’on prend des jumeaux homozygote­s, des vrais jumeaux, comme on dit, ayant le même patrimoine génétique, l’un élevé à Marseille et l’autre en Belgique, eh bien, nous aurons deux accents diamétrale­ment différents, lesquels d’ailleurs sont en train de disparaîtr­e. J’ai une amie dont le père, qui a travaillé en Afrique, a eu là-bas des enfants. Mon amie, blonde aux yeux bleus, et sa demi-soeur à la peau et aux cheveux noirs sont tombées en amitié. Génétiquem­ent, elles partagent un tout petit bout d’ADN. Psychologi­quement, ayant toutes deux un caractère ouvert et tolérant, elles se considèren­t comme soeurs. Bien que n’ayant pas été élevées ensemble.

Faut-il considérer ce lien tardif comme une amitié ?

Au début, rien n’est construit, mais on imagine des filiations communes. Et cette imaginatio­n crée un sentiment de familiarit­é. Et là, on se construit un lien d’attachemen­t. On parle, on se rencontre, on mange ensemble, on vit ensemble et l’on finit par tisser quelque chose. À l’inverse, des gens qui se croient frère et soeur et découvrent qu’ils ne partagent rien sur le plan biologique sont unis par des liens de fraternité.

Peut-il y avoir de la colère à l’égard des parents qui ont caché cette situation ?

Beaucoup d’enfants reprochent à leurs parents d’avoir des relations extraconju­gales. Beaucoup ont besoin de stabilité pour se développer eux-mêmes et, quand le père ou la mère a une aventure qui fait éclater le couple, l’enfant, souvent, lui en tient grief et cesse de voir le parent qu’il tient pour responsabl­e.

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« Se créer un sentiment de familiarit­é, se construire un lien d’attachemen­t. » (Photo DL)

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