Parcours vertigineux à bo du train des Merveilles
De Nice à Tende, il transporte les voyageurs sur l’une des lignes les plus spectaculaires d’Europe. Tout au long du trajet, un guide conférencier commente l’histoire de cet axe centenaire...
Après l’obscurité du tunnel et dans un virage serré, la lumière bondit sur les vitres du wagon. Au loin, les villages perchés apparaissent soudainement, nichés entre les vallées d’ombre et les collines verdoyantes. Sous les masques en tissu, l’émerveillement des visiteurs reste palpable. Les coeurs s’emballent et les sens s’affûtent devant ce panorama particulièrement sauvage et préservé.
Entre Nice et Tende, sur une dizaine de haltes (1), le train touristique des Merveilles figure parmi l’un des plus beaux trajets ferroviaires d’Europe.
Crée en 2002 à l’initiative du conseil régional et de la SNCF, il débute sur le littoral méditerranéen et chemine jusqu’aux portes du parc du Mercantour. Tous les jours de l’été, cette « ligne de vie » – empruntée quotidiennement par des travailleurs de la vallée – se mue en train merveilleux par la présence d’un guide touristique à bord. Chaque matin de l’été, en gare de Nice-Ville, il accompagne les voyageurs et commente l’itinéraire du train qui grimpe – jusqu’à 800 mètres d’altitude – vers les villages des vallées du Paillon, de la Bévéra et de la
Roya. L’occasion de découvrir la richesse du patrimoine artistique et culturel de l’arrière-pays. Ce jour-là, dans le tumulte de la gare centrale de Nice, le train des Merveilles s’apprête à partir. Il est 9 h 16. Le signal retentit. Fermeture des portes. En route pour une expédition de deux heures jusqu’à Tende. Arpenter les ruelles sinueuses de Peillon, découvrir le bourg médiéval de Sospel, admirer les maisons en linteaux sculptés de Saorge ou randonner au départ du village de La Brigue... Au gré des envies, les voyageurs peuvent choisir de descendre de la rame à n’importe quel moment du parcours.
Gorges dantesques et relief montagneux
Au milieu du wagon, Stéphanie Cornil, guide conférencière entame son récit captivant. « Chaque jour, des mulets montaient et descendaient cet axe. Ils portaient des centaines de kilos de sel. Le trajet était une véritable aventure... »
Car la ligne du train des Merveilles suit l’ancienne route du sel entre la Méditerranée et le Piémont. « Avant les premiers trains à vapeur, les hommes empruntaient les vallées pour rejoindre le col de Tende et Turin, capitale des États de Savoie. »
Le tracé ferroviaire permettait de passer à travers les Alpes en voiture à cheval « comme s’il n’y avait pas de montagnes », selon l’expression de l’ancien président des États-Unis, Thomas Jefferson qui l’emprunta en 1786. Moins de trente minutes après avoir quitté Nice, les lambeaux de brume accrochés aux montagnes apparaissent au loin. L’église baroque de L’Escarène trône fièrement autour des collines. Un peu plus loin, les gorges dantesques de L’Erbossière donnent le tournis juste en dessous des rails. Dépaysement garanti. L’occasion pour la guide de souligner que le train des Merveilles est le fruit d’un chantier totalement horsnorme engagé en 1883 par l’ingénieur Paul Séjourné. « Pour lui, chaque viaduc devait être une oeuvre d’art intégrée dans son paysage... »
Inauguré en 1928, l’axe NiceTende-Cuneo compte de nombreux ouvrages d’art et réunit une centaine de ponts et de viaducs et presque autant de tunnels et de murs de soutènement. Au cours du voyage, on apprend également que cet axe a connu les soubresauts de la guerre. Certains ouvrages ont dû être détruits pour empêcher le ravitaillement des troupes allemandes installées en haute Roya puis reconstruits après la Seconde guerre mondiale.
Une prouesse technique
Aujourd’hui, le train des Merveilles figure dans les guides touristiques de toute la planète, du Japon à l’Amérique en passant par la Norvège et l’Australie. Avec environ 2 300 visiteurs par jour, il attire 20 % d’étrangers chaque année.
Cet été, Covid oblige, les voyageurs sont essentiellement des Azuréens qui cherchent l’évasion sur leurs propres terres. Comme une envie de retour aux sources. Micro à la main, la guide Stéphanie Cornil marque un temps de pause et attire l’attention sur la courbe des rails. À l’approche de Saint-Dalmasde-Tende,
les wagons s’engouffrent dans la vertigineuse boucle hélicoïdale de Berghe. La machine serpente lentement sous la roche et se retrouve de l’autre côté de la vallée. Une prouesse technique qui fait perdre la boussole !
Il est 11 h 30 et le train s’arrête en gare de Tende. Terminus, tout le monde descend. L’occasion de faire une halte au village pour approcher les chapelles baroques, les vestiges du château Lascaris ou encore le musée des Merveilles. Dans l’après-midi, retour vers Nice. Sur le quai, un orage rauque abolit brusquement l’été. La pluie constelle les vitres du train et le ciel affolé couvre le panorama. Pas de chance ! Mais qu’importe, le charme a opéré et le souvenir d’une journée sans nuage restera gravé dans la mémoire des voyageurs.
Chaque viaduc devait être une oeuvre d’art
Un panorama sauvage et préservé
1. Peillon-Sainte-Thècle, Peille, Escarène, Sospel, Breil-sur-Roya, Fontan, Saorge, Saint-Dalmas-deTende, La Brigue, Tende...