La barbe de Garibaldi par Philippe Chatel
La jeune Nina, à peine pubère, tremblait depuis des années d’un mal incurable au regard de la médecine traditionnelle. Lupion, bon apôtre d’Hippocrate, docteur spécialisé dans les maladies de sang, d’humeur et de chaleur, tenta de bonnes vieilles saignées afin que les tremblements compulsifs de l’adolescente coulent goutte à goutte et s’évaporent au soleil niçois si curatif contre les troubles nerveux.
Sans être égyptien, sans vénérer le dieu Ré, il préconisait aux Parisiens et mondains d’Europe des cures sous le ciel ensoleillé de Nice en vue d’extraire de leurs corps les mauvaisetés accumulées dans leurs cités pécheresses où la chair et la bonne chère dominaient les âmes. Nul besoin de recourir à la pharmacopée et aux formules chimiques des savants académiques, puisqu’il suffisait de se soumettre à la bronzette, et ainsi de chasser par la lumière les ombres néfastes enfouies dans les artères. Seulement, dans le cas de la petite Nina, ça ne fonctionnait pas, ce qu’il expliquait par sa naissance à Nice qui de toute évidence l’avait immunisée de la guérison solaire. Gavée de soleil, il n’agissait plus sur elle. En ce temps-là vivait la mère Pertinence, logée dans une cabane de planches sur la plage de Villefranche-sur-Mer, dernier espoir des recalés de la médecine.
Selon la rumeur, elle rendait la vue aux aveugles, l’ouïe aux sourds, le bavardage aux muets, et la trique aux mous, par des prières, des conseils, des onguents merveilleux et toutes sortes de subtilités prodigieuses. Nina se présenta à sa porte, lui expliqua son malheur en tremblant comme le Stromboli en colère, et lui demanda son aide occulte. «Ma fille, lui dit-elle, là où la médecine a échoué, la magie n’agira pas.
– Je souffre tant, Madame Pertinence, je ne dors pas, Satan m’habite et je suis prête à signer un pacte avec lui s’il arrête.
– Pauvrette, tu seras en paix pour cette vie et en peine pour l’éternité.
– C’est déjà ça de gagné.
– Et tout le reste de perdu. Laisse donc ce vieux bouc de diable prendre ses bains de lave sans toi.
– Me guérirez-vous ?
– Te guérir, me prends-tu pour sainte Rita ?
– Vous étiez ma dernière chance, je n’ai plus qu’à mourir. – Même pas, gamine. Voilà ce que tu vas faire, tu iras trouver de ma part Francesca Armosino avec laquelle je partage un ancêtre commun. Elle est la compagne de Garibaldi dont tu devras toucher la barbe en disant je suis guérie.
– Et pourquoi ce célèbre bonhomme accepterait de me recevoir ?
– Par la voie sacrée de ma cousine qui lui réchauffe son lit, lui caresse le coeur et lui donne belle descendance. Tu remettras à Garibaldi une lettre cachetée que je vais t’écrire.
– Ça fait des années qu’on ne l’a pas vu à Nice, où est cet oiseau rare ?
– À Caprera.
– Quel cap ?
– Caprera, petite île de l’archipel de la Maddalena sur la côte nord-orientale de la Sardaigne. – Et comment je vais là-bas moi ?
– En bateau jusqu’au nord de la Corse, puis tu traverseras cette île jusqu’au sud d’où tu t’embarqueras jusqu’à Caprera.
– Mes parents n’accepteront pas.
– Je parlerai à ton papa, c’est bien lui qui tient la florissante confiserie baptisée les Délices Croquants de Nice ?
– C’est lui.
– J’irai le voir ce soir et je l’argumenterai de telle façon qu’il adhérera au projet. »
Chose dite, chose accomplie par la mère Pertinence qui arracha l’accord du père de Nina et le financement du voyage avec pour dame de compagnie Bertille la Bécasse, stricte figure strasbourgeoise, guindée
Les mauvaisetés accumulées dans leurs cités pécheresses
«Tu remettras à Garibaldi une lettre »