Monaco-Matin

Les maisons de famille, cocon estival toutes génération­s

Dans son livre « La mémoire de la maison », Bernadette Bricout a évoqué les souvenirs accrochés aux murs des demeures familiales. Elle décrypte les liens qui, plus que jamais, unissent à elles

- PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTOPHE CIRONE ccirone@nicematin.fr

Elle s’est inspirée de « la mémoire de la maison », pour en tirer un livre qu’elle a intitulé ainsi (1). Son sous-titre : « Paroles du logis et contes du foyer ». Contes, légendes, coutumes, croyances, proverbes autour de la maison... Bernadette Bricout aime raconter ces maisons de famille et déceler, derrière leurs façades plus ou moins rongées par le temps, les liens qui les unissent à ses hôtes. Essayiste, professeur émérite à l’université Paris-Diderot dont elle fut vice-présidente, Bernadette Bricout a aussi étudié à Nice – elle y a été élève en hypokhâgne, puis khâgne. En cet été de retrouvail­les post-confinemen­t, elle nous invite à revisiter ces maisons de famille.

Qu’entend-on exactement par « maison de famille » ?

En règle générale, c’est une maison qui nous place dans un espace et un temps plus larges que notre propre vie. C’est souvent la maison de l’enfance : soit celle où on a été elevé, soit celle où on allait en vacances chez les grands-parents. Elle est inscrite dans le temps de la vie, mais aussi dans un temps long de la mémoire. Parler d’une maison de famille, c’est forcément parler d’héritage, au sens sentimenta­l plutôt que de valeur marchande. La notion de bien monnayable intervient après... et c’est souvent à l’origine de hiatus.

C’est un bien précieux ?

Cette maison peut être pauvre ou poussiéreu­se, elle reste liée à un rêve. Hier, j’ai croisé une amie. Elle

venait d’apprendre que sa mère s’était décidée à vendre une maison de famille. Je pensais que ce serait difficile pour sa mère. Mon amie m’adit: « C’est surtout difficile pour moi ! Je n’y allais plus, mais cette maison, c’est vraiment la mémoire de l’enfance. D’une certaine manière, c’est une partie de mon enfance que je perds... » C’est comme dans la chanson de Nino Ferrer La maison près de la fontaine : c’est bien de la maison de famille qu’il parle.

Ce sont souvent des résidences secondaire­s. Mais

‘‘ une maison de famille, c’est plus que secondaire, non ?

Les Français qui possèdent une résidence secondaire y passent  à  jours par an. Résidence secondaire, cela s’oppose à la résidence principale. La maison de famille, elle, est liée aux racines, à la naissance d’une histoire. C’est d’abord un refuge contre les menaces extérieure­s. Le monde contempora­in est fortement marqué par l’accélérati­on du temps et par le nomadisme – du moins, jusqu’à la récente fermeture des frontières. La maison de famille est, d’une certaine manière, un pèlerinage aux sources.

Vers quel type de souvenirs nous entraîne-t-il ?

Cela peut être un lieu de mariage, de naissance, de deuil... Toute l’histoire familiale peut s’écrire là. C’est un lieu où on peut faire une pause, et où on se pose. Un lieu où on est accueilli, où les parents attendent le retour des enfants ou des petits-enfants. On y retrouve aussi des souvenirs à la cave et au grenier, qui sont souvent remplis de surprises. La cave, c’est une sorte d’annexe, où l’on ouvre des coffres sans savoir ce que l’on va y trouver. La mémoire familiale y a été engloutie. Elle s’y est comme sédimentée.

C’est un livre ouvert ?

Cela dit l’importance du récit familial. C’est un lieu où on évoque souvent des gens du passé... y compris ceux que l’on n’a pas rencontrés. La maison est peuplée de récits, de mémoires, que peuvent évoquer une peluche, un train électrique, un meuble cassé... C’est un lien entre les vivants et les morts.

Certains diront que ces chers disparus les habitent encore...

Elles sont habitées et, d’une certaine manière, hantées par ceux qui nous ont précédés. Dans une maison de famille, on peut retrouver des souvenirs heureux, mais aussi douloureux, qui nous ramènent au souvenir des morts. Il y a des maisons musées, des maisons mausolées auxquelles on ne touche pas. Inversemen­t, certains parents abattent les cloisons le jour où leur enfant quitte la maison. Il y a un équilibre difficile à trouver entre la table rase et la maison-musée. On ne peut pas faire table rase du passé, mais il faut faire de la place pour les vivants ! Il faut savoir apprivoise­r cette maison pour la faire sienne.

Le meilleur moyen, c’est encore de la remplir de joyeuses retrouvail­les en famille, non ?

C’est en effet la maison où on se retrouve tous

‘‘ ensemble, mais où l’on doit aussi, idéalement, pouvoir se retirer pour avoir un espace à soi. Où l’on peut écrire, réfléchir, rêver, jouer aux mots croisés ou consulter sa tablette, dans la maison ou dans un coin du jardin. Dans le conte de Cendrillon, la maison de son enfance est hantée par le souvenir de sa mère. Quand elle a fini son travail, elle aime s’asseoir devant ses chères cendres, ce foyer qui est la seule chaleur de sa vie. Quand les demisoeurs s’approchent de l’âtre, Cendrillon prend du sel et le jette dans le feu pour susciter un crépitemen­t et faire croire qu’elle a des poux. Parce qu’elle ne supporte pas que quelqu’un d’autre y vienne. C’est son royaume...

Ces maisons peuvent aussi être le théâtre de conflits et disputes mémorables, parfois liées à l’avenir des lieux ?

Les querelles d’héritage peuvent donner lieu à des règlements de comptes terribles. Mais des livres ou des objets peuvent aussi renvoyer à des souvenirs intimes et douloureux. Aujourd’hui, les familles sont souvent éclatées, parfois entre plusieurs continents. Quand on revient dans cette maison, on retrouve, aussi, la mémoire de ceux qu’on a parfois négligés. La maison de famille est souvent liée à la nostalgie des disparus et du pays natal. C’est un baromètre affectif et sentimenta­l de la relation entre les êtres.

En parlant de relations sociales, c’est une valeur refuge idéale après le confinemen­t ?

C’est effectivem­ent le lieu des retrouvail­les, un lieu refuge plus fiable et sécurisant affectivem­ent que l’hôtel. Mais c’est aussi là que l’on peut apprendre de nouvelles formes de savoir-vivre entre les génération­s. On a vu des cas de clusters lors de retrouvail­les familiales. On peut donc apprendre la distance au sein de l’intimité, au nom de l’amour et du respect de l’autre. La proximité, ce n’est pas la fusion !

Posséder une maison de famille, est-ce forcément synonyme de grande richesse ?

Dans un monde où une grande partie de l’humanité vit sans toit, sur les routes ou dans des camps, quels souvenirs reste-t-il à ces gens ? La mémoire de l’exil dans un monde où l’on n’est nulle part « chez soi ». Alors, pouvoir parler de maison, pouvoir dire qu’on a grandi dedans, c’est déjà parler d’un luxe inouï, d’un rêve. Cela peut être vécu comme un privilège de caste ou de classe. Il y a des maisons de familles de « nantis ». Il y en a d’autres que l’on a du mal à entretenir, y compris des châteaux en ruines – on le voit avec la lutte de Stéphane Bern pour sauvegarde­r le patrimoine. Et quelquefoi­s, c’est une maison de pêcheur, un cabanon. Des maisons très pauvres. Mais même si c’est le cas, pouvoir parler d’une maison, c’est déjà être riche d’une mémoire !

Un baromètre affectif et sentimenta­l de la relation entre les êtres”

C’est une autre façon de vivre le présent”

L’épidémie de coronaviru­s et celles qui pourraient suivre dans le futur offrent-elles une seconde jeunesse à ces lieux refuges ?

Cette crise offre aux maisons de famille plus qu’une seconde jeunesse : une vie nouvelle. Elles vont être revisitées autrement. Et elles donnent aux gens qui y viennent une opportunit­é de se réinventer, de trouver de nouvelles manières de vivre ensemble. C’est un être vivant qui nous accueille, avec son atmosphère, son odeur, son rythme, ses saisons. Idéalement, on la rêve comme un lieu de fête et d’harmonie. Dans la vie, ce n’est pas toujours comme cela... C’est un port d’attache, un retour aux racines, mais aussi une autre façon de vivre le présent. Car qu’est-ce qu’une maison sans ceux qui y ont vécu ?

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