Monaco-Matin

Gregory Porter

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Une prestance, une éternelle casquette à rabats sur le crâne et surtout un timbre exceptionn­el. Avec tout cela, il n’a pas fallu longtemps à Gregory Porter pour se frayer un chemin vers les sommets. Son premier album, Water, avait déjà fait frémir les connaisseu­rs, en 2010.

Trois ans plus tard, il enfonçait le clou avec Liquid Spirit. Vendu à un million d’exemplaire­s à travers le monde, récompensé par un Grammy Award, celui du meilleur album de jazz vocal, ce disque lui a définitive­ment permis d’entrer dans la cour des grands. Invité dans les plus belles salles et les plus prestigieu­x festivals, ce massif gaillard, qui a failli percer dans le football américain, garde la tête sur les épaules. Et l’envie

‘‘ de propager des messages incitant à l’union, au rassemblem­ent et à l’amour. Une volonté mise à profit, comme un fil rouge, tout au long de All Rise. De passage en France pour la promotion de son disque en février dernier, Gregory Porter nous avait accordé une interview. Depuis, le tableau s’est assombri pour lui. Le report de la sortie de son disque, qui arrive finalement ce vendredi dans les bacs, puis l’annulation du 60e Jazz à Juan, où il devait se produire, sont presque des détails. Récemment, il a perdu son frère, Lloyd. Et la mort de George Floyd l’a conforté dans l’idée que quelque chose ne tournait définitive­ment pas rond au pays de l’Oncle Sam. Malgré ces épreuves, Mister Porter garde la foi.

Que signifie All Rise pour vous ?

All Rise, ça veut dire que l’on peut s’élever tous ensemble. Pas juste moi ou un petit groupe de gens élus. Chacun peut s’élever, que ce soit à travers l’amour, le succès ou la compréhens­ion. Cette idée d’élévation, d’ascension dans les airs, on la retrouve sur plusieurs titres comme Phoenix, Concorde ou Revival.

Est-il vrai que cet album aurait pu avoir une tonalité radicaleme­nt différente ?

Pour être complèteme­nt honnête, au début du processus d’écriture, j’ai commencé à faire quatre ou cinq titres qui étaient en quelque sorte des réponses à mon président [pendant toute l’interview, il ne prononcera jamais le nom de Donald Trump, ndlr]. Mais je me suis dit que je faisais fausse route. Alors, j’ai recommencé. Je me suis tourné vers mes émotions et ce que je voulais vraiment dire. À propos de la vérité, du respect mutuel, de l’amour, de la gentilless­e, de la décence. Cet album, je pense qu’il parle de moi. L’amour et la vie mis en mélodie, comme je l’ai déjà fait dans le passé.

Vous n’aimiez pas l’idée d’être un artiste en colère ?

J’ai mis de côté tout ce qui relevait d’aspects négatifs. Bon, il y a des choses puissantes qui peuvent naître de la rage. Mais je ne voulais pas être guidé par la colère. Et surtout pas qu’elle soit générée par une seule personne, que ces idées tournent en boucle toute la journée dans ma tête. Il reste quand même une trace de cet état d’esprit, avec la chanson Real Truth... Real Truth, c’est un titre qui aborde une idée assez étrange : aujourd’hui, on peut faire face à beaucoup, beaucoup de versions de la “vérité”. C’est fou quand on y pense...

Vous avez enregistré en partie à Saint-Germain-des-Prés. Cela a égayé votre esprit ?

Je crois que cela a amené plus de positivité au disque. À Paris, je trouve que tout est beau.

De la musique à la nourriture, en passant par l’architectu­re. Je connaissai­s l’histoire de SaintGerma­in-des-Prés. Tant de figures majeures du jazz ont brillé ici... Quand j’avais un peu de temps libre, je m’arrêtais pour prendre un café ou un petit-déjeuner, avant de retourner en studio.

À quoi ressemble votre processus créatif ?

Je saisis les inspiratio­ns au vol. Je ne m’assieds pas en me disant que je dois préparer un album. Les choses avancent doucement. Je me mets au piano, j’utilise ma voix. On commence par la mélodie, les paroles, la ligne de basse, puis le rythme.

Pour If Love Is Overrated, vous avez collaboré avec l’Orchestre symphoniqu­e de Londres...

jboursicot@nicematin.fr

C’est une nouveauté, dans le sens où c’est la première fois que j’apporte mes propres chansons à un orchestre symphoniqu­e et qu’il collabore avec mon groupe. C’était une expérience incroyable.

Vous faites cohabiter jazz, soul, gospel et même pop...

Cette liberté est importante pour moi. Je ne me suis mis aucune barrière. Il fallait cela pour être capable de chanter librement et laisser les chansons s’écrire “ellesmêmes”. C’est

‘‘ un vrai confort de pouvoir fonctionne­r de cette manière, depuis six albums. Un public plus jeune, habituelle­ment tourné vers d’autres styles, peut aussi m’utiliser comme une porte d’entrée pour découvrir plus largement le jazz.

Vous évoquez souvent la foi, qu’elle soit religieuse ou pas...

L’idée de croyance peut parler à tout le monde. J’ai commencé à chanter dans l’église de ma mère [elle était pasteure pentecôtis­te, ndlr] pour des gens qui vivaient dans la rue. Quand je joue dans des endroits sublimes comme le Royal Albert Hall, L’Olympia ou le Carnegie Hall, je pense toujours à eux. Il m’a vraiment fallu beaucoup de temps pour écrire des chansons de ce type. On ne joue pas avec le gospel, c’est sérieux...

Quelle était votre relation avec votre père, que vous évoquez sur Dad Gone Thing ?

Je ne l’ai pas très bien connu. Nos contacts ont vraiment été très limités. J’avais vingt-et-un ans quand il est mort. Pendant très longtemps, je me disais qu’il ne m’avait jamais rien apporté. Il ne m’a pas appris à pêcher ni appris plein de trucs qu’un père pourrait ou devrait apprendre à son fils. Mais un jour, en y réfléchiss­ant pendant une interview, je me suis rendu compte que je tenais ma voix de lui. En me disant qu’il m’avait fait ce cadeau, j’ai eu une autre perception de mes sentiments envers lui. J’ai eu besoin de beaucoup de temps pour voir cela de cette manière.

Je ne voulais pas être guidé par la colère”

On ne joue pas avec le gospel, c’est sérieux...”

Tout en menant une carrière internatio­nale, vous essayez d’être plus proche de votre propre fils, Demyan ?

Oui, autant que possible. Mon fils m’inspire beaucoup. Sur You Can Join my Band ,on entend sa petite voix ! Concorde parle aussi de lui, d’une certaine façon. Il a un effet profond sur ma musique et mon approche. Avec Don’t Lose Your Steam [en , ndlr], je traçais déjà un chemin pour lui. Tout ce que je veux lui dire se trouve dans des chansons. J’espère que plus tard, il pourra écouter tout ça et en tirer une inspiratio­n.

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All Rise (Blue Note). Quinze titres.

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