Monaco-Matin

« Trop de SDF sont restés à la rue pendant le Covid »

Nous l’avions rencontré et interviewé à Nice au début du confinemen­t. Voici le témoignage puissant de Stéphane, 46 ans. Sorti d’affaire, il entend désormais aider ceux qui n’ont pas eu sa chance

- GRÉGORY LECLERC gleclerc@nicematin.fr 1. Centre d’hébergemen­t et de réinsertio­n sociale

Aujourd’hui Stéphane Kuntz, se dit à l’abri. Quand nous avions rencontré ce SDF de 46 ans, le 20 mars dernier, le confinemen­t avait été décrété trois jours plus tôt (nos éditions du 21 mars). Sans attestatio­n de déplacemen­t – quelle adresse de domicile aurait-il bien pu y mettre ? – il errait sans but dans des rues de Nice vidées de leurs habitants. Ce jour-là, la Prom’ fermait totalement. Ne restaient que les SDF et les migrants. « Avant on nous appelait les invisibles, aujourd’hui, nous sommes des fantômes », lâchait alors Stéphane, désabusé.

L’article que nous lui avions consacré a changé sa vie. Il a finalement rencontré un peu de cette solidarité nationale qu’il n’avait pas reçue lors de notre première rencontre. « Beaucoup, des jeunes notamment, ont été touchés, ont pris conscience de ce qui se passait. On nous a offert des courses, par ci, un billet de vingt euros par là. Tous les soirs, un commerçant qui avait lu l’article me déposait une pizza. De petits gestes qui font du bien. » Ce qui ne l’a pas empêché d’être verbalisé. 135 euros. Il exhibe la contredans­e. « Quand tu n’as pas de chez toi, tu fais comment en plein confinemen­t ? »

Stéphane raconte avoir ensuite été accueilli dans un hôtel, la villa SaintExupé­ry. « Les gérants, deux frangins, sont des gars comme ça (Il lève un pouce en l’air). Ils étaient en pleins travaux, ils n’étaient pas obligés d’ouvrir. » Puis Stéphane a été accueilli par la Fondation de Nice. Il remercie en vrac Stéphanie, de la Fondation, l’associatio­n Mir, le Secours populaire – « Marie-Jo sillonnait la ville avec sa propre voiture » – et tous ceux qui l’ont aidé ou ont croisé son chemin d’errance. Finies les nuits à squatter le parvis de l’église Saint-Pierre-d’Arène, la violence de la rue, les douches sur la plage, les piaules minables louées à des marchands de sommeil.

Sorti d’affaire après cinq ans d’errance, cet ancien militaire, qui a entamé une descente aux enfers après un drame personnel, est désormais bénévole au forum Jorge-François (lire par ailleurs).

Mais regarder en arrière l’emplit d’amertume. « Trop de SDF sont restés à la rue pendant la crise du Covid. C’est immoral et inhumain. »

Il affirme voir dehors des jeunes, « de plus en plus jeunes », mais aussi des personnes âgées, des familles. « Il faut racheter des hôtels et les mettre tous à l’abri. » Il appelle de ses voeux les policiers « à faire la part des choses ». Il les implore de faire la différence « entre une personne violente, qui les insulte et un SDF qui n’a nulle part où aller et qui n’a que la manche comme moyen de subsistanc­e ». Stéphane, pas langue de bois pour un sou, reconnaît que certains SDF sont sales, alcoolisés, parfois agressifs.

« Mais c’est une minorité. La plupart ne demandent qu’à s’en sortir. »

À Emmanuel Macron, président de la République, il voudrait dire : « Vous avez affirmé qu’il n’y avait qu’à traverser la rue pour trouver du travail. J’ai envie de vous dire, traversez la rue, vous trouverez des SDF. » À Christian Estrosi, maire de Nice, Stéphane souhaite faire passer un message. « Arrêtez de cacher cette misère. Elle est là, elle ne s’arrêtera pas. Cessez vos arrêtés anti mendicité qui ne servent à rien. Occupezvou­s des gens qui sont dehors avant de lancer des projets comme l’extension de la coulée verte. Il faut créer des structures qui accueillen­t la journée, pas que la nuit. Je ne dis pas que rien n’est fait, mais créez des foyers qui tiennent la route. » La solution selon lui : un hôtel social qui accueille en permanence. « J’en connais un à Longwy (Meurthe-et-Moselle, ndlr). Les SDF y sont pris en charge. Du coup vous ne voyez personne à la rue. C’est un endroit où ils peuvent se poser, y compris dans la journée. Pour pouvoir remettre en ordre ce qu’ils ont à remettre en ordre, faire leurs papiers. Sans avoir à s’inquiéter de où se mettre à l’abri en cas de pluie, de rater l’heure et le lieu de la maraude, ou de comment prendre la douche. Ça les empêche de faire leurs démarches. Les maires doivent trouver des solutions, c’est à eux d’agir. » Il serait prêt à rencontrer Christian Estrosi pour lui en parler. Stéphane veut croire que les choses peuvent changer. Mais rappelle que des SDF meurent toute l’année, et pas qu’en hiver.

Lui, de son côté, peut désormais regarder vers l’avenir. Il a ouvert un compte Twitter, se prend à espérer une vie normale. « Aujourd’hui, tout le monde me dit bonjour. Qu’estce qui a changé ? Leur regard. Je n’ai plus de sac dans le dos, cet air sale que j’avais pendant le Covid car je ne pouvais pas prendre de douche. Il faut redonner de l’humanité aux SDF. »

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De petits gestes qui font du bien”

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M. Estrosi, arrêtez de cacher la misère, elle ne s’arrêtera pas”

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Les maires doivent trouver des solutions, c’est à eux d’agir”

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(Photo Dylan Meiffret) Stéphane Kuntz,  ans, ancien militaire, et ex SDF. Il veut désormais aider les autres.
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(Photo Dylan Meiffret) Stéphane Kuntz s’engage dans le projet « Carillon », qui met en relation commerçant­s et SDF.

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