Sur les traces d’Hayat Boumeddiene, fantôme du procès
Hayat Boumeddiene a aujourd’hui 32 ans, et elle a passé ces cinq dernières années à se cacher. Elle devrait être dans le box des accusés, mais l’épouse d’Amedy Coulibaly est en fuite depuis le 3 janvier 2015, date à laquelle elle a rejoint l’État islamique en Syrie. Dès son arrivée, elle a été séparée des autres francophones. Les services secrets de Daesh n’ont jamais fait confiance aux jeunes Françaises venues les rejoindre, beaucoup trop bavardes à leur goût. En 2015, à l’une de ses amies très proche en France, Hayat Boumeddiene explique fièrement par téléphone qu’elle bénéficie d’une protection rapprochée de l’État islamique parce qu’elle est la veuve « d’un grand martyr » ,en l’espèce Amedy Coulibaly. Sur place, la « veuve noire » va se remarier à un djihadiste tunisien. Elle aura pour co-épouse une jeune Française, elle aussi très radicalisée et arrivée mineure en Syrie. En revanche, selon plusieurs de nos sources, et contrairement aux informations qui ont pu circuler à ce sujet, Hayat Boumeddiene n’a jamais eu d’enfants.
Parmi trois mille femmes djihadistes
Pendant longtemps, l’épouse d’Amedy Coulibaly avait disparu des radars. Jusqu’au mois de décembre dernier et le retour de Nacéra, une Française expulsée vers la France après un long séjour en Syrie. Devant le juge d’instruction, la jeune femme révèle une information jugée crédible : Hayat Boumeddiene est en vie. Elle aurait été arrêtée à la chute de l’organisation terroriste en mars 2019 par les FDS, les forces arabo-kurdes. Retenue dans le camp de al-Hol, toujours selon cette Française, la « veuve noire » continue à faire de la propagande. Elle diffuse notamment des vidéos de l’État islamique appelant les épouses et veuves de djihadistes à patienter en attendant leur libération par des « frères » de Daech. Hayat Boumeddiene se sait toutefois recherchée et se méfie. Selon nos informations, elle aurait réussi à se faire passer pour une Syrienne en mentant sur son nom. Dans le chaos de cet immense camp de déplacés syriens, les autorités kurdes, en charge de la surveillance de plus de 3 000 femmes djihadistes étrangères, n’ont pas les moyens de vérifier les identités de chacune. Des tests ADN ont été réalisés, mais seulement en juin dernier, un an et demi après son arrestation. Trop tard pour débusquer Hayat Boumeddiene. Fin 2019, la « veuve noire » s’est enfuie du camp de alHol, échappant une nouvelle fois aux services de renseignement français, et donc à la justice. Comme des dizaines d’autres Françaises, Hayat Boumeddiene a bénéficié, pour s’évader, d’un soutien extérieur. Selon les éléments recueillis au cours de notre enquête, cette logistique est désormais parfaitement rodée grâce à des réseaux de passeurs organisés, sans lien forcément avec l’idéologie de l’État islamique. Pour une somme comprise entre 10 000 et 20 000 dollars, les passeurs sont en mesure de prendre en charge la fuite d’une famille. Difficile en revanche de savoir qui finance ses évasions. Mais selon plusieurs sources, des partisans de Daesh organisent encore aujourd’hui des collectes via des messageries cryptées.
Dans la province d’Idlib ? Hayat Boumeddiene a eu le choix entre deux méthodes : la moins coûteuse consiste à ramper sous la grille d’enceinte de nuit, lorsque les surveillants éteignent volontairement les lumières. La deuxième est moins risquée : soudoyés par les passeurs, ces mêmes gardes kurdes laissent tout simplement sortir les femmes qui ont payé le tarif le plus élevé. Certaines fugitives demandent ensuite aux passeurs de les aider à se rendre aux autorités turques pour être expulsées vers la France. Hayat Boumeddiene, elle, a choisi de rester pour rejoindre le nord-ouest de la Syrie, la dernière zone qui échappe toujours au contrôle de Bachar al-Assad. Elle pourrait se trouver dans la province d’Idlib, en partie contrôlée par Hayat Tahrir al-Sham, inscrit sur la liste des groupes terroristes par le Conseil
de sécurité de l’ONU. En mai 2019, Jean-Yves Le Drian, le ministre des Affaires étrangères, confirmait déjà qu’une centaine de Français vivaient dans cette zone. Il y a quelques semaines, lors de notre enquête à Idlib, plusieurs interlocuteurs nous ont parlé de ces Français et de leurs épouses. Des femmes qui, selon l’une de ces sources, « sont des veuves de martyrs et doivent être protégées, y compris si elles ont fait partie de Daesh ». Lorsqu’elles arrivent à Idlib, les veuves de l’État islamique peuvent également prétendre à une aide financière d’une centaine de dollars. Dans les rues d’Idlib et des villes alentour, Hayat Boumeddiene n’a en tout cas aucun mal à se dissimuler. Ici, beaucoup de femmes portent un niqab noir. Elles sont pareilles à des ombres qui se déplacent en groupe dans les rues ou perchées à l’arrière de motos. Dans sa boutique de téléphonie, dans une petite rue d’Idlib, Tareq a déjà croisé ces Français. Nous lui montrons une photo d’Hayat Boumeddiene. Son premier réflexe est d’encadrer ses yeux avec ses mains : « Regardez, dit-il, c’est facile pour elle de se cacher comme cela. Ici la majorité des femmes portent le niqab. Personne ne peut voir leurs visages, juste leurs yeux. En plus, elle a des yeux noirs, pas des yeux clairs comme certaines étrangères. »