Monaco-Matin

Sur le sondage pour Charlie et le droit au blasphème…

Selon un sondage, 26 % des jeunes musulmans refuseraie­nt de condamner les auteurs de l’attentat. Questions à Boubekeur Bekri, du Conseil régional du culte musulman

- PROPOS RECUEILLIS PAR FRANCK LECLERC fleclerc@nicematin.fr

Alors que vient de s’ouvrir à Paris le procès des attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher, un sondage Ifop révèle deux données préoccupan­tes. Selon cette enquête d’opinion, réalisée à la demande de Charlie Hebdo, 88 % des Français condamnent ces attentats, et notamment 72 % des Français de confession musulmane. En revanche, 26 % des jeunes musulmans, soit le quart d’entre eux, refusent de condamner leurs auteurs. Les trois quarts des musulmans de moins de 25 ans déclarant même faire passer leurs conviction­s religieuse­s avant les valeurs de la République. Éléments d’analyse avec Boubekeur Bekri, vice-président du Conseil régional du culte musulman.

Que vous inspire le contenu de ce sondage ?

Je considère que ces sondages reflètent mal ce que pense réellement la communauté musulmane, concernant ces actes.

Je le dis ayant moi-même organisé le  décembre  une réunion de l’ensemble des associatio­ns cultuelles musulmanes des Alpes-Maritimes. Tout le monde y était d’accord pour condamner le terrorisme et pour attirer l’attention sur l’extrémisme. Malheureus­ement, quelques semaines après, se sont produits ces attentats. Ce qu’il faut bien retenir, c’est qu’effectivem­ent, il y a une incompréhe­nsion, chez une partie des musulmans, nous parlons notamment des plus jeunes, autour de la publicatio­n des caricature­s. Certains ont oublié que, depuis la naissance de l’islam jusqu’à aujourd’hui, il y a eu des attaques contre les symboles musulmans. Tout ceci a réveillé une blessure. Avec une réaction brutale, à l’emporte-pièce, dans un télescopag­e avec les valeurs de la République. Il y a donc un besoin pédagogiqu­e pour rappeler que la priorité doit aller au bon sens. Et le bon sens veut qu’il y ait le principe de liberté. Celui qui a envie de dire quelque chose peut le faire. Et celui qui se sent blessé a le droit aussi de le dire. Mais dans le cadre du respect de la loi, comme tel a été le cas du temps de la vie du Prophète. L’islam n’est pas incompatib­le avec le respect des attaques contre lui-même. Il est facile, par la parole, de les remettre en cause, sans penser un instant à l’irréparabl­e qui relève de la bassesse et de l’usurpation. Je pense qu’un musulman français équilibré ne doit absolument pas céder à ces sirènes. Le fait que l’on se sente blessé ne permet pas d’outrepasse­r le cadre de la loi. Si l’on porte atteinte au Christ, je pense qu’un chrétien profondéme­nt croyant aura une réaction de dégoût, et c’est légitime. De là à ôter la vie, on entre dans le terrorisme que l’on condamne à   %.

 % des jeunes musulmans refusent de condamner : la pédagogie a échoué ?

Je suis professeur, économiste, statistici­en, je crois qu’il faut respecter les sondages. En revanche, on s’adresse parfois à un écorché vif. À quelqu’un qui n’a pas eu la parole depuis très longtemps.

À ce moment-là, on peut avoir n’importe quoi. On sait ce qu’est un jeune, quelle que soit sa confession. Je maintiens que ces provocatio­ns sont intolérabl­es et qu’elles peuvent jeter l’opprobre sur toute une fraction de la population. Maintenant, faisons-nous face à une animosité qui traduit un mal-être, ou à une volonté de s’opposer aux valeurs de la République ? Je crois qu’il faudrait prendre en ligne de compte des problèmes sociaux – logement, chômage – qui, parfois, perdurent depuis des dizaines d’années. Il faut, tous ensemble, faire preuve de clairvoyan­ce pour condamner avec véhémence le terrorisme et l’extrémisme. Il ne peut pas y avoir deux poids, deux mesures. De la part des musulmans, il doit y avoir un discours vrai. À ceux qui disent ne pas vouloir se sentir visés ou amalgamés, non, je réponds que, quelle que soit sa croyance, on doit condamner tout ce qui va à l’encontre de l’humanité.

La nouvelle publicatio­n des caricature­s par Charlie Hebdo vous choque-t-elle ?

En tant que croyant, même si je peux comprendre un peu ce que font les caricaturi­stes, cela me touche. Mais je pense que cette deuxième vague, ces jours-ci, n’a pour objet que de condamner l’horreur. Quel que soit mon sentiment de gêne face à une caricature du Prophète, cela doit être, pour moi, l’occasion d’affirmer que j’ai raison de défendre mes principes dans le cadre de la loi. C’est à cette intelligen­ce que je fais appel pour avoir une réaction tout à fait saine, en disant que je n’ai rien à voir avec l’atrocité de ce qu’il s’est passé.

Que pensez-vous du « droit au blasphème » réaffirmé par le Président Macron ?

Je pense qu’il doit être placé dans son contexte : c’est quelque chose qui a toujours existé en France. Quand il se manifeste, il faut avoir le sens de l’équité. Autrement dit, lorsqu’il y a blasphème, on doit pouvoir tendre le micro – ce n’est pas souvent le cas – à ceux qui se sentent blessés, afin qu’ils s’expriment. Ce que je fais aujourd’hui, avec vous. Répondre au blasphème, ce doit être un droit, une liberté, autant que de caricature­r ou de dessiner ce que l’on veut.

Dans le monde actuel, une caricature, quels qu’en soient l’objet ou la victime, est-ce si grave ?

Si le résultat d’une caricature, c’est l’étonnement, la dérision, alors elle a sa raison d’être. Lorsque la caricature provoque ce qu’elle a provoqué, il y a deux obligation­s. Premièreme­nt, condamner fermement, et c’est ma position, comme je l’ai fait bien sûr après l’attentat de Nice. D’un autre côté, je reprends à mon compte le slogan «Toutçapour­ça». Lorsqu’on caricature, on doit penser à l’ensemble des conséquenc­es, y compris aux blessures gratuites que l’on inflige à des gens qui n’ont pas toujours la possibilit­é d’exprimer leur douleur, peut-être aussi parce qu’ils ne maîtrisent pas le verbe.

Surréagir à ce point à un dessin : un problème d’éducation ?

D’un point de vue sociologiq­ue, cela mérite une étude. Et pour celui qui n’a pas dans son « background » la Saint-Barthélemy ou le combat de la laïcité, effectivem­ent, il faut de l’éducation. Pour que, petit à petit, on apprenne que, si des gens se permettent de caricature­r avec autant d’âpreté, c’est parce que l’histoire de ce pays est particuliè­re. Ce recul, il n’est pas donné à tout le monde de l’avoir. C’est pourtant lui qui permettrai­t à chacun de continuer à se sentir à son aise dans ses croyances, quand bien même il y aurait ces caricature­s.

 ?? (Photo Cyril Dodergny) ?? « Quelle que soit sa croyance, condamner tout ce qui va à l’encontre de l’humanité. »
(Photo Cyril Dodergny) « Quelle que soit sa croyance, condamner tout ce qui va à l’encontre de l’humanité. »

Newspapers in French

Newspapers from Monaco