Monaco-Matin

« Mon père s’est laissé dépérir faute de nous voir »

Après avoir vu son papa vivre une expérience d’isolement au sein de la résidence Bel Âge, à Vallauris, cette Biotoise dénonce le manque de souplesse du protocole sanitaire quant aux visites

- MARGOT DASQUE mdasque@nicematin.fr

Voix blanche. Difficile pour Nathalie (1) de retracer les dernières semaines d’inquiétude. Et pourtant, cette Biotoise sait que la parole peut se faire libératric­e. Alors, écoutant son coeur de fille aimante, elle prend le parti de parler de choses de l’ordre de l’intime, de la souffrance d’un être bien trop cher. Et de ce sentiment d’impuissanc­e la dévorant quant à l’isolement dans lequel son père a été plongé. « Mon père aura 92 ans en décembre, ma mère 88. Ils vivaient tous deux chez eux à Antibes. Mais faute de ne pouvoir avoir autant de passage d’aide à domicile pendant le confinemen­t, nous avons pris la décision de placer Papa. » Touché par un Alzheimer « peu prononcé », le nonagénair­e a besoin d’un suivi et d’activités stimulante­s durant la journée. « Afin de reposer ma mère qui était épuisée de cette situation nous avons choisi un placement temporaire en maison de retraite. »

« Pas de visite possible le week-end »

De juillet jusqu’à presque fin août, le retraité rejoint les pensionnai­res de l’Ehpad Les Restanques dans la cité des Verriers. Un séjour qui, selon sa fille, « s’est très bien passé »:« Ma mère a pu le visiter aussi souvent que possible, lui donner à manger, s’occuper de lui. Vous savez, après soixante-quatre ans de mariage il leur est impossible d’être loin l’un de l’autre. » Une fois la période dans l’établissem­ent effectuée, la famille sent bien qu’il serait nécessaire de trouver une autre place, ailleurs : « Ma mère n’avait pas la force de le reprendre à la maison. Donc nous avons cherché un endroit le plus proche possible de chez elle pour qu’elle puisse le voir facilement. »

Ce sera la résidence Au Bel Âge à Golfe-Juan, à deux pas de la mer. Fin août, Nathalie installe son papa. « Il a dû rester du 24 août au 3 septembre sans voir personne le temps que le test Covid soit fait… J’avais déjà trouvé cette période bien longue parce que personne n’a pu lui rendre visite pendant ce temps. » Une absence qui a été d’autant plus forte avec le planning de visites. « Je travaille la semaine, en journée, comme beaucoup de gens. Malgré ma demande réalisée à la direction, je ne pouvais pas voir mon père les week-ends, ni les autres jours en dehors du créneau 13 heures-16 heures. Idem pour mon frère qui n’habite pas la région ! » Incompréhe­nsion totale. « En ces temps de crise sanitaire on a parlé des dégâts causés par l’isolement des personnes âgées, pourquoi ne rien faire pour empêcher cela ? »

Malaise.

A cette question en suspend, Nathalie a reçu un appel d’urgence. « Mon père a été admis à l’hôpital. Il s’est laissé dépérir, a arrêté de s’alimenter et de boire faute de nous voir. Je le connais par coeur, il avait déjà fait cela auparavant. Il marche à l’amour fusionnel, s’il ne peut pas voir sa famille...

« Il ne parle plus »

»

Admis au service gériatriqu­e de la Fontonne, son papa peut enfin retrouver les siens. « Nous avons été reçus avec humanité, le médecin a compris la situation, nous avons pu lui rendre visite malgré les problémati­ques liées à la crise sanitaire. Comme quoi, c’est possible si on le veut ! » Une souplesse qui a permis à Nathalie de se rendre compte de l’état de santé de son père. « Il ne parle plus. Je vous assure qu’avant, lorsqu’il était à Biot, il était très bien… » Silence étranglé par les sanglots. « J’ai peur qu’il soit trop tard pour lui. Mais nous allons

tout faire pour ne pas le remettre dans un établissem­ent. » Alors, pourquoi s’exprimer si ce n’est pour obtenir quelque chose ? « Parce que je suis certaine que ce que nous avons vécu est l’actuelle problémati­que de beaucoup de familles. Il faut le dire, il faut parler. » Après tout, qui peut juger la détresse ? Y aurait-il un arbitre de la souffrance ? « On a privé mon père d’un droit élémentair­e, celui de voir les siens. Comme s’il avait purgé une peine. Et désormais j’ai bien peur qu’il en meure… » 1. À sa demande, le prénom a été changé.

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