Explorez les fonds inconnus en Méditerranée sur Arte
Vingt-huit jours dans un caisson sans voir la surface entre Marseille et Monaco : a mission menée par le biologiste Laurent Ballesta accompagné de trois confrères plongeurs. A découvrir ce soir
Tombé amoureux devant les clichés du feu Festival de la photographie sous-marine d’Antibes, Laurent Ballesta poursuit son histoire d’amour avec la Grande Bleue. Preuve en est sur vos écrans aujourd’hui, à 20 h 50, sur Arte avec la diffusion du documentaire Planète Méditerranée. Film retraçant la mission Gombessa V menée par le biologiste et photographe, accompagné d’Antonin Guilbert, Thibault Rauby et Yannick Gentil. Durant vingt-huit jours, le quatuor est resté enfermé dans une station bathyale immergée à 120 mètres de profondeur reliant Marseille à Monaco. L’idée ? Découvrir ce qui n’a pu être observé par l’homme en chair et en os dans les fonds. Une avancée pour la recherche scientifique avec, à la clé, 300 pages de rapport ! Et des découvertes inoubliables…
Vingt ans que vous vous lancez dans des aventures, pour Gombessa V vous êtes passé pour un azimuté ?
C’était à l’époque de la relance de l’exploration des canyons sous-marins français. J’ai proposé de faire rêver les gens en allant plonger à la place des robots qu’on envoyait. Quand je parlais du projet, j’arrivais à susciter l’enthousiasme des gens. Mais après, il y a eu la problématique financière et juridique. Comme cela n’avait jamais été fait, il n’y avait pas d’assurance partante pour suivre…
Et donc on ne fait pas puisqu’on n’a jamais fait ?
C’est terrible mais c’est comme cela que l’on tue dans l’oeuf l’esprit d’aventure et d’innovation ! Il ne faut pas lâcher l’affaire. L’astuce a été de prendre attache avec l’Institut national de plongée professionnelle, seul en Europe à posséder les équipements nécessaires à la mission. Dans ses prérogatives, il détient la notion de « laboratoire d’essai », notre mission étant intimement liée à la recherche scientifique, nous avons pu trouver une case : une démarche d’exploration de la méthode. C’est grâce à cela qu’on a pu avancer.
Quid de la préparation d’une mission à 2,7M € ?
Cela a pris deux ans. Sur le papier, techniquement cela semble très facile. On part sur une plongée autonome, moderne, avec des recycleurs. C’en est presque poétique. Mais concrètement on fait face à des interrogations inédites : où poser le scaphandre à l’intérieur de la station bathyale ? Quelle sécurité ? Ce sont des problèmes très concrets d’ingénieur malicieux, c’est ludique. Nous avons eu le plaisir d’avoir l’accord de tous nos partenaires (). Avec un soutien fort : au dernier moment est venu se rajouter l’appui de S.A.S. le prince Albert II de Monaco.
Gombessa V : la genèse ?
Elle est née d’un privilège et d’une frustration. Le matériel technique nous donne une autonomie illimitée grâce aux recycleurs de plongée mais nous sommes rattrapés par nos physiologies ! Il est impossible de faire fi de la notion de remontée. En clair : tu peux rester longtemps dans l’eau, mais tu ne peux toujours pas aller découvrir les grands fonds. Du coup, Gombessa V repose sur l’idée de ne pas remonter pour pouvoir aller plus loin.
Une expérience partagée à quatre !
Au fond de la mer on est quand même tout seul, si on a un gros pépin on ne peut pas compter sur les autres : il faut se rendre compte que tout le monde est déjà un peu dans ses retranchements. Et en même temps, rien n’est possible tout seul ! Vous savez, au final, ma plus grande fierté c’est ce groupe loyal et fidèle. Cela vaut toutes les découvertes et records.
Vous avez testé le confinement extrême avant tout le monde !
C’est vrai que l’on a anticipé cette mode internationale [rires]. Blague à part, on n’a jamais utilisé le mot confinement auparavant pour parler de cette mission. On utilisait plutôt, emprisonnement, contrainte… Mais effectivement, oui c’est extrême. Imaginez partager m à quatre. Le tout, sans fenêtre, dans un bruit assourdissant. Sans pouvoir vraiment discuter puisque les cordes vocales sont paralysées par l’hélium. Et on est dans un inconfort thermique constant : quand on baisse ou monte d’un degré, cela est insupportable, pour dormir il vous faut trois couvertures, un pull et un bonnet sur la tête. Cela est dû à l’hélium qui est un gaz conducteur, donc à l’inverse vous pouvez aussi suffoquer si le thermostat grimpe. On est à bars donc c’est treize fois plus conducteur, la perte calorique est grande. En clair, il fait soit trop chaud, soit trop froid.
Dans quel état physique étiez-vous à la fin ?
On subit un choc, en vivant sous haute pression et se retrouvant tout à coup à basse pression. En réalité, on assimile cela au syndrome de la haute montagne. Un physiologiste a réalisé des calculs et nous a dit physiologiquement à quelle altitude précise notre corps croyait être. Il s’agit d’un déficit d’oxygène qui est compensé par une réaction : la production massive de globules rouges. Durant les quatre à cinq jours de retour à la surface, on ramait un peu, les insomnies étaient bien présentes.
Possible de comparer votre expérience à celle des cosmonautes ?
C’est surtout très flatteur ! On vit un isolement, on peut y voir un parallèle avec ce contrôle permanent, cette protection.
Sous quelle forme ?
À l’intérieur de la station bathyale nous avons été filmés durant jours nonstop par dix-sept caméras.
Sympa l’intimité…
On vous surveille tout le temps, oui ! C’est assez agaçant en réalité. Et paradoxal puisque lorsque l’on sort à l’extérieur, vous n’avez plus personne. Nous avons vécu au quotidien des changements d’état permanents : la gifle du froid, l’oisiveté un peu vicieuse dans la station et la vigilance de tous les instants à l’extérieur, une totale autonomie dehors et une surveillance dedans. On dit toujours que l’Homme est capable de s’adapter à tout : désert, pôle Nord… « On ne repousse pas ses limites, on les découvre » a écrit JeanLouis Étienne (). En réalité le plus difficile c’est s’adapter à s’adapter : voilà le degré ultime de l’adaptation. Ce qui a rendu l’exercice assez dur psychologiquement parlant.
Avec des plongées quotidiennes
Nous faisions deux sorties par jour qui, cumulées, donne six à sept heures de plongées par jour. C’est intense, surtout à cause du froid. D’ailleurs on aurait pu rester plus longtemps. Mais la perte calorique était telle, qu’au bout d’une heure et demie on entrait déjà en résistance.
Vos plus belles rencontres ?
Quotidiennes ! Sur
jours, j’en ai fait que je considère comme inédites [voir encadré]. On voit bien qu’un endroit que l’on croyait dévasté a encore des choses à révéler…
Vous envisagez de repartir dans une mission similaire ?
C’est très probable que l’on remette cela, oui. Nous avons fait un repérage en Corse. J’y ai même photographié une espèce non décrite : cela prouve le potentiel de l’endroit. Nous sommes soutenus par le Parc naturel marin du Cap Corse et de l’Agriate. Si nos partenaires nous suivent à nouveau cela pourra être possible.
1. Parmi lesquels on retrouve : la Ville d’Antibes, la Métropole Nice-Côte d’Azur, la Région Sud.