Monaco-Matin

« Ma candidatur­e en 2022 : ceux qui en rêvent me surestimen­t ! »

Nicolas Hulot revient sur son parcours ministérie­l, sans regret ni rancoeur. Il se félicite des grandes orientatio­ns pour l’environnem­ent du plan de relance mais déplore un manque de signes forts

- PROPOS RECUEILLIS PAR PHILIPPE MINARD (Agence locale de presse)

Dans votre dernier essai (), vous décortique­z les causes de la pandémie. Cette crise sanitaire peut-elle provoquer une véritable prise de conscience ?

Il faut l’espérer sans être naïf. Les grandes catastroph­es qui frappent l’humanité provoquent en général un sursaut de conscience. Mais elles sont aussi parfois frappées, peu de temps après, d’amnésie collective. Au lendemain de Fukushima, si on avait interrogé les décideurs comme les citoyens sur l’avenir du nucléaire, on n’aurait pas été plus loin. La crise sanitaire actuelle est l’avatar d’une crise beaucoup plus profonde, conséquenc­e indirecte de la déforestat­ion et de perturbati­ons de l’écosystème. Nous avions des précédents comme le Sras, Ebola ou même la vache folle et on a oublié ! La Covid touchant tout le monde, je pense cependant qu’il y aura un avant et un après. La question est de savoir jusqu’où nous irons dans l’après ? Sera-t-on capable d’une mutation profonde pour se libérer de tout de ce qui est toxique et développer ce qui est vertueux ? C’est ce que j’appelle la croissance et la décroissan­ce sélective. Exemple immédiat : le plan de relance prévoit  milliards pour la transition écologique et je dis très bien ! Mais ce qui est important, c’est de savoir si les  milliards restants seront affectés au monde d’avant ou au monde d’après, et si le financemen­t de la transition écologique pourra être pérennisé.

Cinq ans après, le succès affiché de la Cop  est-il toujours crédible ?

On a eu raison de se réjouir même si j’ai toujours fait partie des gens qui n’exultaient pas. Il y a eu un succès diplomatiq­ue sans lequel nous aurions perdu la bataille du climat ; nous ne l’avons pas gagné pour autant, car l’engagement pris n’était pas contraigna­nt. La base du volontaria­t a ses faiblesses, d’autant que la pression du court terme est plus forte que celle du long terme. Force est de constater que personne n’est sur la trajectoir­e que l’on s’est fixée. On reste, par exemple, indifféren­ts au fait que les puits de carbone de la forêt amazonienn­e, notamment à cause de la déforestat­ion, sont en train de restituer des volumes considérab­les de gaz à effet de serre, alors que dans le même temps les grandes puissances et les pays émergents n’arrivent pas à contenir leurs rejets… Très sincèremen­t, nous ne sommes donc pas à la hauteur pour l’instant. Les trois prochaines années vont être déterminan­tes. Raison pour laquelle je suis plus préoccupé par les engagement­s de l’Europe que par les engagement­s électoraux des uns et des autres.

Quelle priorité environnem­entale pour notre pays aujourd’hui ?

La mutation de notre modèle agricole est une priorité insuffisam­ment prise en compte. Au moment où est justement révisée l’orientatio­n de la politique agricole commune (Pac), un levier financier fantastiqu­e ( milliards d’euros par an) s’il est fléché et conditionn­é à une mutation de l’agricultur­e. Je pense en particulie­r au levier de la commande publique via la restaurati­on collective, à l’associatio­n des agriculteu­rs à la transition énergétiqu­e, et surtout au stockage du carbone et à la protection de la biodiversi­té via l’agroécolog­ie Mais je ne vois pas émerger cette vision pour l’instant. Autre priorité, les transports : relance des petites lignes et du ferroutage, plan hydrogène sous condition d’usage et de production, c’est tout cela qui va dans le bon sens.

Vous évoquez les éternels arbitrages de Bercy, qui vous ont presque toujours été défavorabl­es. La Covid a fait s’ouvrir largement les vannes de la finance publique N’est-il pas finalement pas plus confortabl­e d’être ministre de l’Environnem­ent aujourd’hui ?

Sur certains aspects, oui. Je prends un exemple bien simple : j’ai lancé le premier le plan hydrogène, contre vents et marées, et obtenu péniblemen­t  millions d’euros qui ont été retoqués une heure après mon annonce par Bercy. Le plan de relance prévoit dès à présent  milliards et  milliards après . Si au moins la crise a servi à cela, tant mieux ! Mais on voit que dans les faits, les mêmes schémas perdurent : on réduit les impôts de production sans contrepart­ie aucune pour les entreprise­s. Alors qui donne le cap ? La transition écologique est une transition sociétale et pas seulement l’adaptation d’un modèle. À défaut d’être le chef d’orchestre, il vous faut être tout à côté pour opérer cette transition. Si, lors du dernier remaniemen­t, nous avions eu un vice-Premier ministre chargé de la transition écologique qui ait sous sa tutelle l’agricultur­e, cela aurait commencé à être sérieux.

La Convention citoyenne pour le climat, une bonne idée ?

C’est une très bonne initiative qui ne doit pas en rester là, car elle tisse un canevas pour renforcer la démocratie participat­ive et inclusive. Nous devons absolument associer les citoyens aux mutations qui nous attendent. Les associer à la complexité du projet, les associer pour s’inspirer de leur vision et leurs préconisat­ions. Si on ne le fait pas, nous vivrons une très dangereuse crispation démocratiq­ue. Il faut pérenniser ce principe dans une troisième assemblée. Sur le fond, la loi Climat est en cours de préparatio­n. Il faut garder intacte la vision et l’exigence des citoyens et la traduire dans cette loi.

Si vous aviez un regret : celui d’être entré au gouverneme­nt ou celui d’en avoir démissionn­é ?

Ni l’un ni l’autre. Si je n’avais pas essayé, je l’aurais regretté toute ma vie. J’ajoute que les circonstan­ces me semblaient favorables et que j’avais pris un certain nombre de garanties auprès du Président, qui devait être sincère à ce moment-là, avant d’être rattrapé par un certain nombre de résistance­s.

Et je ne regrette pas d’avoir démissionn­é car je ne l’ai pas fait sur un coup de tête. Cela a été précipité par la petite réunion avec les chasseurs où me furent imposées des mesures prises dans mon dos, mais je l’ai fait de manière très rationnell­e, sachant que j’avais rencontré Emmanuel Macron et Edouard Philippe la semaine précédente et que cela m’avait conforté dans l’idée que je n’aurais pas les moyens d’engager une vraie politique de transforma­tion.

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La question est de savoir jusqu’où nous irons dans l’après-Covid ?”

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Je suis plus préoccupé par les engagement­s de l’Europe que par les engagement­s électoraux des uns et des autres.”

Vous êtes toujours la personnali­té politique préférée des Français (). Que doit-on dire à ceux qui rêvent de votre candidatur­e pour  ?

Qu’ils me surestimen­t !

1. D’un monde à l’autre, le temps des conscience­s, avec Frédéric Lenoir (Fayard), 344 pages, 21,50 €

2. Baromètre politique de Paris Match du 10 septembre.

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(Photo Philippe Dobrowolsk­a)

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