Gérard Larcher : « Il faut plus de différenciation »
Le président du Sénat, candidat à sa succession, milite pour une déconcentration en faveur des territoires, notamment en leur fléchant la moitié du plan de relance
Plus de trente ans de Sénat cumulés à son compteur, Gérard Larcher a présidé la haute assemblée de 2008 à 2011 et la dirige de nouveau depuis 2014. Celui qui fut aussi maire de Rambouillet et ministre de l’Emploi de Jacques Chirac est d’ores et déjà candidat à sa succession au « plateau », le perchoir du Palais du Luxembourg, à l’issue du renouvellement sénatorial partiel du 27 septembre (qui ne concerne pas sa circonscription des Yvelines). Le vétérinaire normand, incarnation de l’aile modérée des Républicains, plaide plus que jamais pour une déconcentration qu’il défend pied à pied depuis l’élection d’Emmanuel Macron.
Estimez-vous, depuis , avoir redonné du poids politique au Sénat ?
Oui, parce que ne m’est plus posée la question, qui l’était auparavant,
« A quoi sert le Sénat ? ».
Le fondement du bicamérisme est de construire la loi dans un dialogue entre deux chambres et de contrôler le gouvernement. Le travail de la commission d’enquête sur la pandémie, entre autres, montre le travail de fond, en prise directe avec les réalités, dont est capable le Sénat. Ensuite, depuis l’instauration du quinquennat et l’élection de l’Assemblée nationale dans les plis de la présidentielle, les députés incarnent essentiellement le fait majoritaire et une forme de discipline. Le Sénat a ainsi trouvé toute sa place, non d’anti-pouvoir, j’insiste, mais de contre-pouvoir. Au Sénat, on ne dit jamais oui par discipline et jamais non par dogmatisme.
Quelles formes concrètes doivent prendre la déconcentration et la différenciation dont vous avez, avec d’autres, convaincu l’exécutif de la nécessité ?
La verticalité du pouvoir et la reconcentration de l’administration remontent à une dizaine d’années. On a vu trop de décisions univoques : baisse des dotations des collectivités locales, km/h imposé sur les routes départementales sans avoir consulté les présidents des départements, qui gèrent les routes, baisse de euros des APL sans en discuter avec les gestionnaires locaux des offices HLM… Ce constat a conduit à l’« appel de Marseille », lancé il y a deux ans autour de Renaud Muselier. La crise des « gilets jaunes » puis la crise sanitaire ont ensuite donné l’occasion aux régions, aux départements et aux communes de pallier les carences de l’État. Emmanuel Macron a donc compris, je crois, qu’il fallait s’engager vers plus de différenciation : on ne gère pas tous les territoires de la même façon. Au Sénat, nous lui avons livré propositions pour le plein exercice des libertés locales et, le novembre, nous débuterons l’examen du texte sur la différenciation.
Quelles sont vos principales propositions sur le sujet ?
Il y a d’abord un principe financier : qui décide paie ! Ensuite, donner aux communes et aux intercommunalités une liberté d’organisation, car les territoires intercommunaux ne se ressemblent pas tous. Enfin, il faut confier la présidence du conseil de surveillance de l’Agence régionale de santé au président de la Région, faire du Département le responsable du médico-social et laisser aux communes plus de liberté, dans les domaines de la culture et du sport notamment.
Vous souhaitez un « choc de relance », en déconcentrant au maximum les crédits…
Les orientations générales du plan de relance de l’exécutif sont bonnes, que ce soit pour la transition écologique ou la cohésion sociale et territoriale. Mais il faut, à tout prix, déconcentrer les crédits.
Il faut que les préfets retrouvent l’autorité sur les services. Et ça, ça ne dépend pas d’une loi mais d’une attitude du gouvernement. Les préfets doivent redevenir des patrons, sans dépendre sans arrêt de je ne sais quelles agences nationales pour l’habitat ou l’économie d’énergie. Si on ne déconcentre pas au moins % des cent milliards du plan de relance au niveau des préfets, des régions et des départements, en fonction des projets, pour une relation préfet-entreprises et préfet-élus territoriaux, eh bien ça ne marchera pas !
Il faut la même souplesse qu’on a eue, au début de la crise, sur les prêts garantis par l’État. L’interrogation des chefs d’entreprise est de savoir comment l’argent va arriver jusqu’à eux, comment faire pour que l’empilement des normes ne paralyse pas la relance.
Comment endiguer la montée actuelle de la violence ?
Il faut que l’État régalien, sur ce plan-là, retrouve sa place. La violence n’est pas un sentiment, c’est une réalité, dont vous avez vu des traces très fortes à Nice. Mais c’est une réalité que l’on retrouve aussi dans des villages. En vingt ans, les violences contre les dépositaires de l’autorité ont ainsi doublé. En réponse, la loi de programmation sur la sécurité ne doit pas uniquement ouvrir des crédits, certes nécessaires, pour le matériel et le personnel. Elle doit accentuer le continuum de sécurité, du maire à l’exécution de la peine de justice. Dans le nouveau schéma de maintien de l’ordre, on ne peut plus accepter des manifs où l’on préfère laisser piller les vitrines plutôt que de faire face aux casseurs.
Le déploiement de la G est « indispensable » à vos yeux…
Je ne fais pas partie de ceux qui ne croient pas au progrès. On parle beaucoup de G, mais il ne faut pas oublier que % environ de notre territoire ne bénéficient pas d’une téléphonie mobile de qualité. La G, d’accord, donc, mais à la condition de la souveraineté. On ne peut pas dépendre des Chinois… Nous avons encaissé quelques leçons de la dépendance à la Chine ces derniers temps. Au Royaume-Uni, Boris Johnson a repris la souveraineté sur la G. Il faut prendre en compte la question de la santé, mais le numérique peut jouer un rôle pour réduire l’empreinte carbone. Je fais confiance au progrès et je vois la G comme une nécessité pour ne pas retarder notre pays.
Vous estimez qu’il existe un espace entre Macron et Le Pen. Qui pour l’occuper dans votre camp ? Avec ou sans primaire ?
La droite et le centre ont la responsabilité de faire naître un projet alternatif au seul choix entre La République en marche et le Rassemblement national. Faire croire que la politique du gouvernement correspond à celle que nous conduirions est une erreur. Il a fallu que nous nous mobilisions pour faire émerger le sujet de la sécurité ; en matière migratoire, financière, fiscale et même d’écologie, nous avons aussi des différences. L’écologie punitive a conduit aux « gilets jaunes ». Nous prônons une écologie des territoires. Quant au choix de notre candidat, nous avons plusieurs talents. Je pense donc qu’il sera nécessaire, après les élections départementales et régionales de mars , d’établir un processus de départage qui dépasse les partis, plus aucune formation politique n’ayant aujourd’hui un volume assez significatif de militants.