Monaco-Matin

Paul Vecchiali « Faites, ne réfléchiss­ez pas ! »

Cette figure du cinéma français indépendan­t était à Toulon jeudi, et Nice ce week-end, pour présenter Un soupçon d’amour, son dernier film sorti début septembre. « Le plus important » dit-il.

- Mercury, PROPOS RECUEILLIS PAR NATHALIE BRUN nbrun@nicematin.fr

Devant le cinéma Le Royal ,à Toulon, où il est venu jeudi présenter avec son équipe, son dernier long-métrage encensé par la critique, Un Soupçon d’amour, Paul Vecchiali était très ému (1). « J’ai vu mon premier film ici il y a quatre-vingt-cinq ans, à l’âge de 5 ans… C’était Gaspard de Besse. Je pourrais même retrouver le fauteuil. Toulon était la ville où il y avait le plus de cinémas au monde, dans les années trente ! » D’origine ajaccienne, Paul Vecchiali a passé son enfance à Toulon, avant de faire Polytechni­que, puis de se lancer dans le cinéma dans les années cinquante. Sa mère, institutri­ce au Mourillon, faisait la classe aux enfants déshérités du quartier. « Tout ce que je suis, je le lui dois. Une mère avec une tendresse monumental­e mise à dispositio­n… J’avais en face de moi un exemple de vie. C’est pour ça qu’elle ne me quitte jamais. » Emblématiq­ue de la Nouvelle Vague et du cinéma français indépendan­t, avec un style unique et sans concession, cet expert en dialectiqu­e, fou des années trente, semble de plus en plus affûté et prolifique avec l’âge. Il n’a pas fini de nous surprendre.

Porté par son actrice fétiche, Marianne Basler, et une équipe devenue une seconde famille, Un soupçon d’amour est un film à clefs, plein d’énigmes et ponctué de vibrantes dédicaces. « Je ne dis pas que c’est le meilleur, mais pour moi, c’est le plus important », glisse-t-il. Un travail d’orfèvre virtuose qui vous scotche au fauteuil, à la scène finale. Visible encore ce mardi au Royal , ce mercredi à La Baleine, à Marseille, et le 30 septembre à Lorgues.

Après soixante ans de cinéma, vous continuez à enchaîner les films. Tourner, c’est respirer ?

Si je ne travaille pas je meurs. Tourner, d’abord, c’est permettre à des gens qui n’ont pas beaucoup de travail d’en avoir. J’ai une équipe formidable et, malheureus­ement, mon directeur photo travaille avec très peu de gens. Et comme je fais deux films tous les deux ans à peu près, il est vraiment dans le caca, si j’ose dire. Ce type a un talent incroyable et il ne travaille pas...

Ce n’est pas une exception, malheureus­ement…

Vous savez, il y a des espèces de clubs, de bandes, de clans, et on ne peut pas passer.

Vous-même n’avez jamais vraiment intégré le système...

Moi, vous savez, je suis indépendan­t. Je suis anarchiste. Toute idée de pouvoir, pour moi, est caduque. Je m’intégrais et j’étais dehors à la fois. Ça fait soixante ans que j’ai commencé mon premier film, ça fait soixante ans que je fais

‘‘ ce métier et toujours en tant que réalisateu­r, producteur et auteur indépendan­t.

J’ai eu un moment de gloire à l’époque de Rosa la Rose qui a tout cassé, en France et à l’étranger, et avec Corps à coeur qui est resté deux ans à l’affiche à Paris, ce qui est rare. J’avais une société, Diagonale, qui est maintenant devenue un symbole, parce que j’ai produit d’autres personnes. Moi je ne me rendais pas compte, je disais : “On y va, on bosse !” J’avais eu simplement l’idée de faire un départemen­t cinéma-télévision et un départemen­t traiteur. On avait un afflux d’argent continu avec le traiteur. Et avec le cinéma, on avait des afflux sporadique­s. Quand on faisait des films, l’argent arrivait. Et les TVA se compensaie­nt. Il y a quelque chose de drôle qui est arrivé, c’est qu’au bout de cinq mois, on a eu un contrôle ! Et j’ai encore chez moi la lettre de félicitati­ons du ministre des Finances !

Vous êtes un symbole de liberté, notamment pour les jeunes. Que leur dites-vous lorsqu’ils vous demandent conseil ?

Je leur dis : “Faites ! Ne réfléchiss­ez pas, faites !” Trouvez les moyens. Il faut y aller. Maintenant avec les moyens qu’on a, on peut tourner avec un iPhone. Il y a des gens qui veulent faire du cinéma : on peut se regrouper, travailler gratuiteme­nt, faire un premier film et après le montrer et faire carrière. Mais il faut faire, pas réfléchir.

Parlez-nous d’Un soupçon d’amour...

Le travail du deuil est une des poutres du film, mais elle n’est pas très apparente. C’est aussi un film sur le théâtre, c’est important. Et comment on passe du théâtre à la vie. Et c’est aussi, pardonnez-moi du terme un peu pédant, un film spatio-temporel. Quand on est dans un décor, on ne sait pas de quel temps il s’agit…

Sans dévoiler l’intrigue, il y a aussi un sacré suspense...

C’est un mélodrame, une comédie musicale et un film fantastiqu­e, tout à la fois.

Comment avez-vous travaillé sur ce film ?

Lorsqu’il m’est arrivé cette histoire en , je voulais me délivrer du deuil et j’ai fait un roman. Mais ça n’a pas suffi. Je me suis dit : il faut faire un film. Et je n’y arrivais pas, parce que je ne voyais pas quelqu’un jouer mon rôle. Un matin je me réveille et je me dis : il faut transforme­r le personnage, il faut une femme. J’ai appelé Marianne Basler : si elle me dit non, je ne le fais pas... J’ai transposé l’histoire et, en la transposan­t, c’est devenu tout à fait autre chose.

Êtes-vous enfin délivré ?

On ne se délivre jamais tout à fait, mais j’ai eu une respiratio­n nouvelle.

Vous avez tourné le film en un temps record :  jours.

Je prépare beaucoup. Je commence à bosser trois, quatre mois avant le tournage et je me donne quinze jours où j’arrête de préparer et où je rêve dans mes décors. Pour la mise en place des dialogues avec les comédiens, on fait des tractation­s et, ensuite, c’est figé, je n’ai plus rien à dire. Les Cahiers du cinéma ont écrit : “Vecchiali fait un film sublime avec des bouts de chandelles”. Ils ne savent pas ce que c’est que le cinéma ! On travaille quatre mois à l’avance, et je peux aussi leur montrer les factures !

Si je ne travaille pas, je meurs”

‘‘

En principe, je tourne mon prochain film en février”

Quels sont vos projets ?

En principe, je tourne en février un film qui s’appelle Pas de quartier. Avec les deux sens du mot “pas”, parce que c’est un film chanté et dansé. J’appelle ça un musico-drame. C’est un cabaret de travestis qui s’installe à Ramatuelle. Le maire est vachement content, mais en revanche, tout le conseil municipal, tous les édiles sont contre. Et ils vont aller jusqu’à engager des sbires pour foutre la merde. Le tournage aura lieu à Sainte-Maxime...

Vous êtes né en , comment voyez-vous évoluer le cinéma ?

J’ai bien peur que ce soit la fin. Il y aura la télévision, les DVD et les Blu-ray, des liens... J’en suis très triste, même si je travaille avec le virtuel. 1. Il était également samedi et dimanche au cinéma à Nice.

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