Monaco-Matin

La semaine de Claude Weill

- Journalist­e, écrivain et chroniqueu­r TV edito@nicematin.fr

« Il y a chez ce fils d’instit’ gersois passé par l’ENA un côté terroir, « provincial » (comme on n’ose plus dire). »

Dimanche

Maillot jaune, cuissards, montre, lunettes jaunes, on dirait un gros poussin. Ou mieux, avec le masque jaune qui lui fait comme un bec : un mignon petit canard. Saturnin, le caneton de la série télé des années . On scrute ce visage enfantin qui ne trahit rien, pas même la fatigue accumulée depuis trois semaines, rien d’autre que la joie innocente d’un gamin qui vient de gagner le Tour de France à  ans ( demain). On le regarde, on l’admire. Et on n’arrive pas à chasser ce sentiment indéfiniss­able. Soupçon ? Doute ? Disons l’ombre d’un doute : et lui, il est clean ? Avec le temps, et les sales affaires des années  – tant de vainqueurs déclassés, tant de maillots souillés – l’amateur de vélo a perdu son innocence. Un paradoxe gâche son plaisir : on veut des héros, des surhommes. Mais la performanc­e est devenue louche et la victoire, suspecte. « Remporter le Tour, c’est gagner un lion en peluche et un paquet de suspicion », écrira A. Roos, dans l’Equipe .Si même l’Equipe…

Mais non, chassons ces nuages. Aujourd’hui, je veux retrouver mon âme d’enfant et applaudir sans arrière-pensée. Vive Pogaçar !

Lundi.

Les chiffres ne sont pas bons. On annonce un nouveau tour de vis. Fermeture des bars, etc. C’est vrai que c’est bizarre : dans les grandes villes, le port du masque est obligatoir­e à peu près partout (rues, parcs, etc)… sauf dans un des endroits où, au dire des épidémiolo­gistes, on a le plus de risque d’attraper le Covid : les bistrots. Parfois, on y va juste pour ça : pouvoir enlever ce fichu masque. Paradoxe pour paradoxe, autre chose nous frappe : dans la rue, ou dans le train, les Français respectent assez bien l’obligation. La peur du gendarme, peut-être ? Mais quand ils avisent une connaissan­ce, ils se démasquent pour parler : au moment justement où le masque est le plus utile. C’est quasi machinal. Comme si cela relevait de quelque chose de très profond en nous : pour échanger avec autrui, nous avons besoin de lire sur son visage. « Une humanité masquée est une humanité de la défiance et du soupçon », écrit BHL dans un petit essai où il dit par ailleurs pas mal de sottises (Ce virus qui rend fou, Grasset).

Il y a du vrai. Ce qui est terrible avec ce virus, c’est qu’il nous pousse à voir dans l’autre – nos amis même, et jusqu’à nos enfants – une menace, un danger. Mais passons, Camus a tout dit là-dessus…

Mardi

Un homme de  ans « opposé à la G » arrêté pour avoir incendié des relais téléphoniq­ues dans le Jura. Nous en sommes là ! Au pays de Descartes et de Pasteur... Accablant constat du physicien-philosophe Etienne Klein : dans les débats actuels sur la science et la technologi­e, « il y a une décorrélat­ion presque totale entre la militance et la compétence ».

Mercredi

La société Duralex mise en redresseme­nt judiciaire. Duralex ! Mais c’est comme si on apprenait que la tour Eiffel allait être démontée ! Incassable­s, indémodabl­es, et pourtant pas moches, les verres Duralex, c’est notre histoire. C’est nous. On a tous bu dans des Duralex, à la maison, à la cantine, au Resto U. Duralex, c’est une certaine idée de la France. Un élément du patrimoine national. Comme l’Opinel ou la Vache qui rit.

Tout fout le camp…

Jeudi

« Vous avez la parole », sur France . Ah, ça, ils l’ont eue la parole ! L’infirmière timide et la mamie flingueuse, la restauratr­ice en rogne et les syndicalis­tes Bridgeston­e… Chacune et chacun avec sa colère et ses exigences. Et en face, le premier ministre, dans le rôle du sac de sable : dur à bouger. S’appliquant à se montrer à l’écoute (c’est ce qu’on attendait de lui) et à répondre de façon posée, didactique, avec le ton plan-plan et le langage un peu gendarmesq­ue qui font sa marque.

Il y a chez ce fils d’instit’ gersois passé par l’ENA un côté terroir, « provincial » (comme on n’ose plus dire), un peu vintage, un côté Duralex, qui tranche avec nos politiques modernes en costume cintré et parler speed. L’émission a été critiquée : hachée, chaotique. Je ne partage pas. C’était un reflet assez fidèle de la France de , mosaïque de doléances qui s’excluent les unes les autres, où personne n’écoute plus personne, et tout le monde se rejoint pour dénoncer les défaillanc­es d’un Etat dont on attend tout et on n’espère rien.

Vendredi

Cette image insupporta­ble : une feuille de boucher abandonnée au sol. Couverte de sang. Le sang de deux innocents dont le seul tort a été de se trouver sur le chemin de cet « Ali H » (si tel est bien son identité), à quatre pas des anciens locaux de Charlie. Pakistanai­s. Arrivé mineur en France (dit-il). Sans emploi. Jamais repéré pour radicalisa­tion. Quelqu’un a-t-il failli ? Attendons l’enquête.

Samedi

Adieu Denis Tillinac. Tu étais bon compagnon et bon vivant. Granitique comme ta Corrèze. Ecrivain de haut style et de grande culture. Le dernier des hussards. Le réac préféré de ceux qui ne le sont pas.

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