Monaco-Matin

« L’alcool est assimilabl­e à une drogue dure»

- (Retrouvez l’intégralit­é de cette interview sur www.monacomati­n.mc)

Valérie Aubin et Jean-François Goldbroch, respective­ment chef du service psychiatri­e au CHPG et psychiatre addictolog­ue, étaient présents lors de la présentati­on de l’enquête Espad Monaco 2019. Ils y ont analysé les résultats et apporté une contextual­isation ainsi qu’une expertise médicale.

Une addiction, c’est quoi ?

J-F.-G : L’addiction est définie par la perte de la liberté de s’abstenir de consommer ou d’avoir un comporteme­nt malgré les retentisse­ments négatifs de ce comporteme­nt ou de l’usage du produit. L’addiction est toujours définie par la rencontre entre un produit (avec les différents degrés de toxicité et de dépendance), un individu (avec ses fragilités, ses traumatism­es et son histoire personnell­e), dans un environnem­ent (familial, amical, scolaire…). C’est cet ensemble multifacto­riel qui définit la gravité et l’importance de l’addiction.

Quelles sont les structures au CHPG qui traitent de cette problémati­que ?

V.A. : Les patients souffrant d’une problémati­que addictive sont reçus en psychiatri­e en consultati­on spécialisé­e « addiction » ou dans le cadre de la consultati­on « jeune consommate­ur ».

Ils peuvent bénéficier également d’une consultati­on « pré-hospitalis­ation » où on leur explique le protocole de sevrage. En hospitalis­ation, chaque patient a un plan de soins personnali­sé avec un protocole de cure adapté à sa problémati­que tant en termes de durée que de prise en charge spécifique (chimiothér­apique, psychothér­apique, kinésithér­apique, occupation­nelle, groupes de parole, soutien d’associatio­ns…).

J-F.-G : Pour chaque patient, on s’efforce d’avoir un projet thérapeuti­que personnali­sé – en ambulatoir­e ou en hospitalis­ation – avec une évaluation des fragilités, du degré de dépendance et le traitement des éventuelle­s comorbidit­és ou symptômes associés toujours en lien avec le projet de vie.

À Monaco, combien de jeunes suivez-vous pour des addictions ?

V.A. : Nous avons comptabili­sé  patients entre  et  ans hospitalis­és en , soit en pédiatrie soit en psychiatri­e pour des pathologie­s en lien avec la psychiatri­e. On ne peut pas chiffrer précisémen­t la part des addictions, on souligne simplement qu’en population générale, elle est de  %. On insiste sur le fait que chez l’adolescent, la comorbidit­é addictive est un facteur de gravité.

L’addiction chez les jeunes résulte-t-elle d’un contexte familial délicat ou d’un

« effet de groupe » propre à l’adolescenc­e ?

J-F.-G : Le contexte et l’environnem­ent familial participen­t à la fragilité et donc à l’addiction, mais pas seulement. L’effet de groupe, aussi. Rappelons que l’addiction est aussi un phénomène multifacto­riel à l’adolescenc­e, prenant en compte sa fragilité dans son contexte familial et environnem­ental, et que l’adolescenc­e est un moment où l’environnem­ent peut être particuliè­rement fragilisan­t. En cas de contexte difficile, il faut donc s’efforcer de renforcer les points positifs et les capacités du jeune. Les demandes d’hospitalis­ation et de soins concernent principale­ment le cannabis à cet âge.

V.A. : L’ouverture prochaine de l’unité adolescent permettra de dédramatis­er et de faciliter l’hospitalis­ation en psychiatri­e et de permettre à des jeunes souffrant d’autres addictions (alcool, écran…) de bénéficier de nos soins.

La banalisati­on de l’alcool vous inquiète. Pourquoi ?

V.A. : Il y a effectivem­ent une tendance à une plus grande valorisati­on de l’alcool dans le milieu familial par rapport à d’autres substances. Le partage d’un verre ou l’initiation à la dégustatio­n d’alcool sont souvent connotés de façon trop positive et, en tout cas, contribuen­t à une rencontre trop précoce du produit avec le jeune adolescent. Notons que le « Binge Drinking », avec souvent des comas éthyliques, est une véritable atteinte neuronale délétère et ne doit pas être assimilé à une simple « ivresse initiatiqu­e ». De même, l’alcool, qui est assimilabl­e à une drogue dure, ne devrait pas être à libre dispositio­n dans les appartemen­ts familiaux ni mis en avant dans les supermarch­és.

On parle de plasticité cérébrale jusqu’à  ans. Avant cet âge-là, il serait plus facile d’agir pour « rééduquer « le cerveau et stopper les addictions ?

V.A. : Effectivem­ent, cette plasticité cérébrale permet un potentiel de récupérati­on important sous réserve d’une rééducatio­n neuro-cognitive et d’un arrêt de l’addiction.

J-F.-G : Cela permet ensuite d’acquérir de meilleures stratégies par rapport à l’abstinence, ce qui est plus difficile après  ans. Les stratégies sont les moyens de défense et les alternativ­es à l’addiction.

En quoi un usage intensif des écrans est-il néfaste ?

V.A. : Ce qui est néfaste dans l’usage des écrans, c’est effectivem­ent le caractère intensif et le fait que ce soit aux dépens d’autres activités. Passer plusieurs heures sur les écrans altère les capacités de concentrat­ion.

J-F.-G : L’usage intensif altère également la richesse des émotions, et des relations au profit des sensations et de l’impulsivit­é ou immédiatet­é, pouvant entraîner une baisse de l’estime de soi et de la gestion des émotions.

Pour apprivoise­r le milieu numérique, on parle de la règle ---. Pouvez-nous détailler cette règle…

V.A. : Cette règle – édictée par un collectif de pédiatres, pédopsychi­atres et psychiatre­s – stipule d’interdire les écrans avant l’âge de  ans, les consoles de jeux portables avant  ans, Internet avant  ans et une utilisatio­n du Web en présence des parents jusqu’à l’entrée au collège.

Et un usage autonome d’Internet à partir de  ans, sous réserve qu’il y ait un accompagne­ment des parents.

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(Photos Stéphane Danna / Dir. Com.) Valérie Aubin et Jean-François Goldbroch.

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