Procès filmés et diffusés : le débat tient la barre
Avocats, magistrats, associations de victimes : ils donnent leur avis sur la proposition du garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, de capter systématiquement les audiences
Comment rapprocher les Français de l’institution judiciaire ? Éric DupondMoretti estime, dans un entretien accordé au Parisien ,quela « publicité des débats est une garantie démocratique ». C’est déjà le cas. Les débats sont publics, contrairement à l’instruction et à l’enquête. Mais, forcément, seulement un public restreint y a accès. Alors, le garde des Sceaux souhaite aller plus loin. Et faire rentrer les caméras dans les prétoires. Il aspire à ce que «les audiences soient filmées systématiquement et que les procès soient diffusés ». « Ça permet de voir comment plaident les avocats, comment jugent les juges, comment les experts viennent rendre compte de leur travail et les policiers de leur enquête », a-t-il fait valoir ensuite dans une vidéo publiée sur Facebook. Dupond-Moretti tempère : « Bien sûr, il ne s’agit pas de le décider pour que ça rentre en application. » Il va consulter, mais espère que le projet aboutisse « avant la fin du quinquennat ». « Une réflexion est en cours », confirme la chancellerie. Filmer une audience n’est pas autorisé (), mais la loi Badinter en a introduit des exceptions lorsqu’il s’agit de laisser une trace pour l’histoire... En comptant, le procès des attentats de janvier , une dizaine d’audiences ont été filmées en ans – AZF, Barbie, Papon, etc. – sans toutefois être diffusées en direct. Les images sont conservées par les archives nationales. 1. Et le Conseil constitutionnel a confirmé en 2019 l’interdiction de procéder à la captation d’images et d’enregistrements et de les diffuser, estimant qu’elle était "nécessaire" pour garantir la sérénité des débats et prévenir toute atteinte à la vie privée.
Anne Gourvès souffle : « Avant de se préoccuper de savoir si la justice doit être filmée ou pas, que le garde des Sceaux se préoccupe déjà que la justice avance, notamment sur le dossier civil de l’attentat de Nice. » Alors réfléchir s’il faut filmer les procès, « est-ce vraiment une priorité ? », s’interroge la coprésidente de Promenade des Anges, l’association de victimes de l’attaque terroriste du 14-Juillet. La coprésidente fait part de ses doutes : « A Promenade des Anges, nous sommes pour la captation des procès, mais nous pensons que la diffusion pourrait être contre-productive pour le travail judiciaire. » Anne, qui a perdu son enfant il y a quatre ans sur la Prom’, précise : « En revanche, ce pourrait être un droit des victimes et des parties civiles de pouvoir visionner, sur demande, les audiences si elles ne souhaitent pas y assister physiquement ». Elle insiste : « Le soir de l’attentat, tous les tabous ont été transgressés. L’horreur a été filmée et diffusée. Combien de personnes n’ont pas su résister à la fascination des images ? Combien d’adolescents ont visionné le carnage ? Il faut penser aux dégâts psychologiques sur les adolescents. Quels pourraient être l’impact des images d’un procès sur un jeune ? »
« Utilité pédagogique »
« Nous pensons qu’introduire le citoyen dans un procès en tant qu’observateur peut servir à équilibrer et tempérer les débats et renforcer le principe de contradictoire », plaide, de son côté, Sophia Seco, directrice générale de la Fenvac (Fédération nationale des victimes d’attentats et d’accidents collectifs), l’une des parties civiles au procès des attaques contre Charlie Hebdo ,à Montrouge et à l’Hypercacher.
Merah, un loupé ?
Capter et diffuser les audiences, la Fenvac le demande « depuis longtemps » et notamment pour les procès en matière de terrorisme et de drames collectifs : « Cela a une utilité historique mais aussi pédagogique. » Sophia Seco poursuit : « Les deux procès du frère de Mohamed Merah n’ont pas été filmés et nous pensons qu’il y a eu une vraie déperdition. Pour nous, c’est un loupé pour l’histoire, pour les Français. » « Nous avions demandé, par conclusions, que le procès Merah soit filmé. La cour avait refusé, je trouve ça regrettable », renchérit Philippe Soussi, avocat de l’Antibois Bryan, qui a survécu à la tuerie du terroriste Merah à l’école juive Otzar Hatorah à Toulouse. Le Niçois, avocat de l’Association française des victimes de terrorisme, dans le dossier de l’attentat de Nice est « très favorable » à ce que les procès soient filmés : « Il est toujours frappant de constater que les Français ne connaissent pas le fonctionnement de la justice rendue en leur nom ». Mais, dit-il, il ya « une vaste réflexion préalable à mener ».
Respect de la vie privée
Me Soussi argumente : « Il faudra veiller à la protection des acteurs du procès, je pense notamment aux témoins, aux magistrats, aux jurés. Et, dans certains procès, ce n’est pas une question accessoire. Veiller aussi, bien sûr, au respect de la présomption d’innocence et de l’intimité de la vie privée ». Il conclut : « La diffusion en différé aurait ma préférence. » Marc Joando, magistrat honoraire, ancien président du tribunal correctionnel de Nice, estime, quant à lui, qu’il sera difficile de s’opposer à la captation des procès « puisque la justice est rendue au nom du peuple français ». Mais il souhaite « que le débat éthique et technique » soit posé. Et clairement. Marc Joando relève cependant : « Estce là le problème fondamental de la justice du XXIe siècle ? N’estce pas plutôt le traitement pénal, l’exécution des peines ou encore la réponse pénale pas toujours bien comprises par nos concitoyens ? »