Monaco-Matin

Épopée belle

Jusqu’au 1er novembre à Cannes, La Malmaison présente les oeuvres du peintre Kehinde Riley. Tout en se questionna­nt sur la représenta­tion des Noirs dans l’histoire de l’art, l’Américain s’empare, détourne et actualise les procédés picturaux des grands maî

- JIMMY BOURSICOT jboursicot@nicematin.fr

On pourrait dire de Kehinde Wiley qu’il est dans l’air du temps. À seulement 43 ans, nombre de ses toiles sont accrochées aux cimaises de prestigieu­ses institutio­ns culturelle­s américaine­s, à l’image de President Barack Obama, son oeuvre représenta­nt le premier Noir à avoir conquis la Maison-Blanche, conservée à la National Portrait Gallery de Washington.

À l’heure où le mouvement Black Lives Matter prend une large ampleur, cette figure de l’art contempora­in ne cesse de s’interroger sur la place « réservée » aux Noirs. Dans la société actuelle, mais aussi dans l’histoire de l’art.

« Montrer les invisibles »

Fou de hip-hop, il a d’abord « samplé » des maîtres de la Renaissanc­e ou du classicism­e comme Titien, Van Dyck ou encore Ingres et David.

Sur ses toiles, la noblesse d’antan, fière et conquérant­e, laissait place à des jeunes hommes croisés au hasard d’une déambulati­on à Harlem ou à des icônes du rap. « Dans son travail, la question du pouvoir est absolument centrale. Pour lui, il est important de montrer les invisibles », relève Numa Hambursin, directeur de La Malmaison et commissair­e de cette exposition baptisée Kehinde Wiley : peintre de l’épopée.

Après ses pérégrinat­ions dans les rues new-yorkaises, celui qui a grandi en Californie a souhaité élargir le champ. Parmi les vingtquatr­e oeuvres présentées à La Malmaison (des huiles, des vitraux et émaux sur toile), plusieurs s’inscrivent dans son projet The World Stage.

De Rio à Tel Aviv en passant par Lagos ou Dakar, il a mené des castings sauvages pour nourrir son imaginaire. Un dialogue, une séance photo sur place, puis un minutieux travail pictural pour magnifier ses sujets. Encore et toujours des gamins de la rue, vêtus de maillots de foot, pieds nus ou chaussés d’imposantes baskets. Des modèles immortalis­és sur fond de wax ou encore de tapis oriental. Cette trame, elle vient parfois « envelopper » les personnage­s. « C’est comme une toile d’araignée où se mêle ce qui relève de l’élite et ce qui relève de l’artisanat. Le travail de Wiley n’est pas seulement poétique. Il est très nuancé et poétique », estime Numa Hambursin.

« Avant tout un très grand peintre »

À cause de l’épidémie

‘‘ de coronaviru­s, l’artiste n’a pas pu se rendre à Cannes. Cette exposition organisée dans la Cité des festivals n’en demeure pas moins un événement. Hormis un accrochage parisien à la galerie Daniel Templon et au Petit Palais, où ses vitraux « revisités » ont été présentés, les créations de l’Américain d’origine nigériane ont peu été montrées sur le Vieux Continent. « C’est une curiosité. Aux États-Unis, il est collection­né dans une trentaine de musées. En Europe, il n’a pas encore eu droit à une très grande expo. Cette frilosité s’explique peut-être par l’avis de conservate­urs et de directeurs d’institutio­ns qui pensent que les thématique­s abordées sont avant tout américaine­s », poursuit Numa Hambursin, avant de poser les choses autrement au sujet de l’ancien élève du San Francisco Art Institute et de l’université Yale. « Kehinde Wiley est avant tout un très grand peintre. Il possède une maîtrise technique exceptionn­elle et il a une grande connaissan­ce de l’art. Il n’est pas uniquement dans la copie. Quand il s’empare de chefs-d’oeuvre, il leur redonne une énergie vitale. »

En allant du côté de Tahiti, c’est l’imagerie de Paul Gauguin qu’il a « ressuscité­e ». Attiré par la peau brune dans toutes ses nuances, Wiley aime aussi s’interroger sur les symboles de l’identité masculine et de la virilité. En se rendant à Tahiti, il a rencontré des membres de la communauté Mahu. Comme le Français, il est revenu fasciné par ces personnes transgenre­s, très respectées avant d’être mises à l’écart par les missionnai­res étrangers. Sous son pinceau, les Mahus apparaisse­nt sous leur vrai jour, avec les vêtements de leur choix, loin des relents colonialis­tes et de l’objectivat­ion sexuelle.

Il redonne une énergie vitale à des chefsd’oeuvre”

En exposant les oeuvres de Kehinde Wiley, Numa Hambursin appuie encore son ambition, «mon obsession, même ». « Je veux qu’on sorte de l’entresoi et que l’art contempora­in s’éloigne du jargon dans lequel il s’est enfermé. »

En mettant en lumière cet artiste de premier plan, La Malmaison s’est donné la possibilit­é de faire coup double, en séduisant les habitués des galeries et des grandes exposition­s, tout en ayant l’opportunit­é de susciter la curiosité d’un nouveau public. « Il n’est pas forcément nécessaire de connaître les oeuvres auxquelles Wiley fait référence pour apprécier son art. Cet été aura été très particulie­r, mais je suis très satisfait car nous avons touché un public plus jeune et varié. »

 ??  ?? Jusqu’au 1er novembre à La Malmaison. 47, boulevard de la Croisette, à Cannes. Ouvert de mardi à dimanche, de 10 h à 13 h et de 14 h à 18 h. Entrée 6 €, réduit 3 €.
Rens. 04.97.06.45.21. et cannes.com
Jusqu’au 1er novembre à La Malmaison. 47, boulevard de la Croisette, à Cannes. Ouvert de mardi à dimanche, de 10 h à 13 h et de 14 h à 18 h. Entrée 6 €, réduit 3 €. Rens. 04.97.06.45.21. et cannes.com
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