Monaco-Matin

Maïwenn Le ciné dans son ADN

L’actrice-réalisatri­ce est venue présenter son nouveau film, ADN, en avant-première au Cinéma des Arcades à Cannes. Une famille qui tente de survivre au deuil et une quête de racines.

- ALEXANDRE CARINI acarini@nicematin.fr

Elle nous reçoit dans l’ambiance feutrée d’un hôtel Radisson hors saison, à l’ère Covid. Maïwenn aurait dû monter à nouveau les marches du Palais des Festivals, par un beau printemps de mai, puisque son film, ADN, a reçu le label Cannes 2020. Mais la belle se contente d’allonger sa longue silhouette de mannequin dans le fauteuil de sa suite avec vue horizon marin, sans se vautrer indécemmen­t sur le manque de paillettes sur la Croisette. « Cannes, c’est toujours des émotions quand même, sourit celle qui a foulé le tapis rouge avec Polisse et Mon roi. Mais on vit un moment tellement dur, historique et dramatique, que je ne me vois pas dire : “Au secours, je n’ai pas eu mon Festival de Cannes !” Ça me paraîtrait dérisoire d’évoquer une quelconque frustratio­n... »

Elle aurait pu faire l’impasse sur l’édition 2020 pour présenter ADN en mai 2021, mais elle n’a «pas voulu attendre un an, car un film représente un moment présent, il y aurait eu risque de décalage ».

Et puis une rencontre avec le public en avant-première vaut bien une tenue de gala au théâtre Lumière. « Oui, j’aime bien, mais après la projection, pas trop avant. Je préfère rentrer dans un film sans rien en savoir, et il n’y a pas pire qu’un réalisateu­r qui te dit quoi voir dans son film, je préfère laisser libre interpréta­tion à chacun ». Sur son avant-bras, un tatouage, légèrement abîmé par un maquillage de tournage, mais que rien ne peut effacer à ses yeux. Abdelkader Belkhodja .Lenomde son grand-père, qui a sans doute inspiré ce formidable personnage du papy dans ADN. Ancien combattant FLN et militant communiste, intégré plutôt qu’intégriste, pilier d’une famille multiple qui se déchire à sa mort. Avec une belle histoire dans l’histoire, puisque c’est en voyant une petite annonce collée sur gouttière, que le comédien amateur Omar Marwan a décroché ce très beau rôle. Le reste du casting familial est à l’avenant avec Dylan Robert (la révélation de Shéhérazad­e) en jeune homme révolté, Louis Garrel en ami pour rire aux larmes, Marine

Vacth en soeur beauté ; et pour jouer la tempétueus­e maman, Fanny Ardant, évidemment !

« Je l’avais entendue raisonner avec beaucoup d’insolence sur la vie, l’amour, et ça faisait des années que je voulais travailler avec elle. Elle compose une mère pleine de toxicité, mais en même temps, on la comprend... »

Famille pluricultu­relle et multirecom­posée, et scénario qui semble faire écho avec le propre parcours de Maïwenn, née d’une mère franco-algérienne, et d’un père breton d’origine vietnamien­ne. Film forcément personnel, mais Maïwenn se défend de verser dans l’autobiogra­phie.

« Ce serait réducteur du travail de l’artiste. Ce n’est pas parce qu’on parle de choses intimes et personnell­es qu’on les a forcément vécues ainsi », relativise celle qui a déjà tout déballé de ses affres familiales (y compris sa maltraitan­ce d’enfance) dans Le Pois chiche, son « one Maï show ».

« De toute façon, la vie est un mauvais scénario, et si l’on se contente de la recopier dans un film, ça sonne toujours faux ».

Dans ADN, elle incarne Neige, une jeune mère en crise identitair­e qui cherche à renouer avec ses racines algérienne­s. Et Maïwenn ? « Oui, je les ai cherchées pour savoir de quoi je suis constituée, davantage pour connaître d’où je viens plutôt que savoir qui je suis, reconnaît-elle, qui a pratiqué un test ADN. Mes racines expliquent sans doute beaucoup de mes traits de caractère : ma rébellion, mon goût pour l’indignatio­n contre l’injustice ou le racisme. »

Dans son film, la guerre d’Algérie, que la France d’aujourd’hui porte en héritage, est évoquée discrèteme­nt, en filigrane.

« Dans les livres d’histoire, elle est très anecdotiqu­e. C’est incroyable, alors que ce conflit est la cause de beaucoup de choses dramatique­s qui se passent aujourd’hui en France, estime-t-elle. Les harkis ont été parqués dans des bidonville­s, et maintenant, on dit : “banlieues, banlieues, banlieues...” Quand j’étais petite, je ne supportais pas qu’on s’adresse à mon grand-père en le tutoyant, pour moi, c’était du racisme ordinaire ».

Artiste engagée au franc-parler affirmé, femme jusqu’au bout des ongles vernis, Maïwenn songe néanmoins à se retirer du collectif 50/50 pour l’égalité hommefemme et la diversité au cinéma, avec lequel elle ne se sent plus en phase. Hors quota...

« Je ne veux pas de politique du chiffre, ni être sélectionn­ée un jour à Cannes parce que je suis une femme. Et puis moi, j’aime les hommes, et chez ces femmes-là, je n’entends que leur colère contre les hommes, qu’elles mettent tous dans le même sac, alors que certaines femmes aussi se comportent de manière affreuse. »

Voilà qui est dit, alors que la cinéaste tournera son prochain film en costumes d’époque sur une grande figure du féminisme, la comtesse du Barry. Son combat à elle, Maïwenn l’a remporté en réalisant jadis son premier opus, alors que personne ne croyait en l’ex-Madame Luc Besson.

« Je n’en reviens pas d’avoir eu cette ténacité à ce moment-là, le courage de mettre tout mon argent dans mon film alors que tous étaient contre moi. Je suis fière de ça ». Comme quoi, dans l’ADN de Maïwenn, il y a aussi le cinéma.

‘‘ Mes racines pour savoir d’où je viens, pas qui je suis”

‘‘ Moi, je suis une femme qui aime les hommes”

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