Monaco-Matin

LECONTE ROI DU RIRE

Le Monte-Carlo Film Festival salue sa carrière Le cinéaste confie adapter Les Bijoux de la Castafiore

- PROPOS RECUEILLIS PAR THOMAS MICHEL tmichel@nicematin.fr

Il a vécu un confinemen­t heureux à la campagne. Six mois et demi « parfait » à « pas mal écrire » et « faire du vélo ». Et le retour à Paris, la semaine dernière, a été « violent ». Dès lors, ouvrir une parenthèse à Monaco, où il avait tourné des scènes d’1 chance sur 2 (1998) avec le trio Belmondo-Delon-Paradis, tombait à pic.

Samedi, Patrice Leconte a reçu un Prix d’honneur pour l’ensemble de sa carrière des mains du président du Monte-Carlo Film Festival de la Comédie, Ezio Greggio. Attablé avec un verre de vin blanc dans un salon du Fairmont, le cinéaste rembobine un demi-siècle de comédies, de rires au service des autres. Un genre libre mais non sans limites. « On ne peut pas rire de tout. Quand on évoque l’arrière-pays niçois après la tempête, je ne vois pas comment on pourrait arriver à rire de ça en faisant une comédie alerte et enlevée. Ce n’est pas pensable, comme on ne peut pas rire de l’enfance battue. Il y a des tas de sujets sur lesquels ce n’est pas pensable de faire de l’humour. »

On ne peut pas rire de tout ou on ne peut plus rire de tout ?

On n’a jamais pu. Mais je suis d’accord qu’il y a un petit peu de “on ne peut plus”. Parce que les oreilles du public sont devenues de plus en plus timorées, frileuses, on entre dans une période où l’autocensur­e va être un peu plus grande qu’elle n’a été.

Êtes-vous à l’aise dans la confrontat­ion avec votre public ?

Depuis toujours j’ai beaucoup de mal à aller dans les salles qui projettent mes films. J’ai toujours peur que les spectateur­s s’ennuient, se lèvent et sortent. J’y vais le moins possible, sur la pointe des pieds. J’attends que le film démarre, je demande au directeur de la salle de m’installer au fond et j’ai toujours l’impression qu’il y avait mieux à faire, qu’ils auraient pu rire davantage. Mais quand vous entendez les gens rirent, ça vaut tous les César du monde.

Vous recevez un Prix pour l’ensemble de votre carrière. Vous les comptez ?

Je peux les compter parce que je n’en ai pas reçus beaucoup. [rires] Les Prix, c’est pas mal. À chaque fois je me suis régalé à les recevoir et je n’en suis pas blasé.

Mais quand un film fait beaucoup d’entrées, c’est plus satisfaisa­nt que tout. C’est quand même ça la fonction du film. Quand Marguerite Duras écrivait ses bouquins, elle ne rêvait pas de n’en vendre que douze. On ne fait pas ce métier pour devenir les rois du pétrole mais pour que notre travail soit vu, et apprécié si possible. Ici, on m’a dit que des jeunes comédiens ou acteurs ont reçu ce Prix avant moi, alors je ne suis pas obligé de mourir dans l’année. [rires]

Y a-t-il une date de péremption sur l’humour ?

Si on pense aux Bronzés, ce sont des films inusables. C’est proprement insensé mais très agréable. Mais il y a d’autres comédies à consommer de préférence avant telle date. [rires] Pas les Buster Keaton bien entendu, ni les Laurel et Hardy.

Qu’est-ce qui rend suranné un film comique ? Son univers ?

Certains films se démodent plus vite que d’autres. Soit ils appartienn­ent à une époque totalement révolue et redevienne­nt charmants à force de démodage. Soit ils sont tellement datés qu’avec le recul on se dit que ça a pris un coup de vieux. On n’a pas fait exprès mais on a eu du bol avec Les Bronzés, parce que la mer, le sable, les paréos, que ce soit en  ou aujourd’hui c’est la même chose. La neige, les skis, les combinaiso­ns fluo et les télésièges, c’est pareil. Donc ce n’est pas démodé.

Le jeune public semble de plus en plus friand de formats courts et rythmés, qu’en pensez-vous ?

Ce n’est pas dommage. Le public pige beaucoup plus rapidement qu’il ne pigeait autrefois. J’en veux pour preuve des grands films de Gérard Oury ou de Jacques Tati. Parfois, vous vous dites que ça pourrait aller plus vite. Les gens se sont habitués à capter plus vite des trucs grâce au rythme des pubs, des clips, des paroles… Peut-être que le rythme de la vie en général était plus peinard à l’époque de Gérard Oury, je ne sais pas, mais je trouve plaisant que les jeunes cinéastes imposent à leurs films, qu’ils soient réussis ou pas, un rythme plus soutenu. D’un autre côté, j’ai vu des comédies récentes qui ont un rythme navrant.

Et vous, vous sentez-vous obligé de vous adapter ?

Moi ça change des petites choses mais pas grand-chose, dans la mesure où je veux que mes films me plaisent avant toute chose à moi. Et avec un peu de bol, si ça me plaît, ça plaira aux autres. Ce n’est pas par prétention que je dis ça mais par sincérité. J’ai toujours cru aux films que j’ai faits, ceux que j’ai réussis comme ceux que j’ai ratés, mais je ne me sens pas chamboulé par ce rythme qui s’accélère car j’ai toujours aimé faire des films très courts, peut-être par peur d’ennuyer les gens. Quand on sait que le Dîner de cons, qui n’est pas de moi, est un chef-d’oeuvre qui dure  h , il n’y a pas de raison de faire des films de  h . Je n’ai fait que deux films qui durent plus de  h . Je ne peux pas accélérer sinon mes films vont durer  heure [rires].

La comédie est affaire de sentiments et d’une subtile alchimie entre le texte et le casting. Avez-vous déjà fait des erreurs ?

Je ne me suis pas souvent trompé sur le casting mais de temps en temps je me suis gouré. Il y a un film que je n’aime pas du tout et que j’aimerais bien qu’on raye de ma filmograph­ie, c’est la dernière pure comédie que j’ai faite. Ça s’appelait Circulez y’a rien à voir (), avec Michel Blanc, Jacques Villeret et Jane Birkin. Au départ, le personnage de cette femme devait être intimidant et on l’avait proposé à Catherine Deneuve, puis à Raquel Welch. Et puis on s’est dit que Jane Birkin était une bonne idée. C’est une femme formidable, un amour, mais c’est quand même la femme la moins intimidant­e du monde. [rires] Donc c’est une grosse connerie de lui avoir proposé ce rôle. Voilà un exemple de casting idiot.

Vous n’avez plus tourné depuis six ans, ça vous paraît long ?

‘‘ On n’a pas fait exprès mais on a eu du bol avec Les Bronzés”

Peut-être que j’ai fait mon temps… Ce n’est pas impossible. Quatre projets de suite qui tombent à l’eau, si on ne veut plus que je fasse de films qu’on me le dise. Je peux entendre ça, et je retourne à la campagne.

Mais si vous êtes là, c’est que vous en avez envie…

Mais là on me récompense pour le passé, pas pour l’avenir ! [rires].

On vous encourage à continuer aussi… Et puis vous avez sorti une bande dessinée et un livre pour enfants, Faîtes la tête. Qu’avezvous croisé le plus dans votre carrière ? Des têtes à claques, des têtes de mule ?

J’ai croisé pas mal de têtes de con. Mais est-ce qu’on n’est pas soimême une tête de con ? [rires]

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(Photo Thomas Michel) Le cinéaste sur la terrasse de l’hôtel Fairmont Monte-Carlo, samedi.

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