Nathalie et André, à Casterino ,ont Sylvie et Jacques au Boréon : tiré un trait sur la saison hivernale évacués et désespérés
« 13 septembre 1993. » La date est solidement gravée dans leur mémoire. Ce jour-là, les flots de la Roya se déversent sur la route puis envahissent l’hôtel-restaurant Les Mélèzes, à Casterino. « On avait été les seuls à être touchés. Mais sur la route, il n’y avait pas de tels dégâts. Là, Tende et la vallée de la Roya ont vraiment pris... »
André Boulanger, 62 ans, et sa femme Nathalie, 52 ans, affichent un sourire qui dissimule mal leurs tourments intérieurs. 2 octobre 2020 : une nouvelle date vient de s’inscrire durablement dans leurs mémoires. Cette fois-ci, leur hôtel-restaurant a été épargné. La route qui accède à ce hameau de Tende, elle, est pulvérisée.
« À Casterino, c’est dramatique », réagit Nathalie. Lors de notre passage, ils n’ont plus d’eau, plus d’électricité depuis la tempête Alex. Mais ça, encore, ce n’est pas rédhibitoire pour André. « On est déjà resté sans électricité. C’est dur, mais on est habitué ! S’ils nous mettent un groupe [électrogène], il n’y a aucun problème. On est autonomes. On est en bonne santé. On ne veut pas être évacués pour qu’ils nous amènent à la ville et qu’on ne sache pas quoi faire... »
« Il faut stopper les prélèvements »
L’activité, justement. C’est là que le bât blesse. « Là, pour nous, c’est fini. On ne peut plus travailler. On est aux bougies », soupire Nathalie. Comme pour bien d’autres habitants du haut pays, les voici en situation de détresse économique. La saison hivernale, quand Casterino se met au ski de randonnée et au traîneau à chiens ? André n’y compte plus. Impossible sans accès routier.
« Le problème, c’est qu’il y a tous les prélèvements à la banque. Et s’il n’y a plus rien qui rentre, on fait quoi?» Pour cet hôtelier, une seule solution : « Il faut arrêter tous les prélèvements jusqu’à ce que l’activité reprenne. » Le temps de désenclaver « cet endroit magnifique » et l’hôtel des Boulanger, déjà éprouvé par les problèmes de transport et la crise de la Covid. Depuis la tempête, le passage n’est possible que via l’autre côté des Alpes. « Pour l’instant, on peut aller en Italie... tant qu’il ne neige pas. »
La famille Paillard, propriétaires de l’hôtel Le Boréon depuis 2013, est encore sous le choc de la tempête Alex. Située au bord du lac du Boréon en face du barrage, sur la commune de Saint-Martin-Vésubie, la bâtisse de pierre s’est retrouvée à moitié ensevelie sous un torrent de cailloux dévalant du mont Pelago juste derrière. Leurs voitures sur le parking sont recouvertes jusqu’au toit, l’appartement du premier étage et l’accueil par la terrasse inondés, la cuisine détruite, l’escalier d’accès privé a disparu, et l’appartement de leur fils au rez-de chaussée n’est plus qu’un souvenir… Sylvie, Jacques son mari, Junior leur fils et Georges leur fidèle compagnon à quatre pattes sont effarés : « Quand les murs ont tremblé, on était tous dans le salon dans l’angoisse, on a passé une nuit blanche pour découvrir le désastre le lendemain matin… maman était si dévastée, si fragile », confie Junior. Les hélicos arrivent tour à tour, mais ils n’embarquent que l’après-midi pour Saint-Martin en bas, « parce que certains pilotes ne voulaient pas prendre le chien à bord… », explique Sylvie. Ils sont finalement évacués vers Nice le dimanche et pris en charge par une assistante sociale, mais aucun espoir de pouvoir retourner chercher leurs affaires dans l’immédiat. Sylvie, atteinte d’un cancer, est d’autant plus fragilisée. Ils travaillent en famille, c’est leur force mais devant la perte de leur lieu de vie et de l’investissement dans l’hôtel, cette force a disparu. Ils décident de partir chez les parents de Sylvie dans son Jura natal, trouver repos et courage en attendant la suite…