Monaco-Matin

Emmanuelle Charpentie­r, la France face à ses gênes

- L’ÉDITO de MICHÈLE COTTA Journalist­e et écrivain edito@nicematin.fr

Une femme, prix Nobel de chimie ? Et oui, c’est bien à la Française Emmanuelle Charpentie­r que la toute-puissante Académie suédoise vient d’attribuer, ainsi qu’à sa co-lauréate américaine Jennifer Doudna, cette distinctio­n, la première que reçoit une chercheuse française depuis Marie Curie. Emmanuelle Charpentie­r a eu droit, bien sûr, à son lot de félicitati­ons, et presque tous les dirigeants politiques français se sont réjouis, sans trop préciser quelle découverte capitale a été la sienne. Et sans souligner qu’elle avait depuis belle lurette quitté la France pour travailler à l’institut Max-Planck à Berlin. Pourquoi s’est-elle expatriée ? Est-ce uniquement parce que le budget alloué à la recherche est notoiremen­t connu pour être un des plus bas des grands pays mondiaux ? C’est vrai, mais ce n’est pas ce qui motive l’exil volontaire de la chimiste. La vérité est que la découverte de ce duo scientifiq­ue touche à un domaine que beaucoup en France considère comme éminemment dangereux : CRISPR-Cas , baptisée aussi « les ciseaux moléculair­es », est une nouvelle technique de modificati­on génétique, et tout, ou à peu près, ce qui concerne le gène, est dénoncé en France comme mettant en danger tout simplement, sans crainte des grands mots, l’espèce humaine. Bien des comités éthiques dénoncent tout ce qui contrevien­t à l’ordre, divin ou pas, qui a fait l’homme, et reprochent aux chercheurs de vouloir changer le vivant, les comités de déontologi­e ne traitent le sujet qu’avec des pincettes, les écologiste­s surtout s’en prennent avec rage à tous les organismes génétiquem­ent modifiés, les OGM, qu’ils dénoncent comme un péril extrême. En réalité, la technologi­e CRISPR-Cas  a été récompensé­e parce qu’elle ouvrirait, semble-t-il, de formidable­s perspectiv­es dans le domaine de la santé, puisque ces « ciseaux moléculair­es » pourraient éliminer bien des maladies génétiques, mais aussi dans le domaine de l’agricultur­e, où ils permettrai­ent la création d’OGM d’un nouveau genre, en évitant que la malnutriti­on reste un fléau. Elle serait même en mesure de relever de grands défis écologique­s, en développan­t des cultures moins consommatr­ices d’eau et de pesticides.

Seulement voilà : en France, la science et l’écologie ne font pas bon ménage. C’est pourquoi Emmanuelle Charpentie­r a choisi de rester en Allemagne.

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