« Nous vivons au-dessus de nos moyens »
Le think tank Monaco 2040 analyse, année après année, les comptes publics. Ses deux leaders, Bernard Pasquier et Fabien Forchino, décryptent le budget rectificatif 2020 qui sera voté demain soir
Il faut dépenser moins, selon Monaco 2040. Le think tank, dont les deux leaders sont les Monégasques Bernard Pasquier et Fabien Forchino, analyse le budget rectificatif 2020 et envisage l’avenir. Il s’étonne notamment d’un déficit réduit des deux tiers entre le budget rectificatif d’avril et celui octobre qui sera voté demain soir au Conseil national. Un déficit finalement de 165 millions. En avril, il était estimé à 500 millions ; un montant, d’après le gouvernement, en rapport avec le budget primitif. Or, pour l’exécutif, l’économie monégasque a relativement bien résisté. La baisse de TVA a été moindre, l’extension en mer a permis des recettes exceptionnelles et les aides et soutiens à l’emploi n’ont pas été tant sollicités qu’initialement imaginé (CTTR, exonération partielle des charles patronales, etc.). Autant d’éléments qui permettent au gouvernement de revoir ses chiffres. De son côté, Monaco 2040, par la voix des deux experts de la finance, fait son analyse. Rencontre avec ces deux spécialistes de la finance.
Le déficit du budget a été réduit de deux tiers entre avril et octobre. Comment expliquer cela ?
C’est une excellente question ! Un peu moins de dépenses que prévu grâce à une utilisation
« créative » des comptes spéciaux du Trésor, et surtout des recettes en hausse de millions, qui n’avaient pas été anticipées en avril. Ces recettes proviennent essentiellement du domaine immobilier : millions sont une avance sur la soulte de l’extension en mer, et près de
millions de TVA immobilière sur les ventes d’appartements qui auraient été réalisées sur l’extension en mer aussi. Nous utilisons le conditionnel car le rapport de l’Imsee du premier semestre ne montre pas ces ventes, peut-être s’agit-il alors de droits à bâtir ? Vu l’ampleur du montant ( millions, ce qui constituerait de très loin un nouveau record), une communication sur l’origine de ces ventes serait bienvenue. Si ce sont des droits à bâtir (sans doute liés à l’extension en mer), alors tout ce que nous prenons aujourd’hui ne sera plus à prendre demain. Quoi qu’il en soit, les recettes du deuxième budget rectificatif sont supérieures de , % à celles du premier rectificatif de cette année, de , % à celle du primitif et de , % à celles du rectificatif . Monaco doit être le seul pays au monde qui voit ses recettes augmenter de la sorte pendant la pandémie. D’ailleurs, on est en droit de se demander s’il est vraiment judicieux pour l’image de Monaco d’afficher de tels résultats. Cependant, n’oublions pas que les recettes sont dopées depuis deux ans par la vente, pour millions par an, d’actions de la SBM au Fonds de réserve constitutionnel (FRC), et les dépenses minorées de millions par la non-inclusion de la provision pour le nouveau CHPG, ce qui amène le déficit réel à plus de millions.
Par ailleurs, les chiffres de clôture de ne sont pas publics, chose que Monaco déplore depuis longtemps.
Comment voyez-vous le budget pour ?
Ce maquillage des chiffres sera reconduit en et le déficit prévisionnel réel sera de millions et non pas de millions, comme l’affirme le gouvernement. Nous continuons à dépenser plus que ce que nous gagnons. L’impôt sur les bénéfices sera lourdement impacté par les mauvais résultats de . Et malgré la perception de millions supplémentaires au titre de la soulte de l’extension, le résultat est prévu pour être largement déficitaire, parce que le gouvernement ne souhaite pas lever le pied sur les dépenses. Et encore, nous ne provisionnons toujours pas pour certaines dépenses, comme la retraite des fonctionnaires. Ce train de vie ne pourra pas durer éternellement. Il y a dix ans à peine, nous avions en réserve liquide l’équivalent de plus de deux années et demie de dépenses annuelles. Ce ratio diminue. Le primitif prévoit qu’il soit inférieur à onze mois fin . Qu’attendons-nous pour mieux maîtriser nos dépenses ?
La crise sociale risque d’être lourde. Comment voyez-vous les prochains mois ?
La situation est beaucoup plus sérieuse que l’on pourrait le croire. Personne ne sait vraiment quand la pandémie sera maîtrisée et force est de constater que Monaco, par son modèle économique basé en grande partie sur le tourisme et l’événementiel, est durement impacté. La reconduction du CTTR jusqu’en mars , au moins, montre bien que nous sommes loin d’être sortis de cette crise. La SBM est bien évidemment un sujet de grande préoccupation. Seules les injections de liquidités sans précédent par les banques centrales et le soutien de l’État permettent à son action de ne pas chuter brutalement, comme pour l’ensemble des marchés boursiers d’ailleurs. Seul l’immobilier semble tirer son épingle du jeu, peutêtre pour les mêmes raisons. Lors de la crise financière de , Monaco n’avait pas retrouvé son niveau de recettes de avant . Cela donne une idée des épreuves qui sont devant nous.
Des perspectives peu réjouissantes…
La situation est grave, mais elle n’est pas désespérée ! Évidemment, il faut commencer par faire un constat lucide, celui que nous essayons de présenter en enlevant un peu le maquillage des chiffres. Ensuite, les solutions pour inverser le sens des courbes semblent comme une évidence : provisionner pour nos dépenses futures et réduire nos dépenses d’investissement et d’équipement car nous vivons au-dessus de nos moyens. C’est un petit effort, qui peut même être imperceptible, mais le gain est énorme puisqu’il nous force à penser au futur et nous garantit de pouvoir continuer de vivre bien dans notre pays et pendant un bon moment. Savoir que cela est possible, en particulier pour nos enfants, est très réjouissant !